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19 mai 2002

Décision n° 87-D-49 du 10 novembre 1987 relative à des pratiques relevées dans le secteur de la distribution du charbon en Seine-et-Marne

LE CONSEIL DE LA CONCURRENCE,

Vu la lettre de saisine du ministre d’Etat, ministre de l’économie, des finances et de la privatisation, en date du 19 mars 1987 ;

Vu les ordonnances n°s 45-1483 et 45-1484 du 30 juin 1945 modifiées respectivement relatives aux prix et à la constatation, la poursuite et la répression des infractions à la législation économique ;

Vu l’ordonnance n°86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, modifiée, ensemble le décret n°86-1309 du 29 décembre 1986 pris pour son application ;

Vu la procédure simplifiée engagée le 11 avril 1986 par le ministre d’Etat, ministre de l’économie, des finances et de la privatisation, en application des dispositions de l’article 55 de l’ordonnance n°45-1483 du 30 juin 1945 et les mémoires produits par les parties ;

Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les parties entendus ;

Retient les constatations (I) et adopte la décision (II) ci-après exposées.

I. - Constatations

Les Charbonnages de France ont créé en 1982 le G.I.E. C.D.F.-Energie, chargé, à titre exclusif, de la promotion et de la distribution du charbon pour le compte des bassins houillers en ce qui concerne les secteurs industriel, résidentiel et tertiaire (hors E.D.F. et sidérurgie).

S’agissant du marché « des foyers domestiques » concernant les combustibles destinés, d’une part, au chauffage individuel et, d’autre part, à l’artisanat et à la petite industrie, C.D.F.-Energie a modifié en 1983 les règles de vente permettant à certains distributeurs d’avoir la qualité d’« acheteur direct  » en relevant les seuils d’enlèvements minimaux et en les fixant à 5 000 tonnes pour les grossistes et 3 000 tonnes pour les détaillants.

La qualité d’« acheteur direct » permet à l’entreprise considérée de bénéficier de primes et remises aussi bien sur facture qu’à l’issue de la campagne, variant selon la catégorie du produit, la date d’enlèvement et le tonnage.

Pour éviter que les négociants, qui, avant 1983, procédaient à des enlèvements inférieurs aux nouveaux seuils définis, ne perdent brusquement la qualité d’« acheteur direct », des mesures transitoires leur permettant de satisfaire progressivement aux nouvelles normes ont été prises par C.D.F.-Energie.

Les marchés souscrits auprès de C.D.F.-Energie par la société anonyme Salles, de Faremoutiers, qui avait la qualité d’ « acheteur direct » avant 1983, sont passés de 2 100 tonnes pour la saison 1983-1984 à 2 225 tonnes pour la saison 1984-1985 et à 3 000 tonnes pour la saison 1985-1986.

Ainsi cette société a répondu aux critères posés pendant la période transitoire par C.D.F.-Energie pour bénéficier de la qualité d’« acheteur direct  », car ses tonnages ont progressivement atteint le seuil de 3 000 tonnes. Cette entreprise est d’ailleurs la seule du Nord de la Seine-et-Marne à qui C.D.F.-Energie a accordé depuis 1983 les conditions privilégiées faites aux acheteurs directs.

En outre, bien que la société Salles revende une partie de ses achats « foyers domestiques » à d’autres négociants (environ 200 tonnes par an), elle est considérée par C.D.F.-Energie comme un détaillant. En effet, seuls les distributeurs revendant au négoce plus des deux tiers des quantités qu’ils achètent sont considérés par C.D.F.-Energie comme étant des grossistes.

Les pratiques de la chambre syndicale des négociants en combustibles de Seine-et-Marne :

De 1983 à 1985, les concurrents de l’entreprise Salles, préoccupés du développement commercial de cette société, se sont adressés à la chambre syndicale des négociants en combustibles de Seine-et-Marne, à la fédération nationale des combustibles et à l’agence régionale de Paris de C.D.F.-Energie.

