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Colloque du Deuxième Centenaire du Conseil d’Etat

En 1999, le Conseil d’Etat a fêté son deux centième anniversaire. A cette occasion, plus de 1500 personnes étaient conviées à un colloque international. En voici un résumé pour la période du Lundi après midi.

La Fonction Consultative. 

L’article 52 de la Constitution de l’An VIII énonce premièrement le rôle consultatif que doit remplir le Conseil d’Etat. Pendant très longtemps, la fonction de conseil de la juridiction administrative était restée discrète afin de préserver les relations étroites existantes entre elle et le gouvernement. Par ailleurs, la doctrine très peu intéressée par cette fonction ainsi qu’un rôle quasiment réduit à néant sous la IIIème République a étouffé complètement l’activité consultative du Conseil d’Etat. Mais, à partir de 1958, la situation change. Les raisons sont doubles : tout d’abord la Constitution reconnaît expressément un rôle consultatif au Conseil d’Etat et, ensuite, le Conseil d’Etat acquiert une compétence d’étude avec la création de la Section du Rapport et des Etudes.

Le caractère secret de l’institution pouvait se résumer dans la litterature du XIXème sièclee ; partir de la deuxième guerre mondiale lorsque ce caractè à cette expression : " Qu’est ce qu’un Conseiller d’Etat ? C’est un Monsieur qui conseille l’Etat. ". Ce caractère secret de la fonction consultative a commencé à être levé &agravre consultatif a fait l’objet de diverses études de la part de la doctrine. Mais, le véritable changement se fit sentir à partir du moment où sous l’impulsion du gouvernement [et des conseillers d’Etat qui le compose], la publication des avis s’est de plus en plus accrue avec le point ultime à savoir la publication à partir de 1989 du rapport annuel du Conseil d’Etat. Ainsi, il était plus facile de prendre connaissance de l’exercice de cette fonction par l’intermédiaire de la lecture de ce rapport à une réserve près, à savoir la respect du principe de confidentialité qui demeure le principe et n’est pas devenu l’exception. La fonction consultative aidant à la préparation des textes n’est pas une originalité purement française. Certains Etats ont une juridiction administrative ayant soit une fonction consultative obligatoire [ex : Suisse], soit une fonction consultative facultative [ex : Pays nordiques]. Ainsi deux points se détachent de cette fonction consultative à savoir que depuis le début du XIXème siècle, une grande permanence se rencontre notamment dans les techniques utilisées et, par ailleurs, cette fonction connaît un rôle de plus en plus élargi.

I - La grande permanence des techniques utilisées.

Cette permanence se rencontre au travers de 4 domaines à savoir : les structures mêmes, les méthodes, l’objet de ce rôle et les suites données.

A - Les structures.

La permanence de l’institution consultative se rencontre tout d’abord au travers des 4 sections administratives classiques dont 3 datent de la création du Conseil d’Etat par Napoléon. Par ailleurs, cela se rencontre également au travers de l’existence de l’Assemblée Générale. Néanmoins, dans cette stabilité des innovations ont eu lieu. En effet, il y a eu la création de l’Assemblée Générale Ordinaire et de l’Assemblée Générale Plénière à partir de 1963 ainsi que l’apparition en 1945 de la Commission permanente chargée d’examiner les textes en urgence. 

B - Les méthodes.

La permanence se retrouve au travers de la façon dont le Conseil d’Etat est amené à intervenir, dont il est saisi. Même si les choses se sont précisées, le Conseil d’Etat dans sa formation consultative est uniquement saisi par le gouvernement et lui seul.

Ensuite, autre permanence est le travail individuel du rapporteur qui est l’héritage du Conseil du Roi. Cette institution est un des éléments essentiels au Conseil d’Etat. Dès qu’un texte arrive pour être étudié, le Président de la Section Administrative saisie le confie à un rapporteur qui travaillera seul, de manière solitaire en relation avec les représentants des ministres.

Enfin, dernière méthode conservant le caractère permanent de l’institution est la discussion et le vote par la formation compétente (section ou assemblée générale) et cela sur la base du texte du rapporteur pour une discussion en section ou sur la base du texte de la section pour une discussion en assemblée générale. Le travail ne s’effectue jamais sur la base du texte du gouvernement. Néanmoins, en cas de différence, le Conseil d’Etat expliquera dans une note adressée au gouvernement la raison de son désaccord. 

C - L’objet.

Le Conseil d’Etat statuant en formation consultative intervient sous 3 formes : les demandes d’avis portant sur une question particulière, la soumission des projets de loi ou décret les plus importants et les affaires individuelles.

1 - Les demandes d’avis portant sur une question particulière.

