format pour impression(IMPRESSION)

LES DERNIERES DECISIONS :
Décision n° 88-D-27 du 21 juin 1988 relative à des pratiques relevées dans le secteur de la messagerie-groupage
Décision n° 88-D-26 du 14 juin 1988 relative à des pratiques d’ententes dans le secteur de l’enseignement de la conduite des véhicules dans le département de l’Ain
Décision n° 88-D-25 du 14 juin 1988 relative à des pratiques mises en oeuvre par différentes entreprises de génie climatique lors de l’attribution de marchés publics et privés dans les régions Provence, Côte d’Azur et Rhône-Alpes
Décision n° 88-D-24 du 17 mai 1988 relative à une saisine et à une demande de mesures conservatoires émanant de la Société d’exploitation et de distribution d’eau (S.A.E.D.E.)
Décision n° 88-D-23 du 10 mai 1988 relative à des pratiques relevées dans le secteur de l’optique dans le département de la Loire




19 mai 2002

Décision n° 88-D-02 du 26 janvier 1988 relative à la concurrence dans le secteur de l’approvisionnement des débits de tabac en fournitures accessoires.

LE CONSEIL DE LA CONCURRENCE,

Vu la lettre en date du 7 mai 1986 par laquelle le Ministre d’Etat, Ministre de l’économie, des finances et de la privatisation a saisi la Commission de la concurrence de la situation de la concurrence dans le secteur de l’approvisionnement des débits de tabac en fournitures accessoires ;

Vu les ordonnances n°45-1483 et 45-1484 du 30 juin 1945 modifiées, relatives respectivement aux prix et à la constatation, la poursuite et la répression des infractions à la législation économique

Vu l’ordonnance n°86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, modifiée, ensemble le décret n°86-1309 du 29 décembre 1986 pris pour son application ;

Vu les observations présentées par les parties ;

Le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les parties entendus ;

Retient les constatations (I) et adopte la décision (II) ci-après exposées

I. - CONSTATATIONS

A. - Les caractéristiques du secteur

1. - Les caractéristiques générales

Les débitants de tabac offrent un éventail très large de fournitures accessoires, appelées aussi articles-pipiers, parmi lesquelles on trouve, par exemple, des carnets de papier à cigarette, des montres ou des jeux. La vente de ces articles représentait environ 3 milliards de francs en 1984 pour les buralistes qui en tirent une part substantielle de leurs marges.

Leur approvisionnement en gros en tabacs est assuré quasi-exclusivement par la SEITA. Leur approvisionnement en gros en articles pipiers est assuré pour 65 % par des grossistes spécialisés appelée aussi grossistes-pipiers, le reste étant acheté à d’autres grossistes ou directement aux producteurs.

Les grossistes-pipiers qui étaient encore 64 en 1985 adhèrent tous au Syndicat national des grossistes en fournitures générales pour bureaux de tabac, appelé encore syndicat des grossistes-pipiers.  Une grande entreprise et deux groupements réunissent l’ensemble de la profession.

La Société Allumettière Française (S.A.F.) constitue le seul grossiste-pipier dont les activités couvrent tout le territoire national. Elle réalise environ 23 % de l’approvisionnement en gros en articles pipiers des débitants de tabac. -La SEITA l’a achetée progressivement à un groupe suédois, de 1982 à 1984, et a rétrocédé 10 % de son capital à la Confédération des chambres syndicales des débitants de tabac de France.

La Société Pipière Française (S.P.F.) regroupait 22 grossistes en 1984, lesquels détenaient une part du marché à peu près égale à celle de la S.A.F.- La plupart des autres grossistes-pipiers adhéraient au Comptoir National Pipier (C.N.P.) dont. l’activité globale était un peu moins importante que celle des deux sociétés précédentes.  La S.P.F et-. le C.N.P. avaient essentiellement pour mission de. coordonner les achats de leurs membres.

2. - Le cas particulier des carnets de papier à cigarette

Le papier à cigarette peut être utilisé par les producteurs de cigarettes ou acheté, en carnets, par les consommateurs qui roulent leurs cigarettes. Les carnets de papier à cigarette font partie des articles pipiers et sont distribués au détail quasi exclusivement à travers le réseau des bureaux de tabac.  Les ventes au détail reprêsentent environ 100 millions de francs. Elles ont connu une légère croissance de 1979 à 1984. Le réseau des buralistes est lui-même approvisionné en gros, pour près de 90 % de ses achats, par les grossistes-pipiers.

