LE CONSEIL DE LA CONCURRENCE,
Vu la saisine de la commission de la concurrence par le ministre d’Etat,
ministre de l’économie, des finances et de la privatisation du 23
décembre 1986 ;
Vu les ordonnances n°45-1483 et 45-1484 du 30 juin 1945, modifiées,
relatives respectivement aux prix et à la constatation, à
la poursuite et à la répression des infractions à
la législation économique ;
Vu l’ordonnance n°86-1243 du 1er décembre 1986 relative à
la liberté des prix et de la concurrence, modifiée, ensemble
le décret n°86-1309 du 29 décembre 1986 fixant les conditions
d’application de cette ordonnance ;
Vu les observations présentées par les parties et le commissaire
du Gouvernement sur les griefs qui ont été notifiés
le 21 mai 1987 ;
Vu le mémoire en réponse présenté par les
parties sur le rapport qui leur a été notifié le 18
septembre 1987 ;
Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du
Gouvernement et les parties entendus ;
Retient les constatations (I), et adopte la décision (II) ci-après
exposées,
I. - Constatations
La Fédération nationale du commerce et de la réparation
du cycle et du motocycle (F.N.C.R.M.) est la plus importante organisation
professionnelle du secteur. Elle regroupe, d’une part, un syndicat
interdépartemental, le syndicat général des vélocistes
et motocistes, qui couvre les huit départements de la région
parisienne et vingt-sept départements de province et, d’autre part,
cinquante-huit syndicats départementaux.
Le secteur d’activité comprend environ 8 500 entreprises, dont
4 500 sont affiliées aux syndicats regroupés au sein de la
F.N.C.R.M.
Par un engagement de lutte contre l’inflation en date du 17 mars 1986,
la liberté de détermination des tarifs d’entretien et de
réparation a été rendue à ce secteur à
compter du 1er juillet 1986.
A la suite de la signature de cet engagement de lutte contre l’inflation,
le président de la F.N.C.R.M. a adressé le 19 mars 1986 aux
présidents départementaux une lettre précisant notamment :
« A partir du 1er janvier 1986, en application des dispositions
de l’engagement de lutte contre l’inflation n°86-168 du 17 mars 1986,
que j’ai négocié avec les pouvoirs publics, nos entreprises
pourront déterminer leurs tarifs sous leur responsabilité
dans le cadre (pour reprendre la formule consacrée) des objectifs
définis par le Gouvernement...
« De plus, à compter du 17 mars 1986, pour toutes ses prestations
de services, la profession sort du champ d’application des ordonnances
du 30 juin 1945.
« En effet, comme vous le savez, un engagement de lutte contre
l’inflation est agréé par une lettre ministérielle
qui ne lui confère aucun caractère réglementaire.
En d’autres termes, aucune sanction ne peut être désormais
prise, dans le cadre des ordonnances précitées, à
l’encontre d’une entreprise qui n’en respecterait pas les dispositions.
« Il est bien évident, par ailleurs, que cet engagement
ne pourra pas être opposé à une éventuelle mesure
de libération générale des prix (mesure qui figurait
dans la plate-forme électorale de la nouvelle majorité issue
du scrutin du 16 mars dernier).
« Ainsi notre organisation professionnelle apporte à tous
les chefs d’entreprise du « deux roues » la certitude, que,
quoi qu’il advienne, au 1er juillet 1986 au plus tard, ils pourront rééquilibrer
la rentabilité du poste main d’oeuvre de leur atelier. Ils ne doivent
pas laisser cette chance leur échapper une nouvelle fois.
« Une " note individuelle Prix (à répercuter à
vos adhérents) " était jointe à cette lettre et en
reproduisait les termes. »
Le 1er avril 1986, le président de la F.N.C.R.M. adressait une
nouvelle lettre à ses présidents départementaux à
répercuter à leurs adhérents et ainsi conçue
« Monsieur le président,
« Je vous prie de trouver ci-joint une lettre destinée
à tous nos ressortissants, leur rappelant les mesures qui découlent
de l’engagement de lutte contre l’inflation que j’ai signé et qui
a été agréé par la « lettre ministérielle
» du 17 mars 1986 sous le numéro 86-168.
