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Conseil d’Etat, 30 juin 2003, n° 246590, Mme Inaya K.

Le Gouvernement était habilité par les dispositions législatives de la loi du 12 juin 2001 à instituer dans la collectivité départementale de Mayotte, par voie d’ordonnances, un régime de prestations familiales différent de celui existant en métropole à la condition que cette différence soit justifiée par la situation particulière de cette collectivité. Eu égard aux différences qui existent entre cette collectivité et la métropole tant du point de vue de la situation économique que de la démographie et du statut civil qui s’applique à la plupart des personnes qui y résident et à l’objectif de maîtrise de la natalité nécessaire au développement de cette collectivité, les dispositions précitées ont pu prévoir l’attribution de prestations familiales dès le premier enfant et limiter à trois le nombre d’enfants ouvrant droit à ces prestations.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 246590

Mme K.

M. Boulouis
Rapporteur

Mlle Fombeur
Commissaire du gouvernement

Séance du 4 juin 2003
Lecture du 30 juin 2003

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 1ère et 2ème sous-section réunies)

Sur le rapport de la 1ère sous-section de la Section du contentieux

Vu la requête, enregistrée le 3 mai 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée par Mme Inaya K. ; Mme K. demande que le Conseil d’Etat :

1°) annule pour excès de pouvoir les articles 7 et 8 de l’ordonnance n° 2002-149 du 7 février 2002 relative à l’extension et la généralisation des prestations familiales et à la protection sociale dans la collectivité départementale de Mayotte ;

2°) condamne l’Etat à lui verser la somme de 2 300 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la note en délibéré présentée le 13 juin 2003 par Mme K. ;

Vu la Constitution du 4 octobre 1958 et notamment son Préambule ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Vu la loi n° 86-1383 du 31 décembre 1986 ;

Vu la loi n° 2001-503 du 12 juin 2001 ;

Vu le code de la sécurité sociale ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Boulouis, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Masse-Dessen, Thouvenin, avocat de M. M. et de M. A.,
- les conclusions de Mlle Fombeur, Commissaire du gouvernement ;

Sur la recevabilité de l’intervention de MM. M. et A. :

Considérant que les conclusions de la requête de Mme K. tendent seulement à l’annulation des articles 7 et 8 de l’ordonnance susvisée, relatifs respectivement aux allocations familiales et à l’allocation de rentrée scolaire que sont susceptibles de percevoir les personnes résidant à Mayotte, en tant que ces dispositions limitent à trois le nombre d’enfants ouvrant droit aux allocations familiales et à l’allocation de rentrée scolaire ; que si MM. M. et A., qui résident à Mayotte, justifient à ce titre d’un intérêt de nature à leur donner qualité pour intervenir au soutien de la requête de Mme K., ils ne sont en revanche pas recevables à demander en outre l’annulation de l’article 10 de la même ordonnance contre lequel aucune conclusion de la requête n’est dirigée ; que, par suite, leur intervention ne peut être admise qu’en tant qu’elle concerne les articles 7 et 8 de l’ordonnance ;

Sur la légalité des dispositions attaquées :

Considérant qu’aux termes de l’article 2 de la loi du 12 juin 2001 : " Dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution et sous réserve de la compétence de la loi organique, le Gouvernement est autorisé à prendre, par ordonnances, les mesures nécessaires pour rendre applicables (...) dans la collectivité territoriale de Mayotte en tenant compte (...) de la situation particulière de la collectivité territoriale de Mayotte, les lois en vigueur, dans les domaines suivants : (...) 5° Protection sanitaire et sociale à Mayotte en matière d’allocations et de prestations familiales, d’aide à la famille, d’aide aux personnes âgées et handicapées, d’assurance vieillesse, de prise en charge des dépenses de santé et d’organisation des soins, de réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles ; mesures d’organisation et d’administration correspondantes " ; que, sur le fondement de ces dispositions, l’ordonnance du 7 février 2002 a créé un régime de base obligatoire pour les prestations familiales dans la collectivité départementale de Mayotte comprenant notamment des allocations familiales et une allocation de rentrée scolaire ; que l’article 7 de cette ordonnance prévoit l’attribution des allocations familiales " en fonction du nombre d’enfants à charge, à partir du premier enfant, dans la limite de trois enfants par allocataire " et que le deuxième alinéa de l’article 8 prévoit que l’allocation de rentrée scolaire " est attribuée (...) selon le nombre d’enfants à charge, dans la limite de trois enfants par allocataire " ;

