Conseil d’Etat, 5 juin 2002, n° 224410, M. Philippe C.

Lorsque l’enfant qui, âgé de moins de dix-huit ans au 1er janvier de l’année d’imposition, atteint sa majorité au cours de ladite année et demande expressément son rattachement à celui de ses parents imposés séparément à la charge duquel il n’était pas au 1er janvier, ce dernier bénéficie, pour l’année en cause, d’une majoration de son quotient familial. La circonstance que l’autre parent a, quant à lui, fait figurer l’enfant sur sa propre déclaration de revenus afférents à la même année, n’est pas de nature à faire perdre au parent qui accepte le rattachement le bénéfice des dispositions ci-dessus rappelées pour l’année au cours de laquelle l’enfant atteint sa majorité.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 224410

M. C.

M. Vallée, Rapporteur

M. Bachelier, Commissaire du gouvernement

Séance du 15 mai 2002

Lecture du 5 juin 2002

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 8ème et 3ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 8ème sous-section de la Section du contentieux

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 23 août et 8 décembre 2000 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour M. Philippe C. ; M. C. demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler l’arrêt du 13 juin 2000 par lequel la cour administrative d’appel de Nantes, sur recours du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, a, d’une part, annulé le jugement du 26 septembre 1996 du tribunal administratif de Rennes lui accordant une réduction de la cotisation d’impôt sur le revenu à laquelle il a été assujetti au titre de l’année 1983, et, d’autre part, remis intégralement à sa charge l’imposition litigieuse ;

2°) statuant au fond, de prononcer la décharge, au titre de l’année 1983, des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu mises à sa charge du fait du refus de prendre en compte pour la détermination de son quotient familial le rattachement de son fils Jean-Christophe à son foyer fiscal ;

3°) de condamner l’Etat à lui verser la somme de 10 000 F au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique

- le rapport de M. Vallée, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP de Chaisemartin, Courjon, avocat de M. C. ;
- les conclusions de M. Bachelier, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. Jean-Christophe C., né le 25 septembre 1965, a expressément demandé pour l’année 1983, au cours de laquelle il a atteint l’âge de la majorité, son rattachement au foyer fiscal de son père en exerçant l’option prévue par les dispositions du 2° de l’article 6-3 du code général des impôts ; que son père, M. Philippe C., a accepté cette option et a déclaré les revenus perçus par son fils au titre de ladite année ; qu’à la suite d’un contrôle, l’administration fiscale a estimé que M. Philippe C. ne pouvait, pour la détermination de son quotient familial, compter son fils Jean-Christophe comme enfant à charge au titre de l’année 1983, alors qu’au 1er janvier de la même année celui-ci était à la charge de sa mère, imposée séparément, à la suite de son divorce ; que M. C. se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 13 juin 2000 par lequel la cour administrative d’appel de Nantes, statuant sur recours du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, a remis intégralement à sa charge les cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu résultant de la réduction du nombre de parts à prendre en considération pour la division de son revenu imposable au titre de l’année 1983 ;

Considérant qu’aux termes du 3 de l’article 6 du code général des impôts "Toute personne majeure âgée de moins de vingt-et-un ans (...) peut opter, dans le délai de déclaration et sous réserve des dispositions de l’article 156-Il-2°, dernier alinéa, entre : 1° L’imposition de ses revenus dans les conditions de droit commun ; 2° Le rattachement au foyer fiscal dont elle faisait partie avant sa majorité, si le contribuable auquel elle se rattache accepte ce rattachement et inclut dans son revenu imposable les revenus perçus pendant l’année entière par cette personne ; le rattachement peut être demandé à l’un ou l’autre des parents lorsque ceux-ci sont imposés séparément (...)" ; qu’aux termes de l’article 196 du même code : "Sont considérés comme à la charge du contribuable (...) 1°) Ses enfants âgés de moins de dix-huit ans (...)" ; qu’aux termes du 1 de l’article 196 bis : "La situation et les charges de famille dont il doit être tenu compte sont celles existant au 1er janvier de l’année d’imposition" ; qu’enfin, aux termes de l’article 196 B du même code : "Le contribuable qui accepte le rattachement des personnes désignées à l’article 6-3 bénéficie d’une demi-part supplémentaire de quotient familial par personne ainsi rattachée"

Considérant qu’il résulte de la combinaison de ces dispositions que lorsque l’enfant qui, âgé de moins de dix-huit ans au 1er janvier de l’année d’imposition, atteint sa majorité au cours de ladite année et demande expressément son rattachement à celui de ses parents imposés séparément à la charge duquel il n’était pas au 1er janvier, ce dernier bénéficie, pour l’année en cause, d’une majoration de son quotient familial ; que la circonstance que l’autre parent a, quant à lui, fait figurer l’enfant sur sa propre déclaration de revenus afférents à la même année, n’est pas de nature à faire perdre au parent qui accepte le rattachement le bénéfice des dispositions ci-dessus rappelées pour l’année au cours de laquelle l’enfant atteint sa majorité ; que, par suite, la cour administrative d’appel de Nantes a commis une erreur de droit en jugeant que l’enfant majeur de parents imposés séparément ne peut demander son rattachement, au titre de l’année au cours de laquelle il atteint sa majorité, qu’à celui de ses parents qui l’avait à sa charge au 1er janvier de cette même année ; que l’arrêt attaqué doit, dès lors, être annulé pour ce motif ;

Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler l’affaire au fond en application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative ;

Considérant qu’il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que M. C. pouvait, pour la détermination de son quotient familial, compter son fils Jean-Christophe au titre de l’année 1983 ; que, par suite, c’est à tort que l’administration a remis en cause le rattachement de son fils devenu majeur et a calculé l’impôt sur le revenu de M. C. avec un quotient familial réduit ;

Considérant, toutefois, qu’aux termes de l’article 156 du code général des impôts dans sa rédaction alors applicable : "L’impôt sur le revenu est établi (...) sous déduction II. Des charges ci-après (...) 2°) Pensions alimentaires (...) / Un contribuable ne peut, au titre d’une même année et pour un même enfant, bénéficier à la fois de la déduction d’une pension alimentaire et du rattachement. L’année où l’enfant atteint sa majorité, le contribuable ne peut à la fois déduire une pension pour cet enfant et le considérer à charge pour le calcul de l’impôt" ; qu’il est constant que M. C. a fait figurer sur sa déclaration de revenus au titre des pensions alimentaires au profit de son épouse divorcée la quote-part de celle versée pour son fils Jean-Christophe ; que, par suite, le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie est seulement fondé à demander la réintégration de ladite quote-part dans le revenu imposable de M. C. au titre de l’année 1983 ; que le jugement du tribunal administratif de Rennes en date du 26 septembre 1996 doit être réformé en ce sens ;

Sur les conclusions de M. C. tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de condamner l’Etat à verser à M. C. une somme de 1 500 euros au titre des frais non compris dans les dépens qu’il a exposés tant devant la cour administrative d’appel que devant le Conseil d’Etat ;

D E C I D E :

Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Nantes en date du 13 juin 2000 est annulé.

Article 2 : M. C. est rétabli au rôle de l’impôt sur le revenu, au titre de l’année 1983, à raison de la quote-part de la pension alimentaire versée pour son fils Jean-Christophe.

Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Rennes en date du 26 septembre 1996 est réformé en ce qu’il a de contraire à la présente décision.

Article 4 : Le surplus des conclusions du recours du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie devant la cour administrative d’appel de Nantes est rejeté.

Article 5 : L’Etat est condamné à verser à M. C. la somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à M. Philippe C. et au ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.

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