Un revirement préjudiciable

Le Conseil d’Etat nous avait habitués à de meilleurs revirements, favorables aux administrés. Seulement, tel n’est pas le cas de celui consacré par un arrêt du 6 décembre 1999 qui a apporté des précisions quant aux conditions d’exercice du déféré préfectoral. La loi n°82-213 du 2 mars 1982 a offert la possibilité au préfet de déférer un acte des collectivités locales, à la demande des particuliers, au juge administratif pour qu’il en apprécie la légalité.

Dans un premier arrêt du 16 juin 1989, l’arrêt Commune de Belcodène, le Conseil d’Etat avait indiqué que la saisine du tribunal administratif par le préfet au titre du contrôle de légalité qu’elle soit spontanée ou à la demande d’un tiers n’est pas une obligation pour le préfet mais une faculté. Une telle faculté permettait donc au préfet de refuser d’exercer le déféré. Cette décision de refus est considérée depuis un arrêt Brasseur du 25 janvier 1991, comme insusceptible de recours contentieux.

Mais, l’arrêt Brasseur avait prévu une compensation. En effet, le délai de recours contentieux normalement de deux mois été prorogé au profit du tiers lésé en cas de refus ou de désistement du préfet. Ainsi, dans ces deux cas, le tiers initiateur du déféré avait la possibilité d’intenter un recours alternatif. Seulement, l’arrêt "Société Aubettes" ici commenté a remis en cause cette possibilité de compensation.

En effet, le Conseil d’Etat a énoncé que la décision par laquelle le préfet s’est " finalement désisté de son déféré [n’a] pu rouvrir, au bénéfice de la société Aubettes SA, le délai de recours contentieux dont elle disposait ". Ainsi, par cette décision, la Haute juridiction administrative a privé d’effets l’instauration même du déféré préfectoral initié à la demande d’un tiers. Celui-ci ne voyant plus son délai de recours traditionnel prorogé en cas de refus ou de désistement du préfet, il ne fait aucun doute qu’il hésitera à deux fois avant de s’adresser au préfet et préférera saisir lui-même le juge administratif.

Mais, pour l’instant, ce sont les instances en cours qui risquent d’être touchées par l’effet dévastateur de cette jurisprudence. Les faits de l’arrêt "Société Aubettes" en sont une illustration. Dans cette affaire, la Société avait demandé par lettre en date du 17 mai 1991 au préfet de Seine-et-Marne d’exercer son contrôle de légalité sur le contrat passé par le département avec la Société Decaux. Ce dernier donna suite à la demande et saisit par conséquent le Tribunal Administratif le 28 octobre 1991. Seulement, il informa la société en 1993 de sa décision de se désister de son déféré privant ainsi la société de toute possibilité d’exercer un recours alternatif contre les actes détachables du contrat en cause.

Ainsi, le Conseil d’Etat a opéré un revirement fortement préjudiciable qui risque de remettre en cause toute l’institution et l’équilibre instauré par l’intermédiaire de ce déféré préfectoral.

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Citation : Un revirement préjudiciable , in Rajf.org, brève du 14 février 2000
http://www.rajf.org/spip.php?breve32