Le cas de l’entreprise Salles est évoqué le 18 avril 1983, lors d’une réunion des adhérents du secteur de Meaux de la chambre syndicale des combustibles de Seine-et-Marne. Selon le compte rendu de cette réunion, cette question « a soulevé un tollé général de la part de tous les adhérents (... ) présents. Ce négociant a fait paraître une publicité dans le journal local La Marne et inonde la région de prospectus. En utilisant la référence des Houillères nationales étant acheteur direct. Ce monsieur veut augmenter son tonnage au détriment de ses collègues du secteur.  Procédé que nous ne pouvons admettre. En conséquence, les adhérents (... ) demandent au syndicat d’agir avec diligence et fermeté auprès de M. Salles et d’alerter la fédération nationale ainsi que le syndicat des grossistes et C.D.F.-Energie ».

Au printemps 1984, le président de la fédération nationale des combustibles rend visite à M. Salles et aurait demandé à celui-ci de revenir à des prix « normaux », c’està-dire les prix des confrères, ainsi que de cesser de faire de la publicité comportant des prix inférieurs.  Cette version des faits présentée par M. Salles est cependant contestée par le président de la fédération nationale des combustibles.

Parallèlement, le président de la fédération nationale des combustibles demande à ses confrères d’enquêter auprès de la direction régionale de Paris de C.D.F.-Energie afin de savoir si l’entreprise Salles répond aux conditions prévues pour pouvoir bénéficier de la qualité d’ « acheteur direct ».

Le président de la chambre syndicale des négociants en combustibles de Seine-et-Marne est, par la suite, intervenu à diverses reprises auprès de C.D.F.-Energie, en particulier le 29 octobre 1984, afin que l’entreprise Salles ne mentionne plus sur ses publicités  : « acheteur direct aux Houillères ».

De plus, le 19 novembre 1984, au cours d’une réunion tenue à l’agence de Paris de C.D.F.-Energie, le président de la chambre syndicale des négociants en combustibles de Seine-et-Marne déclarait, s’adressant au président-directeur général de la société Salles : « On ne peut pas vous laisser faire non plus au niveau des prix. Vous pouvez pratiquer tout prix mais on ne vous laissera plus faire... Que vous restiez acheteur direct, O.K., mais sans casser les prix... Pour conclure, arrêtez de faire des prix démentiels. » Au cours de cette même réunion, le directeur régional de C.D.F.-Energie demandait de son côté au président de l’entreprise Salles de ne plus faire état dans ses publicités de sa qualité de « détaillant acheteur direct ».

A la fin du mois d’avril 1985, le président de la chambre syndicale intervenait à nouveau auprès de C.D.F.-Energie, pour faire cesser les publicités de prix réduits avec mention de la qualité d’« acheteur direct » et demandait que cette qualité soit retirée à l’entreprise Salles au motif que cette dernière était grossiste et non détaillant.

Les pratiques de C.D.F.-Energie :

A la suite de cette intervention, le directeur de l’agence régionale de C.D.F.-Energie convoquait, le 3 mai 1985, M. Salles et le priait avec insistance de ne plus faire apparaître la mention « acheteur direct » sur ses publicités, sans pour autant lui retirer cette qualité, mais en le menaçant de « prendre des positions plus dures » vis-à-vis de son entreprise s’il n’obtempérait pas. Un collaborateur du directeur régional de C.D.F.-Energie indique lors de cette réunion : « Notre objectif c’est qu’il n’y ait pas de conflit, cela discrimine tout le charbon », puis : « Le négoce pense que c’est par cet intitulé "acheteur direct" que vous récoltez les clients par cette pub sur les journaux, et ce négoce veut vous atteindre par l’intermédiaire de C.D.F.-Energie  ».

La société Salles ayant cédé aux pressions dont elle était l’objet, l’agence régionale de C.D.F.-Energie en faisait part dès le 6 mai 1985 au président de la chambre syndicale tout en rappelant, le même jour, à l’entreprise Salles ses engagements dans ces termes : « Vous voudrez bien nous communiquer les justificatifs de vos prochaines publications, mais nous avons bien enregistré votre accord définitif pour éviter tout incident à l’avenir, qui compromettrait notre collaboration  ».

