La loi, la collecte des données de connexion et la constitutionnalité

Epilogue. Saisi le 21 décembre 2001 par plus de 60 sénateurs, le Conseil constitutionnel a rendu hier soir sa décision relative à la loi de finances rectificatives pour 2001. Notamment, il contrôle les dispositions de l’article 62 de cette loi étendant l’accès aux données de connexion à diverses autorités. Seulement, le juge constitutionnel a refusé de sanctionner ces dispositions.

Pas de cavalier budgétaire

La loi de finances rectificative intégrait au sein de l’article 62 une disposition qui pouvait être qualifiée de cavalier budgétaire puisque totalement indépendante du monde des finances publiques. En effet, la disposition étendait aux agents de la COB, le droit d’accéder aux données stockées. Seulement, le Conseil constitutionnel n’a pas été de cet avis.

Il a estimé que cette disposition est inséparable du reste de l’article qui confère ce même droit de communication des données conservées à l’administration fiscale et aux douanes. La disposition forme un élément inséparable d’un dispositif d’ensemble.

Or, une telle solution est contestable, les dispositions visant la COB étant totalement indépendante dans la construction juridique et aussi, dans la procédure. En effet, le droit de communication de la COB s’exercera indépendamment des deux autres autorités. La disposition est donc séparable de l’ensemble du reste du texte et un contrôle spécial aurait pu avoir lieu.

Une conciliation déconcertante de deux objectifs de valeur constitutionnelle

Pour admettre la constitutionnalité de l’article 62 de la loi de finances rectificatives, le juge a opéré une conciliation entre "d’une part, l’exercice des libertés constitutionnellement garanties et, d’autre part, la prévention des atteintes à l’ordre public et la lutte contre la fraude fiscale qui constituent des objectifs de valeur constitutionnelle".

Ce choix est assez surprenant. En effet, dans les trois alinéas de l’article 62 un seul est relatif à la lutte contre la fraude fiscale. Les deux autres alinéas s’adressent d’une part à la COB (et donc à la poursuite et sanction des infractions boursières) et aux douanes (et donc à la poursuite et sanction des infractions relevant de leurs compétences). Le juge constitutionnel a donc "coloré" d’un objectif à valeur constitutionnelle des dispositions dont l’objet est différent de ce principe.

En outre, il est intéressant de remarquer que par cette décision, le juge constitutionnel élimine toute référence à la lutte contre le terrorisme (qui constitue le fondement de l’obligation de stockage de certaines données de communication).

Une extension explicite de l’obligation aux hébergeurs

Concernant l’application de cette obligation aux hébergeurs, un doute subsistait encore à la lecture des dispositions de la loi sur la sécurité quotidienne tandis que le Forum des droits sur l’Internet penchait en faveur d’une exclusion de ces opérateurs. La loi de finances rectificatives, confirmée par le Conseil constitutionnel, étend explicitement l’obligation de stockage également aux hébergeurs.

Cette extension sera-t-elle également applicable vis-à-vis des dispositions de la loi sur la sécurité quotidienne ? Dans la négative, cela signifierait que les autorités judiciaires auraient accès qu’à une partie des données stockées, tandis que les douanes, l’administration fiscale et la COB pourraient accéder à celles conservées par les hébergeurs.

Un mini contrôle par ricochet

Enfin, le Conseil constitutionnel a analysé rapidement -mais sans l’annoncer officiellement - les dispositions de l’article L. 32-3-1 du Code des postes et télécommunications. Il relève "que cet article énonce avec précision la nature et les conditions de conservation et de communication de ces informations ; qu’il en résulte, notamment, que les données susceptibles d’être conservées et traitées « portent exclusivement sur l’identification des personnes utilisatrices de services fournis par les opérateurs et sur les caractéristiques techniques des communications assurées par ces derniers » ; « qu’elles ne peuvent en aucun cas porter sur le contenu des correspondances échangées ou des informations consultées, sous quelque forme que ce soit, dans le cadre de ces communications » ; « qu’il peut être différé pour une durée maximale d’un an aux opérations tendant à effacer ou à rendre anonymes certaines catégories de données techniques »".

Ainsi, il n’a pas sanctionné cette disposition et surtout sa procédure d’adoption (amendement déposé après la réunion de la Commission mixte paritaire). Le Conseil constitutionnel semblerait donc admettre que la sanction d’une disposition par un contrôle par ricochet ne puisse être possible que lorsque la disposition est inconstitutionnelle sur le fond et non, dans la forme.

En conséquence, le Conseil constitutionnel a estimé que "le législateur a mis en oeuvre, en les conciliant, les exigences constitutionnelles ci-dessus rappelées ; que cette conciliation n’est entachée d’aucune erreur manifeste" et n’a pas censuré ladite disposition. Une question est maintenant possible. Le juge constitutionnel s’étant fondé sur l’objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude fiscale, cela signifie-t-il que l’accès par la COB et les Douanes aux données conservées ne pourra se faire que dans le cadre de l’application de cet objectif ? Hélas, sans doute pas ... (BT)

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Citation : La loi, la collecte des données de connexion et la constitutionnalité, in Rajf.org, brève du 28 décembre 2001
http://www.rajf.org/spip.php?breve179