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8 juillet 2002

Les collectivités publiques ne peuvent invoquer les dispositions de la Convention européenne des droits de l’Homme à l’encontre de l’Etat

Un arrêt, rendu en formation plénière, le 30 mai 2002 par la Cour administrative d’appel de Lyon (Commune d’Annecy) vient d’apporter des précisions importantes concernant l’application de la Convention européenne des droits de l’Homme. Les juges estiment en effet que les personnes morales de droit public investies de prérogatives de puissance publique ne peuvent invoquer à l’encontre de l’Etat les dispositions de la CEDH.

Le litige trouve son fondement dans le feuilleton juridique qui oppose l’Etat et les collectivités locales depuis 1986. Afin d’alléger la taxation des entreprises, le Parlement a pris plusieurs mesures au cours des années 1986 et 1987 passant notamment par la mise en oeuvre d’un abattement et d’une réduction de la taxe professionnelle selon les entreprises. Ces mesures avaient une conséquence directe pour les collectivités locales qui perdaient une partie substantielle de leurs revenus. En conséquence, une dotation supplémentaire de l’Etat était prévue pour compenser la perte.

Sur le fond, une opposition naquit entre l’administration fiscale et plusieurs communes sur le calcul de cette dotation supplémentaire. Alors que les communes souhaitaient un calcul intégrant les rôles supplémentaires, l’administration prenait pour base que les rôles primitifs. Un important arrêt du Conseil d’Etat en date du 18 octobre 2000, Commune de Pantin, a mis fin à cette opposition et fit droit aux collectivités locales. La conséquence fut immédiate : de nombreuses collectivités décidèrent de demander le versement par l’administration de la somme correspondant aux rôles supplémentaires.

Seulement, pour contrecarrer ce déferlement de recours, le Parlement adopta dans le cadre de la loi de finances pour 2002, une disposition législative validant rétroactivement la méthode de calcul de l’administration fiscale.

Malgré cette loi de validation législative, la commune d’Annecy décida de saisir la justice administrative afin d’obtenir le paiement des dotations compensatrices des réductions de taxe professionnelle. Un obstacle de taille s’élevait : l’existence de la loi de finances pour 2002. Pour le contourner, la commune d’Annecy a soulevé l’incompatibilité de cette loi avec les dispositions de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et l’article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne.

Rappelons que dans une décision d’Assemblée du 11 juillet 2001 (Ministre de la Défense c/ Préaud), le Conseil d’Etat avait écarté l’application d’une loi de validation qui annulait purement et simplement des créances de l’Etat (en matière de rémunération des militaires) au motif de l’incompatibilité avec l’article 1er du premier protocole additionnel. Aux yeux du juge, "l’atteinte portée aux biens que constituait la privation rétroactive des primes que le requérant pouvait légalement percevoir n’était pas justifiée par des motifs d’intérêt général".

Néanmoins, devant la Cour administrative de Lyon, la commune d’Annecy n’a pas réussi à obtenir l’application de cette ligne jurisprudentielle. L’article 1er de la Convention européenne prévoit que "Les Hautes Parties contractantes reconnaissent à toute personne relevant de leur juridiction les droits et libertés définis au titre I de la présente convention". Sur le fondement de cette disposition, les juges ont estimé que "la notion de Haute Parties contractantes doit s’apprécier indépendamment des modalités d’organisation de chacun des Etats signataires de ladite convention ; que doivent notamment être regardées comme des Hautes Parties contractantes au sens de ces stipulations les personnes morales de droit public, autre que l’Etat, investies de prérogatives de puissance publique, et en particulier les communes". En conséquence, ajoute la Cour d’appel, "ces personnes ne peuvent revendiquer contre une autre partie contractante le bénéfice des droits et libertés que les stipulations précitées obligent les parties contractantes à reconnaître aux personnes relevant de leur juridiction".

Il en découle, quasi-naturellement, que l’ensemble des principes posés par la Convention européenne des droits de l’homme n’est pas invocable directement par les personnes morales de droit public, à l’encontre de l’Etat.

Cette position se base sur une solution adoptée par la Cour européenne des droits de l’homme en matière de saisine par des collectivités publiques. Dans une décision sur la recevabilité du 1er février 2001 (affaire Ayuntamiento de Mula c/ Espagne), le juge européen a estimé que "les collectivités locales sont des organismes de droit public qui exercent des fonctions officielles qui leur sont attribuées par la Constitution et par la loi. De toute évidence il s’agit donc d’organisations gouvernementales. (...) Le fait que les communes peuvent agir en justice dans la défense de leurs droits patrimoniaux au même titre qu’une personne physique ou une organisation non gouvernementale ne saurait les assimiler à ces dernières aux fins de l’article 34 de la Convention". En conséquence, de telles collectivités publiques ne peuvent saisir la Cour européenne à l’encontre de l’Etat.

Doit-on en déduire que les principes posés par la Convention européenne des droits de l’homme ne leur sont pas applicables ? L’article 33 ne prévoit-il pas une procédure de requête inter-étatique permettant à une Haute partie contractante de poursuivre un autre Etat devant la Cour ? La solution adoptée par la Cour administrative d’appel de Lyon semble réaliser un amalgame entre d’une part application des dispositions de la CEDH, et poursuite d’un Etat devant la Cour européenne. L’article 1er cité par le jugement prévoit bien que les principes s’appliquent à toute personne relevant de la juridiction d’un Etat. Une collectivité publique étant une personne morale distincte de l’Etat, relève bien à ce titre de sa juridiction.

En conséquence, on pourrait en conclure que les dispositions de la CEDH devraient être invocables par les collectivités publiques devant le juge administratif français. Néanmoins, si la position des juges lyonnais se confirmait, c’est tout un corpus juridique qui serait enlevé aux collectivités locales. Le seul espoir restant reviendrait pour ces collectivités à obtenir du juge la transformation des principes de la CEDH en principes généraux du droit, ces derniers invocables directement. (BT)

 


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