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8 février 2002

Les justiciables peuvent-ils utiliser des langues minoritaires ou régionales devant les juridictions ?

Depuis plusieurs jours, une polémique a envahi la Polynésie française opposant la Ligue des droits de l’homme de Polynésie française, l’ordre des avocats de Papeete, le haut-commissaire de la République et l’Assemblée de Polynésie française. La raison ? L’utilisation des dialectes locaux devant les juridictions civiles. Le tribunal administratif devrait prochainement être saisi de la question.

Le 4 décembre 2001, l’Assemblée de Polynésie française a adopté à l’unanimité une délibération officialisant la possibilité d’utiliser les langues polynésiennes écrites ou parlées dans les débats judiciaires devant les juridictions civiles. Cette disposition devrait être applicable à compter du 1er mars 2002. En pratique, cela recouvre entre 7 et 9 langues différentes.

Devant les problèmes pratiques que posent la délibération le Conseil de l’Ordre des avocats de Papeete a demandé au Haut-Commissaire de la République en Polynésie française de suspendre l’application de la délibération. En effet, il estime que le texte est contraire aux dispositions de la Constitution indiquant que le français est la langue officielle de la République. En réponse, la Ligue des droits de l’homme de Polynésie française estime que la position du Conseil de l’ordre va à l’encontre de l’intérêt du justiciable polynésien.

Au final la balle est désormais dans le camp du représentant de l’Etat en Polynésie française qui a jusqu’au 17 février 2001 pour saisir la juridiction administrative et lui soumettre la légalité de la délibération contestée. A défaut, le Conseil de l’ordre des avocats a d’ores et déjà annoncé son intention de déposer un recours pour excès de pouvoir.

La question de fond qui sera certainement posée à la juridiction administrative est la suivante : les administrés, dans leurs relations avec le service public de la justice, peuvent-ils utiliser une autre langue que le français ?

Le Conseil constitutionnel a déjà eu l’occasion de nous apporter une réponse à ces interrogations. En effet, dans sa décision du 9 avril 1996 (décision 96-373 DC, loi organique portant statut d’autonomie de la Polynésie française), il a statué sur la constitutionnalité de l’article 115 de la loi organique disposant que "le français étant la langue officielle, la langue tahitienne et les autres langues polynésiennes peuvent être utilisées". Les juges de la rue Montpensier ont estimé qu’eu égard aux termes de l’article 2 de la Constitution, "la référence faite par l’article 115, premier alinéa, au français en qualité de "langue officielle", doit s’entendre comme imposant en Polynésie française l’usage du français aux personnes morales de droit public et aux personnes de droit privé dans l’exercice d’une mission de service public, ainsi qu’aux usagers dans leurs relations avec les administrations et services publics"

La solution est donc claire : dans les relations de la sphère publique, l’unique langue utilisable est le français. Cette position a été confirmée par la décision du 15 juin 199 relative à la Charte européenne sur les langues régionales ou minoritaires (décision n° 99-412 DC). Les juges ont estimé contraire le texte à l’article 2 de la Constitution qui dispose "la langue de la République est le français", dans la mesure où il tend "à reconnaître un droit à pratiquer une langue autre que le français non seulement dans la "vie privée" mais également dans la "vie publique", à laquelle la Charte rattache la justice et les autorités administratives et services publics".

En effet, l’article 9 de la Charte européenne sur les langues régionales ou minoritaires impose aux juridictions, dans les procédures pénales et civiles, l’obligation de mener la procédure dans les langues régionales ou minoritaires à la demande des parties. C’est cette disposition qui est retransposée dans la délibération de l’Assemblée de Polynésie française du 4 décembre 2001. Or, il s’avère que cet article a été déclaré contraire à la Constitution ce qui permet de présager le sort que le juge administratif pourrait réserver à la délibération contestée.

Pour mieux saisir la portée pratique de l’article 9 de la Charte, je ferais référence aux propos tenus par le Professeur Ferdinand Melin-Soucramanien, de l’Université de Bordeaux IV, au colloque de Rennes sur les langues et la Constitution qui s’est tenu à la fin de l’année 2000. Ce dernier indiquait : "il aurait fallu nécessairement ne recruter en Bretagne que des magistrats comprenant, parlant et écrivant la langue bretonne, de même à l’île de La Réunion pour le créole réunionnais, ou encore, en Guyane pour les différentes langues usitées dans ce département d’outre-mer qu’on ne résiste pas au plaisir de citer toutes : le créole guyanais, les créoles Bushinenge (Samaraca, Aluku, Njuka, Paramaca), les langues amérindiennes (Galibi, Wayana, Palikur, Arawak, Wayampi, Émerillon), sans oublier le Hmong. Concrètement, pour tirer toutes les conséquences de l’application en France de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires, il aurait été nécessaire soit de recruter rapidement quelques nouveaux professeurs de langues à l’École nationale de la magistrature, soit plus certainement de pratiquer une politique de " préférence régionale " dont on perçoit aisément la portée discriminatoire." (BT)

 


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