Conseil d’Etat, 12 juin 2002, n° 231314, Société Janssen-Cilag

Les avis rendus par la commission de la transparence visée à l’article R. 163-15 du code de la sécurité sociale ont, quelle que soit la procédure dans laquelle ils s’inscrivent, le caractère d’actes préparatoires qui ne constituent pas par eux-mêmes des décisions susceptibles de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 231314

SOCIETE JANSSEN-CILAG

Mlle Courrèges, Rapporteur

Mme Boissard, Commissaire du gouvernement

Séance du 22 mai 2002

Lecture du 12 juin 2002

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 1ère et 2ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 1ère sous-section de la Section du contentieux

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 14 mars et 13 juillet 2001 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la SOCIETE JANSSEN-CILAG, dont le-siège est 1, rue Camille Desmoulins à Issy-les-Moulineaux (92787), représentée par ses dirigeants en exercice ; la SOCIETE JANSSEN-CILAG demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler pour excès de pouvoir les décisions implicites par lesquelles le ministre de l’emploi et de la solidarité et le secrétaire d’Etat à la santé ont rejeté sa demande tendant au retrait de la décision du 13 septembre 2000 par laquelle la commission de la transparence de l’agence française de sécurité sanitaire des produits de santé a sursis à émettre un avis sur sa demande d’inscription sur la liste des médicaments remboursables aux assurés sociaux et sur la liste des médicaments agréés à l’usage des collectivités de la spécialité qu’elle commercialise sous le nom de « Cilest » ;

2°) d’annuler pour excès de pouvoir la décision du 12 janvier 2001 par laquelle ladite commission a rejeté sa demande de retrait de la décision du 13 septembre 2000, ensemble ladite décision ;

3°) d’annuler les décisions implicites par lesquelles le ministre de l’emploi et de la solidarité et le secrétaire d’Etat à la santé ont rejeté sa demande du 4 décembre 2000 tendant à ce que le « Cilest » soit inscrit sur la liste des médicaments remboursables ;

4°) de condamner l’Etat à lui payer la somme de 30 000 F au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la directive 89/105/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 concernant la transparence des mesures régissant la fixation des prix des médicaments à usage humain et leur inclusion dans le champ d’application des systèmes d’assurance maladie ;

Vu le code de la sécurité sociale ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mlle Courrèges, Auditeur,
- les observations de la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de la SOCIETE JANSSEN-CILAG,
- les conclusions de Mme Boissard, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu’aux termes du premier alinéa de l’article L. 162-17 du code de la sécurité sociale : « Les médicaments spécialisés, mentionnés à l’article L. 601 du code de la santé publique, ne peuvent être pris en charge ou donner lieu à remboursement par les caisses d’assurance maladie que s’ils figurent sur une liste établie dans les conditions fixées par décret en Conseil d’Etat » ; qu’aux termes de l’article R. 163-4 du même code : « L’inscription et le renouvellement de l’inscription des médicaments sur la liste prévue à l’article L. 162-17, ainsi que la modification des conditions d’inscription, sont prononcés après avis de la commission mentionnée à l’article R. 163-15 » ; que l’article R. 163-8 du code dispose que : « I. - La demande d’inscription sur l’une des listes prévues à l’article L. 162-17 du présent code et à l’article L. 618 du code de la santé publique, ou sur ces deux listes simultanément, est présentée par l’entreprise qui exploite le médicament./ (...) La demande d’inscription est adressée au ministre chargé de la sécurité sociale, qui en accuse réception et en informe le ministre chargé de la santé ; une copie en est simultanément adressée à la commission mentionnée à l’article R. 163-15 » ;

Considérant qu’en application de ces dispositions, la SOCIETE JANSSEN-CILAG a déposé, par lettre du 3 avril 2000 reçue le 11 par le ministre de l’emploi et de la solidarité, une demande tendant à l’inscription de la spécialité pharmaceutique qu’elle commercialise sous le nom de « Cilest » sur la liste des médicaments remboursables prévue à l’article L. 162-17 du code de la sécurité sociale ; que la commission de la transparence mentionnée à l’article R. 163-15 du même code, après avoir, le 24 mai 2000, rendu sur cette demande un projet d’avis favorable à cette demande, a toutefois indiqué à la société requérante, par une lettre du 13 septembre 2000, qu’elle avait décidé d’attendre, pour rendre son avis, de prendre connaissance des conclusions d’un comité d’experts sur le « rapport bénéfice/risques des contraceptifs estro-progrestatifs dits de troisième génération », parmi lesquels figure le « Cilest » ; que, par une lettre du 4 décembre 2000 reçue le 5 par le ministre de l’emploi et de la solidarité, par le secrétaire d’Etat à la santé et par le président de la commission de la transparence mentionnée à l’article R. 163-15, la SOCIETE JANSSEN-CILAG a demandé, d’une part, le retrait de l’acte susmentionné du 13 septembre 2000, d’autre part, l’inscription de la spécialité commercialisée sous le nom de « Cilest » sur la liste des spécialités remboursables ; que l’agence française de sécurité sanitaire des produits de santé a, par lettre du 12 janvier 2001, confirmé à la SOCIETE JANSSEN-CILAG les motifs de l’acte pris le 13 septembre 2000 par la commission de la transparence ;

Sur les conclusions dirigées contre les actes du 13 septembre 2000 et du 12 janvier 2001 et sans qu’il soit besoin d’examiner les moyens de la requête :

