Une demande d’asile territorial formulée par simple lettre ne respecte pas la procédure prévue par les dispositions de l’article 1er du décret du 23 juin 1998. Par suite, le préfet n’était pas tenu d’instruire la demande et n’était pas en mesure de transmettre la lettre au ministre de l’intérieur. En outre, aucune disposition législative ou réglementaire n’imposait en tout état de cause au préfet d’appeler l’attention de la requérante sur la nécessité de respecter la procédure réglementaire définie par l’article 1er du décret du 23 juin 1998.
CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N° 228635
PREFET DES HAUTS-DE-SEINE
c/ Mlle B.
M. Maisl, Rapporteur
M. Olson, Commissaire du gouvernement
Séance du 13 mai 2002
Lecture du 5 juin 2002
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 5ème et 7ème sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 5ème sous-section de la Section du contentieux
Vu la requête, enregistrée le 28 décembre 2000 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée par le PREFET DES HAUTS-DE-SEINE ; le PREFET DES HAUTS-DE-SEINE demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler le jugement du 3 novembre 2000 par lequel le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 2 mars 2000 ordonnant la reconduite à la frontière de Mlle Balbine B. ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mlle B. devant le tribunal administratif de Paris ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Vu l’ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France ;
Vu la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 relative au droit d’asile, modifiée par la loi n° 98-349 du 11 mai 1998 ;
Vu le décret n° 98-503 du 23 juin 1998 pris pour l’application de la loi du 25 juillet 1952 relative au droit d’asile et relatif à l’asile territorial ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique
le rapport de M. Maisl, Conseiller d’Etat,
les conclusions de M. Olson, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu’aux termes du I de l’article 22 de l’ordonnance du 2 novembre 1945 susvisée : "Le représentant de l’Etat dans le département et, à Paris, le préfet de police peuvent, par arrêté motivé, décider qu’un étranger sera reconduit à la frontière dans les cas suivants : (...) 3° Si l’étranger, auquel la délivrance ou le renouvellement d’un titre de séjour a été refusé ou dont le titre de séjour a été retiré, s’est maintenu sur le territoire au-delà du délai d’un mois à compter de la date de notification du refus ou du retrait (...)" ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que Mlle B., de nationalité congolaise, s’est maintenue sur le territoire français plus d’un mois à compter de la notification, le 18 janvier 2000, de l’arrêté du même jour par lequel le PREFET DES HAUTS-DE-SEINE, tirant les conséquences de la décision de l’office français de protection des réfugiés et apatrides confirmée, le 7 janvier 2000, par la commission des recours des réfugiés, de rejeter sa demande d’admission au statut de réfugié, lui a refusé la délivrance d’un titre de séjour ; qu’elle se trouvait ainsi dans le cas où, en application du 3° du I de l’article 22 de l’ordonnance du 2 novembre 1945, le préfet peut décider la reconduite d’un étranger à la frontière ;
Considérant que le jugement attaqué du 3 novembre 2000 du magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Paris annule l’arrêté du PREFET DES HAUTS-DE-SEINE en date du 2 mars 2000 décidant la reconduite à la frontière de Mlle B. au double motif, d’une part, de l’illégalité de sa décision du 18 janvier 2000 refusant à celle-ci la délivrance d’un titre de séjour du fait de l’absence de prise en compte de la demande d’asile territorial qu’elle avait formée et, d’autre part, de la méconnaissance des stipulations de l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Considérant qu’aux termes de l’alinéa premier de l’article 1er du décret susvisé du 23 juin 1998 : "L’étranger qui demande l’asile territorial est tenu de se présenter à la préfecture de sa résidence et, à Paris, à la préfecture de police. Il y dépose son dossier, qui est enregistré. Une convocation lui est remise, afin qu’il soit procédé à son audition." ; qu’aux termes de l’alinéa premier de l’article 3 du même décret : "Le préfet transmet au ministre de l’intérieur le dossier de la demande (...)" ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier qu’à l’occasion de son recours gracieux contre la décision du 18 janvier 2000 lui refusant un titre de séjour et l’invitant à quitter le territoire, Mlle B. a formulé, par simple lettre en date du 29 janvier 2000, une demande d’asile territorial ; que cette demande qui ne respectait pas la procédure prévue par les dispositions précitées de l’alinéa premier de l’article 1er du décret du 23 juin 1998 ne pouvait être regardée comme une demande d’asile territorial, telle qu’elle est régie par ces dispositions ; que, par suite, le PREFET DES HAUTS-DE-SEINE, qui n’avait pas entendu Mlle B., n’était pas tenu d’instruire sa demande et n’était pas en mesure de transmettre sa lettre au ministre de l’intérieur ; qu’aucune disposition législative ou réglementaire n’imposait en tout état de cause au PREFET DES HAUTS-DE-SEINE d’appeler l’attention de Mlle B. sur la nécessité de respecter la procédure réglementaire définie par l’article 1er du décret du 23 juin 1998 ;
Considérant que le moyen tiré de ce qu’en raison des risques que Mlle B. courrait en cas de retour dans son pays d’origine, l’arrêté ordonnant sa reconduite à la frontière aurait méconnu les stipulations de l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et de l’article 27 bis de l’ordonnance du 2 novembre 1945 susvisée est inopérant à l’égard de la mesure de reconduite à la frontière ;
Considérant, par suite, que le PREFET DES HAUTS-DE-SEINE est fondé à soutenir que c’est à tort que le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Paris s’est fondé sur les deux motifs rappelés ci-dessus pour annuler son arrêté du 2 mars 2000 ;
Considérant, toutefois, qu’il appartient au Conseil d’Etat, saisi de l’ensemble du litige par l’effet dévolutif de l’appel, d’examiner les autres moyens soulevés par Mlle B. devant le tribunal administratif de Paris et devant le Conseil d’Etat ;
Sur la légalité de la mesure de reconduite :
Considérant que, si Mlle B. fait valoir qu’elle s’est mariée le 15 juillet 2000 avec un compatriote en situation régulière et qu’ils ont eu un enfant né le 29 janvier 2001, ces circonstances, postérieures à l’arrêté attaqué, ne sauraient, en tout état de cause, établir que cet arrêté a porté au respect dû à la vie familiale de Mlle B. une atteinte disproportionnée au regard des buts en vue desquels il a été pris ; que le moyen tiré de ce que l’arrêté attaqué a méconnu les stipulations de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales doit donc être écarté ;
Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que le PREFET DES HAUTS-DE-SEINE est fondé à demander l’annulation du jugement attaqué en tant qu’il annule son arrêté du 2 mars 2000 décidant la reconduite à la frontière de Mlle B. ;
Sur la décision distincte fixant le pays de destination de la reconduite :
Considérant que, dans les termes où il est rédigé, l’arrêté attaqué contient une décision distincte fixant la République démocratique du Congo comme pays à destination duquel doit être effectuée la reconduite ; que Mlle B. soutient, sans être sérieusement contredite, qu’elle a fui son pays après y avoir été arrêtée et maltraitée ; que, dans ces conditions, Mlle B., qui apporte des éléments relatifs à sa vie professionnelle et familiale de nature à établir la réalité des risques que comporterait pour elle un retour dans son pays d’origine, est fondée à demander l’annulation de la décision distincte fixant la République démocratique du Congo comme pays à destination duquel elle serait reconduite ; que le PREFET DES HAUTS-DE-SEINE n’est dès lors pas fondé à soutenir que c’est à tort que par le jugement attaqué, le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Paris a annulé la décision fixant le pays de destination de la reconduite à la frontière de Mlle B. ;
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du 3 novembre 2000 du magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Paris est annulé en tant qu’il annule l’arrêté du 2 mars 2000 décidant la reconduite à la frontière de Mlle B..
Article 2 : Les conclusions de la demande de Mlle B. devant le tribunal administratif de Paris tendant à l’annulation de l’arrêté du 2 mars 2000 décidant sa reconduite à la frontière sont rejetées.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête du PREFET DES HAUTS-DE-SEINE est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au PREFET DES HAUTS-DE-SEINE, à Mlle Balbine B. et au ministre de l’intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.
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