Enfin, par lettre en date du 20 novembre 1985, C.D.F.-Energie informe le président de la chambre syndicale des négociants en combustibles de Seine-et-Marne que l’entreprise Salles remplit les conditions de tonnages et d’activité exigées par les conditions de vente de 1983 pour bénéficier de la qualité d’ « acheteur direct ». A partir de ce moment, la chambre syndicale cesse ses interventions auprès de C.D.F.-Energie.

II. - A la lumière des constatations qui précèdent, le Conseil de la concurrence

Considérant, en premier lieu, que s’agissant de l’application par un organisme non juridictionnel d’un texte qui n’est pas de nature pénale, le droit transitoire à appliquer répond aux deux principes suivant lesquels l’abrogation d’un texte ne vaut que pour l’avenir tandis que les faits antérieurs à l’abrogation sont examinés au regard des règles de fond en vigueur à l’époque où ils sont intervenus ; que dans ces conditions les faits ci-dessus constatés étant antérieurs à l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 1er décembre 1986, les articles 50 et 51 de l’ordonnance n°45-1483 du 30 juin 1945 demeurent applicables en l’espèce ;

Considérant, en second lieu, qu’il résulte des dispositions générales de l’ordonnance n°86-1243 du 1er décembre 1986 que le Conseil de la concurrence a remplacé la Commission de la concurrence pour l’examen des pratiques anticoncurrentielles ; que les pouvoirs de qualification de ces pratiques et de décision, antérieurement dévolus au ministre chargé de l’économie, ont été confiés au Conseil de la concurrence ; qu’en vertu des dispositions du dernier alinéa de l’article 59 de l’ordonnance, demeurent valables les actes de constatation et de procédure établis conformément aux dispositions de l’ordonnance n°45-1483 du 30 juin 1945 ; qu’enfin les pratiques qui étaient visées par les dispositions du premier alinéa de l’article 50 de cette ordonnance et auxquelles les dispositions de son article 51 n’étaient pas applicables sont identiques à celles qui sont prohibées par l’article 7 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Sur les pratiques de la chambre syndicale des négociants en combustibles de Seine-et-Marne :

Considérant que la chambre syndicale pouvait, dans l’exercice de sa mission de défense des intérêts professionnels de ses membres, demander à C.D.F.-Energie de retirer à l’entreprise Salles sa qualité d’acheteur direct s’il était établi que cette entreprise ne remplissait pas les conditions définies par le fournisseur pour bénéficier d’une telle qualité  ;

Considérant, en revanche, que constitue une action concertée ayant pour objet de limiter l’exercice de la libre concurrence par d’autres entreprises le fait pour la chambre syndicale d’avoir fait pression directement et indirectement sur un distributeur pour que ce dernier ne fasse plus état dans ses publicités de sa qualité d’« acheteur direct », alors que celle-ci ne lui avait pas été déniée par C.D.F.-Energie, et pour qu’il remonte ses prix ; que ce fait est établi, notamment par les comptes rendus des réunions tenues le 18 avril 1983 et le 19 novembre 1984 et par les interventions du président de la chambre syndicale en date du 29 octobre 1984 et du 23 avril 1985  ;

Considérant que la contestation par le président de la chambre syndicale de. toute valeur probante au compte rendu de la réunion s’étant tenue le 19 novembre 1984 dans les locaux de l’agence régionale de C.D.F.-Energie ne peut être retenue ; qu’en effet, elle est en contradiction avec les déclarations du rédacteur du compte rendu de la réunion, qui a précisé « avoir noté le plus sincèrement possible les déclarations des participants  », et avec les déclarations faites le 21 février 1986 par le président de la chambre syndicale qui n’a pas contesté les termes du compte rendu et s’est contenté d’indiquer qu’il ne se souvenait plus des propos échangés lors de la réunion  ;