« Je leur demande dans leur intérêt de respecter
cet engagement et j’attire leur attention sur « l’arme absolue »
dont disposent encore les pouvoirs publics : la taxation.
« Cette mise en liberté de nos prestations le 1er juillet
1986 (si aucune mesure de libération générale des
prix n’intervient d’ici là) ne doit pas se faire dans l’anarchie.
Le comité directeur de notre fédération a donc décidé
d’examiner les problèmes qu’elle posera au cours d’une assemblée
générale qui se tiendra à Paris (en principe l’après-midi
du 9 juin 1986)... »
Le 16 juin 1986, un compte rendu d’une assemblée générale
extraordinaire de la F.N.C.R.M., tenue le 9 juin 1986 à Paris, a
été diffusé. Il était accompagné
d’un schéma de calcul du taux horaire de réparation.
Ce schéma comporte une page intitulée « heures vendues
» qui présente une méthode de calcul intégrant
des éléments chiffrés, présentés comme
ne variant « guère » d’une entreprise à l’autre,
et aboutissant à proposer aux professionnels l’application d’un
« coefficient des heures productives » de 1,525 (rapport heures
achetées/heures vendues).
Le calcul de ce coefficient se fonde notamment sur la prise en compte
d’un nombre forfaitaire d’heures d’absence des salariés (quatre
jours annuels de stage et huit jours annuels de maladie par employé)
et sur l’affirmation selon laquelle l’ouvrier « perd largement 20
p. 100 de son temps à l’atelier ».
En annexe au schéma figure une page intitulée «
Tarif horaire de main-d’oeuvre en Europe », sur laquelle sont présentés
des tarifs plus élevés que ceux pratiqués en France
avant le 1er juillet 1986.
De plus, au cours de l’assemblée générale extraordinaire
du 9 juin 1986, l’application d’une marge de 20 à 25 p. 100 au prix
de revient de l’heure de main-d’oeuvre a été préconisée,
ainsi qu’en font foi les éléments recueillis par l’administration
auprès de plusieurs professionnels.
Par lettre du 2 septembre 1986, le président de la F.N.C.R.M.
a invité les présidents départementaux à relever
les évolutions tarifaires appliquées par les réparateurs
depuis le 30 juin 1986 et à faire parvenir la totalité des
résultats de cette enquête à la fédération.
Ce recensement est ainsi présenté aux adhérents :
« Après avoir obtenu cette libération (que tous
les professionnels appelaient de leurs voeux mais à laquelle ils
n’étaient guère préparés ... ) notre fédération
a fourni à ses adhérents les moyens de calculer rationnellement
leurs taux horaires de réparation.
« Il importe aujourd’hui de connaitre l’usage qu’ils en ont fait.
»
Cette lettre était elle-même accompagnée d’un modèle
rédigé ainsi qu’il suit et destiné à être
envoyé par chaque syndicat à ses adhérents :
« Depuis le 1er juillet dernier, vous pouvez, sous votre seule
responsabilité, déterminer les tarifs de vos prestations
(cycles, motocycles et voiturettes).
« Cette liberté de gestion de nos ateliers était
l’un des objectifs prioritaires de notre fédération.
« Maintenant qu’il est atteint (très peu de branches peuvent
se targuer d’un tel résultat à ce jour), il est normal pour
notre organisation de s’assurer que les professionnels n’ont pas laissé
la chance de rentabiliser leur atelier leur échapper une nouvelle
fois.
« Je vous demande de bien vouloir
« 1°) Répondre au questionnaire ci-joint
« 2°) M’adresser votre réponse avant le 20 septembre
prochain (les réponses à ce questionnaire centralisées
par mes soins doivent parvenir au siège de la F.N.C.R.M. pour le
1er octobre 1986. »
L’enquête conduite par l’administration en octobre 1986 et concernant
910 entreprises du secteur réparties dans 51 départements
a révélé que les tarifs pratiqués pour les
taux horaires par les réparateurs de motocycles et de cycles avaient
augmenté entre juillet et octobre 1986. En ce qui concerne
la réparation des motocycles, ces hausses s’établissaient
à 35 p. 100 dans le Centre et le Sud-Est de la France, 40 p. 100
dans l’Ouest, 50 p. 100 dans la région parisienne et la Normandie.