Ce n’est pas dans les thèmes abordés que se retrouvent la permanence mais plutôt dans le nombre de demandes d’avis qui est stable et varie entre 60 et 100 demandes par an. Mais, il y a eu des moments dans la vie politique où ce nombre a eu l’occasion d’augmenter : suite à la mise en place de nouvelles constitutions [comme en 1958].

2 - La soumission des projets de loi ou de décret.

Le nombre de textes soumis au Conseil d’Etat varie mais reste relativement stable au cours des années [entre 80 et 100 textes]. Lors de ce rôle le Conseil d’Etat a plusieurs rôles : il a la possibilité de modifier le texte formellement, c’est à dire [ et il ne s’en prive pas], dans les tournures de phrases. Ensuite, il peut modifier le texte de manière juridique en fonction des règles de droit afin de rendre le texte légal par rapport aux lois, normes internationales existantes, mais également et ce fût le cas à plusieurs reprises, par rapport à la Constitution. Mais, l’un des points qui différencie cette fonction consultative de la fonction contentieuse est que le Conseil d’Etat pour modifier le projet du Gouvernement pour des raisons d’opportunité. Son rôle de conseiller ne lui fait-il pas jouer un rôle politique ? Non car il existe deux opportunités : une opportunité politique (qui correspond à un choix d’options et qui ressort de la compétence du gouvernement) et une opportunité administrative (qui correspond à la meilleure manière de prendre le texte et ceci dans un soucis de bonne administration de la justice et qui ressort de la compétence du Conseil d’Etat).

3 - Les affaires individuelles.

Dans de nombreux cas, le Conseil d’Etat a eu à se prononcer sur des affaires individuelles dans le cadre de sa fonction consultative. Mais il y a eu une évolution notable à savoir une diminution très importantes du nombre de ces affaires. Le Gouvernement a en effet estimé que cela n’était plus nécessaire de faire intervenir le Conseil d’Etat [cf. cas du changement de nom patronymique].

D - Les suites données.

Le texte du Conseil d’Etat est renvoyé après l’étude au gouvernement avec une note explicative des modifications notamment pour ce qui concerne les modifications pour des raisons d’opportunité. Plusieurs choix s’offrent alors au gouvernement : il ne peut choisir que le texte modifié par le Conseil d’Etat ou son propre texte. Seulement, en ce qui concerne l’avis d’opportunité donné par le Conseil d’Etat, les suites données sont moins univoques. Le Gouvernement ne suit pas toujours cet avis d’opportunité. Lorsque l’avis adopté est fondé sur des qualités rédactionnelles ou, sur des raisons juridiques, il va souvent de soit que le Gouvernement suive cet avis.

Par ailleurs, depuis 1953, la non consultation obligatoire du Conseil d’Etat est une règle touchant à l’auteur de l’acte. En effet, en cas de défaut de consultation, le Conseil d’Etat dans sa formation contentieuse pourrait relever d’office le moyen et annuler le décret qui n’aurait pas suivi ce chemin en se fondant sur l’incompétence de l’auteur. Cette jurisprudence semble faire du Conseil d’Etat, dans sa formation consultative, un co-auteur de l’acte. Cette règle permet d’affirmer une portée efficace et concrète aux avis du Conseil d’Etat.

II - Elargissement au cours des dernières années.

L’un des objets de la réforme de 1995/1996 était de décharger le Conseil d’Etat de nombre d’affaires contentieuses afin de redorer le blason de la fonction consultative. En fait, cet élargissement s’est fait à partir de 1963 avec la création de la Section du Rapport et des Etudes.

A - Elargissement du champ.

En 1963, il y a eu la création de la Section du Rapport et des Etudes. C’est un bureau d’études de problèmes sur lesquels le gouvernement souhaite un avis aussi éclairé que possible. Autrefois, le rapport annuel du Conseil d’Etat faisait des propositions de réformes. Cela s’est automatisé et est devenu indépendant du rapport annuel par l’intermédiaire des rapports menés par le Bureau d’Etude de la Section du Rapport et des Etudes et à la demande du Premier Ministre. 

Par ailleurs, l’élargissement est la conséquent de l’étude des textes communautaires : en effet, le gouvernement est tenu de soumettre au Conseil d’Etat les projets de textes communautaires qui auraient en France des conséquence sur le domaine législatif tel que défini par l’article 34 de la Constitution.

Enfin, le Conseil d’Etat joue un rôle important pour la législation et lois d’Outre-Mer. Par exemple, le nouveau statut de la Nouvelle-Calédonie a donné aux organes de cette île un pouvoir législatif : les fameuses lois du pays. Ces lois sont obligatoirement soumises à un contrôle du Conseil d’Etat ce qui fait de lui une sorte de juge "pré-constitutionnel".

