Le songe d’une nuit ?

Réveillez-moi, je vous en supplie, j’ai besoin de sortir de ce mauvais rêve. Moi, simple juriste, baignant du matin au soir dans le droit, je ne comprends plus rien. L’Assemblée nationale a, en effet, adopté définitivement mercredi 8 mars les projets de loi organique et de loi ordinaire, limitant le cumul des mandats qui était l’un des objectifs affichés de Lionel Jospin en 1997. Trois ans après, la réforme tant annoncée n’est plus qu’un gisement d’inégalités.

Ces textes offrent aux parlementaires une carte quasi-blanche en matière de cumul des mandats. Ils pourront continuer à siéger dans les assemblées parlementaires nationales mais également, avoir une fonction de maire et de président de conseil général ou régional voire une fonction de conseiller municipal si la commune compte moins de 3500 âmes. A l’opposé, les autres élus locaux ne pourront exercer que deux mandats parmi lesquels une seule et unique fonction exécutive sera permise. A l’heure où la notion de justice à deux vitesses est devenue une vieille rengaine, il serait bon de parler de cumul à deux vitesses. C’est cette situation que les députés ont créés en adoptant volontairement les deux textes.

Néanmoins, ceux-là ne se trouvent pas désemparés d’arguments pour justifier cette remise en cause de l’égalité entre élus. La gauche majoritaire au palais Bourbon a décidé de renvoyer, comme l’indiquait le Monde, « sur la droite et le Sénat les incohérences de cette réforme ». Les sénateurs avaient en effet, modifié le texte suite à des querelles intestines entre les deux hémicycles rendant en conséquence, la réforme souhaitée, désirée totalement inadéquate et surtout incohérente. Les députés, quant à eux, votaient les textes sans hésitation en se basant sur la vieille comptine si chère à notre enfance : " C’est pas nous ! C’est eux ! ".

Ce raisonnement est juridiquement absurde. La Constitution précise dans son article 34 que « la loi est votée par le Parlement ». Ainsi, la responsabilité d’un texte promulgué doit être mise à la charge des deux Assemblées indifféremment et surtout, en matière de loi organique où un vote identique des deux chambres est requis. Les députés sont sur le même pied que les sénateurs. Si ils ne voulaient pas de cette incohérence, un moyen leur était offert : ne pas voter le texte. Seulement, ils ont préféré utiliser la loi comme instrument politique.

Une telle utilisation n’est plus, je le consens, l’exception. La loi est depuis l’origine l’instrument de mise en application d’opinions politiques, de concrétisation des programmes ou tout du moins d’une partie de ces derniers. Mais, cette fois-ci les députés ont dépassé ce cadre. La loi devient une arme politique, un missile lancé contre l’opposition afin de la détruire au risque de causer de nombreux dommages collatéraux.

L’usage de la loi, expression de la volonté générale, pour alimenter un conflit politique est totalement nouveau, et, je le souhaite, à proscrire dans le futur. Le plus intéressant est que les députés qui se sont offusqués de cette incohérence entre les textes, en bénéficieront puisque les dispositions beaucoup plus favorables s’appliquent aussi bien aux députés, qu’aux sénateurs .... .

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Citation : Le songe d’une nuit ?, in Rajf.org, brève du 13 mars 2000
http://www.rajf.org/spip.php?breve97