La production française est assurée par deux groupes, LACROIX et JOB, et les importations sont négligeables. La société LACROIX est une filiale d’un groupe belge qui détiendrait la moitié du marché mondial des carnets de papier à cigarette. Depuis 1983, son activité est entièrement consacrée à la production de papier à cigarette.  Le groupe JOB commercialise à travers la SOCAPAC des carnets de papier à cigarette sous les marques OCB, ZIG-ZAG et JOB. C’est la seule activité de la SOCAPAC.

En 1980, JOB-SOCAPAC détenait 71 % du marché français et LACROIX 29 %. En 1985, la part de JOB-SOCAPAC n’était plus que de 58 Z alors que celle de LACROIX s’élevait à 42 Z. Toutes les marques commercialisées par la SOCAPAC n’ont pas connu le même déclin. La part ’de marché de OCB est passée de 19 % à 16 %, celle de JOB de 36 % à 27 % et celle de ZIG-ZAG est restée autour de 16 %.

B. - Le comportement des grossistes-pipiers

Le projet STD

En 1981, la Confédération des chambres syndicales de débitants de tabac a projeté de créer une société, dénommée STD, chargée d’acheter aux producteurs des articles-pipiers destinés à être revendus aux buralistes dans le cadre d’opérations promotionnelles. La Confédération a pris contact avec la SEITA pour qu’elle assure le soutien logistique de cette opération.  Les grossistes-pipiers se sont opposés à ce projet qui devait contribuer à accroître la concurrence sur leur marché.  Le président de leur syndicat est ainsi intervenu auprès des pouvoirs publics pour qu’ils empêchent le lancement de cette opération ou du moins qu’ils interdisent à la SEITA d’y participer.  Il a. notamment écrit que les grossistes-pipiers pourraient aider des producteurs étrangers à importer et distribuer en gros des tabacs en France, et, donc il concurrencer la SEITA, si le projet était réalisée

L’opération STD a finalement été lancée, sans le soutien de la SEITA, et avec des moyens limités, de 1982 à 1984, ce qui a pu conduire aux’ échecs commerciaux enregistrés.  Elle a été relancée avec plus de moyens et de succès, à partir de 1984, avec la participation de la SAF rachetée depuis par la SEITA.

L’apparition de coopératives locales de détaillants

De 1982 à 1984, des débitants de tabac se sont regroupés dans certains départements pour créer des coopératives chargées d’acheter pour eux des articles pipiers aux industriels et de leur fournir certains services.

Le syndicat des grossistes-pipiers s’est inquiété des risques présentés par cette concurrence nouvelle pour ses adhérents. Le développement de telles coopératives pouvait évidemment leur faire perdre une partie de leur marché.  Dès 1982, le président du syndicat envisageait ainsi "des démarches pour éviter les conséquences néfastes d’une génération spontanée de coopératives".  Des demandes d"’information" ont été adressées par lui à des industriels susceptibles d’avoir livré des coopératives aux prix auxquels les grossistes-pipiers étaient eux-mêmes approvisionnée.

Le 30 mars 1984, la SPF écrit aux sociétés LACROIX et SOCAPAC pour leur demander de réaménager leur structure tarifaire de telle façon que les "services rendus par les grossistes aux industriels" reçoivent une "Juste rémunération".  Des négociations ont alors été engagées entre le syndicat des grossistes-pipiers et les deux producteurs de carnets de papier -à cigarette. Au-cours d’un comité directeur du syndicat, les grossistes-pipiers ont menacé de ne plus inviter LACROIX et SOCAPAC à leur salon annuel si elles refusaient de satisfaire leurs revendications. Le 28 septembre 1984, apprenant que la SOCAPAC continuait à vendre à des coopératives sans que ses tarifs aient été modifiés, le président du syndicat lui ’a écrit pour que cette société "contrebalance l’effet néfaste provoqué par cette situation" en évoquant "le phénomène irréversible qui vient de se manifester et provoquera une fissure dans le climat des relations commerciales que nous avons pu avoir".

En octobre 1984 LACROIX et SOCAPAC ont adressé de nouvelles conditions tarifaires, identiques pour les deux sociétés, à leurs clients. A un tarif sans remises, elles ont substitué de nouveaux prix augmentés de 25 %, accompagnés de conditions générales de vente comportant quatre remises possibles dont le total fait 20 %. Chacune de ces remises est censée correspondre à l’une des fonctions habituellement assurées par les grossistes-pipiers traditionnels qui peuvent ainsi bénéficier de. la remise totale de 20 %. Les conditions d’achats des autres formes de distribution (coopératives, grossistes de type "cash and carry" par exemple) peuvent être moins avantageuses, soit que ces formes de distribution n’assurent pas la totalité des fonctions considérées, soit qu’elles assurent des fonctions économiquement équivalentes mais ne répondant pas strictement aux définitions données dans les conditions générales de vente, soit, encore qu’elles assurent d’autres fonctions que n’assurent pas les grossistes traditionnels mais pour l’exécution desquelles aucune remise n’est prévue.