Considérant que les pratiques ainsi constatées tombent sous le coup des dispositions de l’article 50 de l’ordonnance n°45-1483 du 30 juin 1945 ; qu’il n’est ni établi ni allégué que l’article 51 soit applicable ; que de telles pratiques sont également visées par les dispositions de l’article 7 de l’ordonnance n°86-1243 du 1er décembre 1986

Sur les pratiques de C.D.F.-Energie :

Considérant qu’au cours de la période 1983 à 1985, C.D.F.-Energie n’a jamais dénié la qualité d’«  acheteur direct » à l’entreprise Salles ; qu’elle a d’ailleurs confirmé, par une lettre en date du 20 novembre 1985, à la chambre syndicale que cette société remplissait bien les conditions exigées par ses règles de vente pour être considérée comme un détaillant « acheteur direct  » ;

Considérant qu’il résulte des pièces du dossier que le G.I.E. C.D.F.-Energie s’est associé, en novembre 1984 et en mai 1985, aux démarches de la chambre syndicale pour que l’entreprise Salles ne fasse plus état dans ses publicités de la qualité d’« acheteur direct » ; que C.D.F.-Energie soutient que l’attitude de sa direction régionale de Paris aurait eu pour objet de résoudre de manière pratique et empirique un difficile problème d’interprétation et d’application de ses règles de vente et n’aurait pas eu pour objet de faire obstacle à l’abaissement du prix de vente des établissements Salles ; que, dès lors que C.D.F.-Energie maintenait à l’entreprise Salles sa qualité d’« acheteur direct », il n’était pas fondé à intervenir auprès de celle-ci, avec la chambre syndicale, pour l’empêcher de faire usage de cette même qualité sur ses publicités ; que cette intervention dans la gestion de l’entreprise Salles pouvait avoir pour effet, en l’espèce, de limiter la capacité concurrentielle de cette entreprise ; que cette pratique tombe sous le coup des dispositions de l’article 50 de l’ordonnance n°45-1483 du 30 juin 1945 ; qu’il n’est ni établi ni allégué que l’article 51 soit applicable ; que cette pratique est également visée par les dispositions de l’article 7 de l’ordonnance n°86-1243 du 1er décembre 1986 ;

Considérant toutefois que le G.I.E. C.D.F.-Energie n’a pas pris l’initiative des interventions tendant à limiter la capacité concurrentielle de la société Salles ; qu’il n’a pas prêté son concours aux pressions directes exercées par la chambre syndicale pour faire remonter les prix pratiqués par cette entreprise ; qu’ainsi C.D.F.-Energie peut bénéficier de circonstances atténuantes  ;

Sur la demande de transmission du dossier au Parquet :

Considérant qu’il ne résulte pas du dossier qu’une personne physique ait, frauduleusement, pris une part personnelle et déterminante dans la conception, l’organisation ou la mise en oeuvre des pratiques ci-dessus examinées ;

D E C I D E  :

Article 1er. - Les pratiques relevées à l’encontre du syndicat des négociants en combustibles de Seine-et-Marne et du G.I.E. C.D.F.-Energie tombent sous le coup de l’article 50 de l’ordonnance n°45-1483 du 30 juin 1945, et ne peuvent bénéficier des dispositions de l’article 51 du même texte.

Article 2. - Il est infligé au syndicat des négociants en combustibles de Seine-et-Marne une sanction pécuniaire de 25 000 francs.

Article 3. - Dans un délai maximum de trois mois à compter de la date de notification de la présente décision, le texte intégral de celle-ci sera publié, aux frais de la chambre syndicale des négociants en combustibles de Seine-et-Marne, dans la revue Combustibles et carburants.

Délibéré en commission permanente, sur le rapport de M. PERS, dans sa séance du 10 novembre 1987, où siégeaient MM. LAURENT, président, BETEILLE et PINEAU, vice-présidents.

 


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