Considérant, en premier lieu, qu’aux termes des dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, auquel se réfère le Préambule de la Constitution du 4 octobre 1958 : " La nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement./Elle garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. (...) " ; que l’instauration d’un plafond pour le versement de prestations ayant pour objet d’apporter une aide financière à toute personne ayant des enfants à charge n’est pas, en elle-même, contraire aux dispositions précitées du Préambule de la Constitution de 1946 ; que, compte tenu notamment des autres aides contribuant à la réalisation de ces objectifs, et notamment des dispositions de l’article 15 de l’ordonnance attaquée confiant à la caisse gestionnaire des prestations familiales à Mayotte le soin d’exercer une action sociale en faveur des ressortissants du régime et de leurs familles, le Gouvernement n’a pas méconnu les dispositions précitées du Préambule de la Constitution ni, en tout état de cause, les dispositions de l’article L. 111-1 du code de la sécurité sociale qui en reprennent les principes, en fixant à trois le nombre maximal d’enfants ouvrant droit à des prestations familiales ;

Considérant, en deuxième lieu, que le Gouvernement était habilité par les dispositions législatives précitées à instituer dans la collectivité départementale de Mayotte, par voie d’ordonnances, un régime de prestations familiales différent de celui existant en métropole à la condition que cette différence soit justifiée par la situation particulière de cette collectivité ; qu’eu égard aux différences qui existent entre cette collectivité et la métropole tant du point de vue de la situation économique que de la démographie et du statut civil qui s’applique à la plupart des personnes qui y résident et à l’objectif de maîtrise de la natalité nécessaire au développement de cette collectivité, les dispositions précitées ont pu prévoir l’attribution de prestations familiales dès le premier enfant et limiter à trois le nombre d’enfants ouvrant droit à ces prestations ; que, par suite, les moyens tirés de ce que les dispositions contestées auraient excédé les limites de l’habilitation donnée par loi du 12 juin 2001 et auraient méconnu le principe d’égalité et les stipulations de l’article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et de l’article 1er du premier protocole additionnel à cette convention doivent être écartés ;

Considérant, en troisième lieu, que si la loi programme du 31 décembre 1986 relative au développement des départements d’outre-mer, de Saint-Pierre-et-Miquelon et de Mayotte a posé le principe que serait réalisée, en cinq ans, la parité sociale globale de ces collectivités avec la métropole, de telles dispositions ne sauraient, en tout état de cause, être utilement invoquées à l’encontre de l’ordonnance attaquée, dès lors que ledit principe, tel qu’il est défini à l’article 12 de la loi précitée, n’a pas pour objet d’imposer l’égalité entre chacune des prestations allouées outre-mer et la prestation correspondante allouée en métropole ;

Considérant enfin que, eu égard à leur objet, les dispositions contestées de l’ordonnance ne sauraient être regardées comme contraires au principe d’indivisibilité de la République ;

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que Mme K. n’est pas fondée à demander l’annulation des dispositions des articles 7 et 8 de l’ordonnance du 7 février 2002 relative à l’extension et la généralisation des prestations familiales et à la protection sociale dans la collectivité départementale de Mayotte ;

Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l’Etat qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que demande Mme K. au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : L’intervention de MM. M. et A. est admise en tant qu’elle concerne les articles 7 et 8 de l’ordonnance du 7 février 2002.

Article 2 : La requête de Mme K. est rejetée.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mme Inaya K., à M. Kassim M., à M. Ahamad A., au Premier ministre et au ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées.

 


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