En outre, selon les conditions générales de vente, trois de ces remises ne sont accordées que si l’acheteur a lui-même plus de 500 ou 1 000 clients réguliers, ce qui en écarte les entreprises nouvellement créées quand bien même elles assureraient les fonctions correspondantes. Les coopératives locales de débitants n’ayant jamais eu plus de 200 adhérents, elles ne pouvaient, en principe, prétendre à ces remises.

En fait, tous les grossistes-pipiers traditionnels ont obtenu la remise totale alors même que certains avaient moins de 500 clients.  Par ailleurs, les documents adressés par LACROIX et SOCAPAC montrent que la seule évocation de la qualité de grossiste par des distributeurs traditionnels suffisait pour obtenir cette remise de 20 % sans examen des services réellement assurés.

Une coopérative a obtenu une remise de 8 % portée ensuite à 14 % alors que sa taille ne lui aurait pas permis d’accéder à ce taux de remise si les conditions de vente des producteurs avaient été strictement respectées.

Un grossiste de type "cash and carry" a obtenu les mêmes remises alors que les fonctions qu’il assurait ne correspondaient pas aux définitions retenues dans les conditions générales de vente.

C. - Le comportement des producteurs de carnets de papier à cigarette

De 1980 à 1986, les sociétés LACROIX et SOCAPAC ont augmenté neuf fois de suite tous leurs prix dans les mêmes proportions à des dates souvent très rapprochées.  Pendant cette période les prix des carnets de .papier à cigarette n’ont jamais différé de plus’ de 0,5 Z d’une marque à l’autre.

Les conditions générales de vente de ces deux sociétés ont été les mêmes. Elles ont notamment été modifiées dans les mêmes conditions en octobre 1984 et la nouvelle structure tarifaire des deux sociétés est identique.  De plus, LACROIX et SOCAPAC ont accordé les mêmes ristournes de fin d’année à leurs clients communs.

Au cours des négociations menées avec les grossistes-pipiers, à propos de leurs conditions de vente en 1984, elles ont adopté la même position. Elles ont accordé les mêmes remises à la société Cash-Tabletterie-Distribution et ont modifié de la même façon leurs conditions de vente à cette entreprise.

Enfin, dans une note de service de la SOCAPAC du 5 juin 1984, relative à la prospection de distributeurs alimentaires dans le Nord, on trouve la phrase suivante : "Nous vous signalons que nous avons eu l’occasion de nous entretenir de ce problème avec notre confrère de chez LACROIX qui pratique, lui aussi, la même politique de prudence vis-à-vis du secteur alimentaire".

Par ailleurs, les factures émises par LACROIX et SOCAPAC sont régulièrement envoyées à un centre d’analyse de données dépendant de la Chambre syndicale des producteurs de papier à cigarette qui leur adresse ensuite - des états de leurs ventes faisant apparaître leurs parts de marché au niveau national et régional.

II. - A la lumière des constatations qui précèdent, le Conseil de la concurrence,

Considérant que, les faite ci-dessus évoqués étant antérieurs il l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 1er décembre 1986, les articles 50 et 51 de l’ordonnance n°45-1483 du 30 juin 1945 demeurent applicables en l’espèce

Sur le comportement du syndicat des grossistes-pipiers :

Considérant que les faits relevés à l’encontre du syndicat des grossistes-pipiers et concernant le lancement de l’opération S.T.D. sont couverts par la prescription ;

Considérant que le syndicat des grossistes-pipiers, dont les adhérents assurent la presque totalité des ventes de carnets de papier à cigarette est intervenu, par l’intermédiaire de son président, auprès des producteurs pour obtenir une structure tarifaire particulière plus avantageuse pour les grossistes-pipiers que pour les autres formes de distribution en allégant la nature des services qu’ils rendaient ; que cette intervention avait pour objet d’éliminer la concurrence d’autres, formes de distribution et, notamment, une coopérative de débitants de tabac qui achetait en gros pour ses adhérents ; que ces démarches ont eu pour effet de faire adopter la structure tarifaire considérée par les sociétés LACROIX et SOCAPAC ;

