Conseil d’Etat, 29 mai 2002, n° 220060, Sociétés ADA et SAPN

Les dispositions précitées de l’article R. 236 du code de la route n’habilitaient pas le préfet de police à prescrire la mise en fourrière des véhicules de location en infraction à l’interdiction de stationner sur la voie publique faite à ces véhicules par l’article 1er de l’arrêté attaqué.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 220060

SOCIETES ADA ET SAPN

M. Logak, Rapporteur

M. Chauvaux, Commissaire du gouvernement

Séance du 29 avril 2002

Lecture du 29 mai 2002

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 5ème et 7ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 5ème sous-section de la Section du contentieux

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 17 avril et 13 juillet 2000 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour les SOCIETES ADA ET SAPN, dont les sièges sociaux sont 69, avenue de Fontainebleau au Kremlin-Bicêtre (94270) ; elles demandent au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler l’arrêt du 8 février 2000 par lequel la cour administrative d’appel de Paris a rejeté leur requête dirigée contre le jugement du 28 avril 1997 du tribunal administratif de Paris rejetant leur demande d’annulation de l’arrêté du 10 juillet 1995 par lequel le préfet de police a interdit le remisage de véhicules de location sur la voie publique et prévu la mise en fourrière des véhicules en infraction à cette interdiction ;

2°) de condamner la ville de Paris à leur verser la somme de 20 000 F au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la route ;

Vu le code pénal ;

Vu le code général des collectivités territoriales ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Logak, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Coutard, Mayer, avocat des SOCIETES ADA ET SAPN et de la SCP Monod, Colin, avocat de la ville de Paris,
- les conclusions de M. Chauvaux, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que, par un arrêté du 10 juillet 1995, le préfet de police a interdit le stationnement sur la voie publique des véhicules de location en attente d’affectation à un client et prévu la mise en fourrière de tout véhicule en infraction avec cette interdiction ; que les SOCIETES ADA ET SAPN demandent l’annulation de l’arrêt du 8 février 2000 par lequel la cour administrative d’appel de Paris, statuant en appel d’un jugement du 28 avril 1997, a rejeté leur demande d’annulation dirigée contre cet arrêté ;

Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête ;

Considérant qu’aux termes de l’article L. 25 du code de la route alors en vigueur : "Les véhicules dont la circulation ou le stationnement, en infraction aux dispositions du présent code, aux règlements de police ou à la réglementation relative à l’assurance obligatoire des véhicules terrestres à moteur, compromettent la sécurité ou le droit à réparation des usagers de la route, la tranquillité ou l’hygiène publique, l’esthétique des sites et paysages classés, la conservation ou l’utilisation normale des voies ouvertes à la circulation publique et de leurs dépendances (...) peuvent, dans les cas et conditions précisés par le décret prévu à l’article L. 25-7, être (...) mis en fourrière (...)" ; qu’aux termes de l’article R. 285 du même code dans sa rédaction alors applicable : "La mise en fourrière est prescrite par un officier de police judiciaire territorialement compétent (...) dans les cas suivants : (...) 1 ° Infraction aux dispositions des articles R. 36 à R. 37-2 et R. 43-6 (alinéa 1 et 3) lorsque le conducteur est absent ou refuse, sur injonction des agents, de faire cesser le stationnement irrégulier" ; qu’aux termes de l’article R. 286 : "La mise en fourrière est prescrite par le commissaire de la République, dans les cas suivants : 1 ° Infraction aux dispositions des articles L. 7 et R. 236" ; qu’aux termes de l’article R. 236 du code de la route : "Sera puni de l’amende prévue pour les contraventions de la 4ème classe, quiconque aura placé sur une voie ouverte à la circulation ou à ses abords immédiats un objet ou un dispositif de nature à apporter un trouble à la circulation, n’aura pas obtempéré aux injonctions adressées en vue de l’enlèvement dudit objet ou dispositif, par un des agents habilités à constater les contraventions en matière de circulation routière" ;

Considérant que les dispositions précitées de l’article R. 236 du code de la route n’habilitaient pas le préfet de police à prescrire la mise en fourrière des véhicules de location en infraction à l’interdiction de stationner sur la voie publique faite à ces véhicules par l’article 1er de l’arrêté attaqué ; qu’ainsi, en jugeant que le préfet de police était compétent pour prescrire une telle mesure sur le fondement de ces dispositions, la cour administrative d’appel a entaché son arrêt d’erreur de droit ; que cet arrêt doit, dès lors, être annulé ;