B - Assouplissement de la confidentialité.

Le principe est toujours le même : celui de la non-communicabilité des avis. En effet, le Conseil d’Etat est en quelque sorte tenu vis-à-vis du gouvernement du même secret professionnel que l’avocat envers son client. Cette confidentialité se trouve levée lorsque le gouvernement le décide soit explicitement soit, implicitement lorsqu’il se réfère à l’avis dans les visas des textes.

Mais, une fois l’avis rendu et utilisé par le gouvernement, la confidentialité se trouve dans la quasi-totalité des cas levée au travers de leur publication en annexe du Rapport Public chaque année depuis 1989. Ce rapport a dépassé depuis le simple rapport d’activité en contenant un thème de réflexion organisée. 

C - Lien établi entre le Conseil d’Etat et les Normes constitutionnelles.

Il n’y a pas d’originalité de voir le Conseil d’Etat se référer à la Constitution. Mais, c’est sous l’empire de la Constitution de 1958 et parallèlement et non contradictoirement avec l’existence et le rôle du Conseil Constitutionnel que le Conseil d’Etat a établi sa jurisprudence sur les Principes Généraux du Droit.

Ainsi, lors du rôle consultatif du Conseil d’Etat, celui-ci se fait avec la prise en compte des normes constitutionnelles. 

D - Lien de plus en plus étroit avec les normes internationales.

Ce lien se fait sentir par des références de plus en plus nombreuses à des Principes Généraux du Droit découlant d’accord internationaux. Par ailleurs, ce lien est notable lors de l’examen de textes ayant pour but de transposer des directives communautaires : le Conseil d’Etat est alors appelé à contrôler l’obligation de respecter les objectifs communautaires.

Conclusion.

En conclusions, deux points seront abordés. Le premier est relatif à la question de la indépendance et l’interdépendance des deux fonctions, le second est relatif à la question de savoir pourquoi le Gouvernement fait ainsi appel au Conseil d’Etat.

I - Indépendance et interdépendance.

L’interdépendance est marqué par la double appartenance. En effet, tous les membres du Conseil d’Etat exercent des fonctions dans les deux formations (consultative et contentieuse) ce qui pourrait laisser croire à peu de divergence d’opinion entre les deux formations. Mais, cette double appartenance n’empêche pas que le Conseil d’Etat, statuant au contentieux puisse annuler un décret ayant reçu un avis favorable. Cela pourrait être notamment la cause d’une plus grande information de la Section du Contentieux grâce à un délai d’étude plus long. Mais il faut remarquer que cette annulation ne pourrait intervenir qu’au niveau de la plus haute formation de jugement à savoir l’Assemblée du Contentieux.

Face à cette situation de double appartenance, un arrêt de la Cour Européenne des Droits de l’Homme est intervenu : l’arrêt Procola qui indique qu’un juge qui a siégé dans une formation administrative n’a plus son indépendance et ne peut donc plus siéger pour la même affaire dans une formation contentieuse. La France, dans un arrêt Dame Arbousset, a indiqué qu’il n’y avait pas de perte d’impartialité ni d’indépendance du juge. Dans la même direction, le Conseil d’Etat (au mois de décembre 1999) a jugé en substance qu’un juge ne perd pas son impartialité en jugeant dans une formation administrative auparavant et cela contrairement à la jurisprudence de la Cour de Cassation. 

La collaboration, l’interdépendance des deux formations est tout de même un bien : cela permet d’éviter d’importantes et récurrentes divergences juridiques entre les deux formations et d’éviter des catastrophes contentieuses. Par ailleurs, il a été rappelé à cette occasion qu’un membre de la formation consultative siègeant ensuite dans une formation contentieuse pouvait le faire car sa bonne foi lui permettait de garder sa totale impartialité sur l’affaire et que dans tous les cas, des mesures avaient été prises en France afin d’éviter qu’une même personne soit amenée à donner deux avis sur une même affaire.

II - Pourquoi faire appel au Conseil d’Etat ?

La première raison est que le gouvernement est incapable de maîtriser tous les éléments. Il se doit d’anticiper sur les décisions rendues par d’autres juridictions [Conseil Constitutionnel, Cour Européenne des Droits de l’Homme, Cour de Justice des Communautés Européennes] et seul le Conseil d’Etat peut l’aider dans cette tâche.

La seconde raison est purement pécuniaire. En effet, le risque juridique a un coût, et la moindre erreur du gouvernement pourrait le contraindre à supporter le coût financier de plusieurs centaines de recours contre des décisions. C’est véritablement l’élément déterminant du recours au Conseil d’Etat.

Ainsi, entre être sanctionné et devoir réparer, il faut mieux consulter.

 

 


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