Quant à celle des cycles et cyclomoteurs, les hausses moyennes pratiquées
ont varié de 20 à 35 p. 100 selon les zones ci-dessus décrites.
Il ressort également de cette étude que dans l’échantillon
examiné, la proportion des professionnels syndiqués ayant
augmenté leurs tarifs est supérieure (92 p. 100) à
la proportion des professionnels non syndiqués ayant procédé
à une telle augmentation (78 p. 100).
Enfin, il ressort également de l’enquête de l’administration
que, dans la région Ile-de-France et en Normandie, les hausses moyennes
auxquelles ont procédé les professionnels syndiqués
(56,8 p. 100 pour les motocycles et 39 p. 100 pour les cycles et cyclomoteurs)
sont plus élevées que celles auxquelles ont procédé
les non-syndiqués (36 p. 100 pour les motocycles et 21 p. 100 pour
les cycles et cyclomoteurs).
II. - A la lumière des constatations qui précèdent,
le Conseil de la concurrence
Considérant que les faits ci-dessus décrits étant
antérieurs à l’entrée en vigueur de l’ordonnance du
1er décembre 1986, les articles 50 et 51 de l’ordonnance n°45-1483
du 30 juin 1945 demeurent applicables en l’espèce ;
Considérant que le fait, pour la F.N.C.R.M., d’avoir mené
un ensemble d’actions, notamment sous forme de lettres et de circulaires
aux présidents des syndicats départementaux, avec instruction
de les diffuser auprès des adhérents, en incitant les professionnels
à augmenter leurs tarifs horaires de réparation et d’entretien,
constitue en l’espèce une pratique concertée qui a pu avoir
pour effet de restreindre le jeu de la concurrence ;
Considérant que s’il est normal pour une fédération
de syndicats de fournir aux membres adhérents une aide à
la gestion, celle-ci ne doit pas exercer d’influence directe ou indirecte
sur le libre jeu de la concurrence à l’intérieur de la profession
de quelque manière que ce soit ;
Considérant qu’au cas particulier, le fait pour la F.N.C.R.M.
d’avoir diffusé un schéma de calcul du taux horaire comportant
des éléments chiffrés, qui paraissent ainsi s’imposer
à toutes les entreprises, alors même qu’ils pourraient varier
d’une entreprise à l’autre, va au-delà d’une simple aide
à la gestion et constitue une pratique concertée qui a eu
en l’espèce pour effet de restreindre le jeu de la concurrence en
favorisant la hausse artificielle des prix ;
Considérant qu’il ressort de l’instruction que l’application
d’une marge de 20 p. 100 à 25 p. 100 au prix de revient de l’heure
de main-d’oeuvre a été préconisée par la F.N.C.R.M.
au cours de l’assemblée générale extraordinaire tenue
le 9 juin 1986 ; que ce fait constitue aussi une pratique anticoncurrentielle
qui a eu pour effet de favoriser la hausse artificielle des prix ;
Considérant que les relevés de prix effectués en
octobre 1986 montrent que les réparateurs syndiqués ont été
en proportion plus nombreux à augmenter leurs tarifs que les réparateurs
non syndiqués et les augmentations qu’ils ont pratiquées
sont plus importantes ; que l’argument développé par la F.N.C.R.M.,
selon lequel cette différence de comportement s’explique par le
fait que les réparateurs syndiqués ont été
informés plus rapidement que les non-syndiqués, est largement
contrebalancé par le fait que la libre détermination des
tarifs à compter du 1er juillet 1986 a été rendue
publique dès le 17 mars 1986 ;
Considérant qu’en l’espèce, il n’est ni allégué,
ni établi que ces pratiques puissent bénéficier des
dispositions de l’article 51 de l’ordonnance n°45-1483 du 30 juin 1945
;
Considérant que les pratiques ainsi constatées tombaient
sous le coup de l’article 50 de l’ordonnance n°45-1483 du 30 juin 1945
; que de telles pratiques sont également contraires aux dispositions
de l’article 7 de l’ordonnance n°86-1243 du 1er décembre 1986
;