Considérant que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu, par application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l’affaire au fond ;

Sur la légalité de l’article 1er de l’arrêté attaqué :

Considérant qu’aux termes des dispositions alors en vigueur de l’article L. 131-4 du code des communes, applicables au préfet de police à Paris en vertu de l’article L. 184-13 du même code, le préfet de police peut "par arrêté motivé, eu égard aux nécessités de la circulation : (...) 2° Réglementer l’arrêt et le stationnement des véhicules (...)" ; que le préfet tenait de ces dispositions compétence pour réglementer et, le cas échéant, interdire le stationnement de certains véhicules sur la voie publique ;

Considérant qu’eu égard aux difficultés particulières qu’entraîne l’occupation par des véhicules appartenant à des sociétés de location d’un grand nombre d’emplacements sur la voie publique, l’interdiction de stationnement édictée par l’article 1er de l’arrêté attaqué, qui ne s’applique qu’à des véhicules qui ne sont pas encore loués à des clients, ne soumet pas ces sociétés à des contraintes excédant celles qu’impose la nécessité d’assurer, dans des conditions satisfaisantes, la circulation et le stationnement des usagers de la voie publique dans la ville de Paris ;

Considérant que les sociétés intéressées, dont l’objet est la location de véhicules, sont placées, vis-à-vis de l’utilisation de la voie publique, dans une situation différente de celle des usagers locataires ou propriétaires de véhicules identiques ; qu’ainsi l’arrêté attaqué ne rompt pas, au détriment de ces sociétés, l’égalité qui doit exister entre les usagers de la voie publique placés dans la même situation ;

Sur la légalité de l’article 2 de l’arrêté attaqué :

Considérant qu’aux termes de l’article R. 37 du code de la route, sur lequel le préfet de police s’est fondé pour prévoir, à l’article 2 de son arrêté, la mise en fourrière des véhicules en infraction aux dispositions de l’article 1er : "Il est interdit de laisser abusivement un véhicule ou un animal en stationnement sur une route./ Est considéré comme abusif le stationnement ininterrompu d’un véhicule en un même point de la voie publique (...) pendant une durée excédant sept jours ou pendant une durée inférieure mais excédant celle qui est fixée par arrêté de l’autorité investie du pouvoir de police" ;

Considérant que ces dispositions habilitent seulement le préfet à fixer le délai au delà duquel le stationnement ininterrompu d’un véhicule sur la voie publique est abusif ; que, dès lors, en prescrivant, par l’article 2 de l’arrêté attaqué, la mise en fourrière des véhicules de location en attente d’affectation à un client en infraction à l’interdiction de stationnement prévue à l’article 1er de l’arrêté, le préfet de police a excédé les pouvoirs qu’il tient de l’article R. 37 précité du code de la route ;

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que les SOCIETES ADA ET SAPN sont fondées à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande tendant à l’annulation de l’article 2 de l’arrêté attaqué ;

Sur les conclusions tendant au remboursement des frais exposés et non compris dans les dépens :

Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de condamner la ville de Paris à payer aux SOCIETES ADA ET SAPN la somme de 4 000 euros au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens ; que ces dispositions font, en revanche, obstacle à ce que les SOCIETES ADA ET SAPN, qui ne sont pas dans la présente instance les parties perdantes, soient condamnées à payer à la ville de Paris la somme qu’elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Paris en date du 8 février 2000 est annulé.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Paris en date du 28 avril 1997 est annulé en tant qu’il rejette les conclusions de la demande des SOCIETES ADA ET SAPN tendant à l’annulation de l’article 2 de l’arrêté du préfet de police en date du 10 juillet 1995.

Article 3 : L’article 2 de l’arrêté du préfet de police en date du 10 juillet 1995 est annulé.

Article 4 : La ville de Paris versera aux SOCIETES ADA ET SAPN une somme de 4 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Les conclusions de la ville de Paris tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : Le surplus des conclusions des requêtes présentées par les SOCIETES ADA ET SAPN devant le Conseil d’Etat et la cour administrative d’appel de Paris est rejeté.

Article 7 : La présente décision sera notifiée aux SOCIETES ADA ET SAPN, à la ville de Paris et au ministre de l’intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.

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Adresse originale : http://www.rajf.org/spip.php?article915