Considérant que le syndicat des grossistes-pipiers est sorti des limites de sa mission de défense des intérêts professionnels de ses membres en sollicitant avec insistance et en obtenant l’établissement par les producteurs d’une tarification essentiellement destinée à éliminer certains concurrents ; qu’en effet les seuils d’attribution des remises, établis de telle manière qu’ils éliminent de celle-ci les entreprises nouvellement créées et les coopératives locales, n’ont pas d’autre objet, alors surtout que cette discrimination en matière de remises n’est pas justifiée, notamment par une différence entre les services rendus ; qu’en agissant ainsi, le syndicat a contrevenu aux dispositions de l’article 50 de l’ordonnance de 1945 ; que les dispositions de l’article 51 de ladite ordonnance ne sont pas applicables qu’une telle pratique est également contraire aux dispositions de l’article 7 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 ; qu’il y a lieu, de ce chef, d’infliger une sanction pécuniaire au syndicat ;

Sur le comportement de la Société Pipière Française  :

Considérant que le Conseil ne peut valablement statuer sur un grief que si celui-ci a fait l’objet d’une notification effectuée dans les conditions fixées par l’article 21, de l’ordonnance du 1er décembre 1986 susvisée ; qu’en l’espèce, aucun grief n’ayant donné lieu à une telle notification à l’encontre de la Société pipière française, aucune infraction aux dispositions de l’article 50 de l’ordonnance du 30 juin 1945 ne peut être retenue contre cette entreprise au titre de la présente saisine

Sur le comportement des producteurs de carnets de papier à cigarette en matière de prix :

Considérant que les sociétés SOCAPAC et LACROIX, qui sont les deux seuls producteurs présents sur le marché, ont pratiqué des prix très voisins de 1980 à 1986  ; qu’elles ont, pendant cette période, augmenté a neuf reprises leurs tarifs dans la même proportion et à des dates très voisines ; que cependant, d’une part, aucun élément établissant l’existence d’une concertation entre elles n’a été relevé  ; que, d’autre part, le marché des carnets de papier à cigarette est caractérisé par sa transparence et par une vive concurrence entre les deux producteurs pour l’obtention de nouvelles commandes, ainsi que l’atteste la variation importante de leurs parts de marché respectives durant la période considérée ; que les promotions accordées par ces deux entreprises à leurs cliente peuvent être différentes ; que, dès lors, dans les conditions propres à l’espèce, il n’est pas établi que le parallélisme de leur comportement en matière tarifaire résulte d’une entente prohibée par les dispositions de l’article 50 de l’ordonnance ;

Considérant enfin qu’il ne ressort pas de la note de service de la société SOCAPAC, en date du 5 juin 1984, sus-analysèe, qu’il y ait eu concertation au sujet de la prospection de la clientèle des grossistes alimentaires du Nord ;

Sur les échanges d’information mis en oeuvre par la Chambre syndicale des fabricants de papier à cigarette :

Considérant, comme il a été dit ci-dessus, que le Conseil ne peut valablement statuer sur un grief que si celui-ci a fait l’objet d’une notification effectuée dans les conditions fixées par l’article 21 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 susvisée  ; qu’en l’espèce, aucun grief n’ayant donné lieu à une telle notification à l’encontre de la Chambre syndicale des fabricants de papier à cigarette, aucune infraction aux dispositions de l’article 50 de l’ordonnance du 30 juin 1945 ne peut être retenue contre ladite Chambre syndicale au titre de la présente saisine  ;

D E C I D E :

Article 1er  : Il est infligé au Syndicat national des grossistes en fournitures générales pour bureaux de tabac une sanction pécuniaire de 150 000 Francs.

Article 2 : Dans un délai maximum de 3 mois à compter de la date de la notification de la présente décision, le texte de celle-ci sera publié, à ses frais, par le Syndicat national des grossistes en fournitures générales pour bureaux de tabac dans la revue "Le Losange".

Délibéré en formation plénière dans sa séance du 26 janvier 1988 où siégeaient : M. LAURENT, Président, MM. BETEILLE et PINEAU, Vice-Présidents, MM. AZEMA, BON, CERRUTI, CORTESSE, FLECHEUX, FRIES, GAILLARD, Mme LORENCEAU, MM.  MARTIN-LAPRADE, SARGOS, SCHMIDT, URBAIN, membres.

 


©opyright - 1998 - contact - Rajf.org - Revue de l'Actualité Juridique Française - L'auteur du site
Suivre la vie du site