Considérant qu’aux termes de l’article R. 163-9 du code de la sécurité sociale « I. - Les décisions relatives à l’inscription du médicament sur la liste prévue à l’article L. 162-17, ainsi qu’à la fixation de son prix par convention ou, à défaut, par arrêté dans les conditions prévues à l’article L. 162-16-1 doivent être prises et notifiées à l’entreprise qui exploite le médicament, dans un délai de cent quatre-vingts jours à compter de la réception de la demande, telle que prévue à l’article R. 163-8, par le ministre chargé de la sécurité sociale. II. - Toutefois, si les éléments d’appréciation communiqués par l’entreprise qui exploite le médicament sont insuffisants, le ministre chargé de la sécurité sociale, le ministre chargé de la santé, le comité économique du médicament ou la commission de la transparence mentionnée à l’article R. 163-15 notifie immédiatement au demandeur les renseignements complémentaires détaillés qui sont exigés. Dans ce cas, le délai est suspendu à compter de la date de réception de cette notification et jusqu’à la date de réception des informations complémentaires demandées » ;

Considérant que les avis rendus par la commission de la transparence visée à l’article R. 163-15 du code de la sécurité sociale sont des éléments de la procédure d’élaboration de la décision d’inscrire une spécialité pharmaceutique sur la liste prévue à l’article L. 162-17 du même code ; que les ministres compétents aux termes de l’article R. 163-2 du même code pour procéder à cette inscription, ne sont pas liés dans leur décision par ces avis ; que ces derniers ont ainsi, quelle que soit la procédure dans laquelle ils s’inscrivent, le caractère d’actes préparatoires qui ne constituent pas par eux-mêmes des décisions susceptibles de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir ; que, par suite, la SOCIETE JANSSEN-CILAG n’est pas recevable à demander l’annulation pour excès de pouvoir de l’acte du 13 septembre 2000 par lequel la commission de la transparence a déclaré surseoir à rendre un avis sur sa demande tendant à l’inscription de la spécialité qu’elle commercialise sous le nom de « Cilest », et de l’acte confirmatif du 12 janvier 2001 ;

Sur les conclusions dirigées contre les refus implicites du ministre de l’emploi et de la solidarité et du secrétaire d’Etat à la santé de retirer l’acte du 13 septembre 2000 de la commission de la transparence :

Considérant qu’aucune disposition du code de la sécurité sociale ne confère au ministre de l’emploi et de la solidarité ou au secrétaire d’Etat à la santé le pouvoir de retirer ou réformer les avis rendus par la commission mentionnée à l’article R. 163-15 du code de la sécurité sociale ; que le ministre de l’emploi et de la solidarité et le secrétaire d’Etat à la santé étaient, par suite, tenus de rejeter la demande présentée le 4 décembre 2000 par la SOCIETE JANSSEN-CILAG en tant qu’elle tendait à ce qu’ils retirent l’acte pris le 13 septembre 2000 par la commission de la transparence ; que les moyens soulevés par la société requérante à l’appui de ses conclusions dirigées contre les refus implicites du ministre de l’emploi et de la solidarité et du secrétaire d’Etat sont, par suite, inopérants ;

Sur les conclusions dirigées contre les décisions implicites par lesquelles le ministre de l’emploi et de la solidarité et le secrétaire d’Etat à la santé ont rejeté les demandes du 3 avril et du 4 décembre 2000 tendant à ce que le « Cilest » soit inscrit sur la liste des médicaments remboursables :

Sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l’emploi et de la solidarité :

Considérant que la demande d’inscription du « Cilest » sur la liste des médicaments remboursables, datée du 3 avril 2000, a été reçue par l’administration le 10 avril 2000 ; qu’une décision implicite de rejet est intervenu 180 jours plus tard, soit le 6 octobre 2000 ; que les voies et délais de recours contre cette décision litigieuse n’ont été indiqués à la société ni lors du dépôt de sa demande ni au cours de l’examen de celle-ci ; que le délai de recours contentieux n’ayant ainsi pu commencer à courir, la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté du recours formé le 14 mars 2001 contre la décision implicite de rejet du 6 octobre 2000 doit être écartée ;

Sur la légalité des décisions implicites attaquées :

Sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que, par sa lettre du 13 septembre 2000, la commission de la transparence n’a pas, contrairement aux prescriptions de l’article R. 163-4 du code de la sécurité sociale, donné son avis notamment sur le service médical rendu par la spécialité en cause, mais s’est bornée à indiquer à la SOCIETE JANSSEN-CILAG qu’elle attendait pour se prononcer sur sa demande de connaître les résultats des travaux d’un groupe d’études ; que le refus implicite né du silence gardé par l’administration sur la demande de la société tendant à l’inscription du « Cilest » sur la liste des médicaments remboursables est ainsi intervenu à l’issue d’une procédure irrégulière ; qu’il n’est, au surplus, pas motivé en méconnaissance de l’article R. 163-14 du code de la sécurité sociale ; que la société requérante est, dès lors, fondée à en demander l’annulation ;

Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’article L.761-1 du code de justice administrative et de condamner l’Etat à payer à la SOCIETE JANSSEN-CILAG une somme de 1 600 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : Le refus implicite d’inscrire la spécialité commercialisée par la SOCIETE JANSSEN-CILAG sous le nom de « Cilest » sur la liste des spécialités remboursables est annulé.

Article 2 : L’Etat versera à la SOCIETE JANSSEN-CILAG une somme de 1 600 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la SOCIETE JANSSEN-CILAG est rejeté.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE JANSSEN-CILAG, au ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité et au ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées.

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Adresse originale : http://www.rajf.org/spip.php?article972