Décision n° 87-D-26 du 7 juillet 1987 relative au secteur de l’assurance construction

LE CONSEIL DE LA CONCURRENCE,

Vu le mémoire présenté par le Syndicat national du second oeuvre (S.N.S.O.) le 21 septembre 1983 ;

Vu les ordonnances n° 45-1483 et 45-1484 modifiées du 30 juin 1945 respectivement relatives aux prix et à la constatation, la poursuite et la répression des infractions à la législation économique ;

Vu la loi n° 77-806 du 19 juillet 1977 relative au contrôle de la concentration économique et à la répression des ententes illicites et des abus de position dominante, ensemble le décret n° 77-1189 du 25 octobre 1977 pris pour son application ;

Vu l’ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, ensemble le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 pris pour son application ;

Vu la loi n° 78-12 du 4 janvier 1978 relative à la responsabilité et à l’assurance dans le domaine de la construction ;

Vu l’article 30 de la loi de finances rectificative du 28 juin 1982   ;

Vu la décision du ministre de l’économie n° 80-05/DC du 13 juin 1980 relative à des pratiques anticoncurrentielles dans le secteur de l’assurance construction ;

Vu les observations présentées par les parties sur le rapport qui leur a été notifié le 17 novembre 1986  ;

Le commissaire du Gouvernement, le rapporteur général et les parties entendus ;

Retient les constatations (I) et adopte la décision (II) ci-après exposées :

I. - Le mécanisme de l’assurance construction et les griefs du Syndicat national du second oeuvre (S.N.S.O.)

A. - Le mécanisme de l’assurance construction est fondé sur la responsabilité des participants à l’acte de construire.  Il a subi de multiples modifications, notamment depuis la décision du ministre de l’économie du 13 juin 1980 relative aux pratiques restrictives de la concurrence des groupements d’assureurs.

Jusqu’en 1978 l’assurance construction était fondée, d’une part, sur une convention de coréassurance à 100 p. 100 et, d’autre part, sur une gestion commune, par les assureurs et la Fédération nationale du bâtiment (F.N.B.), de la police individuelle de base au profit des adhérents de cette fédération.  Plusieurs groupements entre les assureurs et avec la F.N.B. géraient ce mécanisme : le Groupement d’assurances des risques de la construction (G.A.R.C.O.), le Groupement d’assurances pour le bâtiment (G.A.B.), l’Association pour l’assurance des risques de la construction des entrepreneurs syndiqués (A.R.C.E.S.) et le Groupement de gestion des risques de la construction (G.E.C.O.).

La quasi-totalité des polices d’assurances dommages et maître d’ouvrage étaient délivrées par le G.A.B. et le G.A.R.C.O. Les conventions de coréassurance à 100 p. 100 confiaient aux groupements l’émission des polices et l’encaissement des primes.  En outre, des accords liaient entre eux les divers groupements au sein de l’A.R.C.E.S. et du G.E.C.O.

La réforme de 1978, entrée en vigueur le 1er janvier 1979, n’a apporté que peu de modifications à ce régime.  Le secteur dommage ouvrages a été séparé du secteur responsabilité. Les garanties prises en charge par les groupements de coréassurance pouvaient être limitées et cette prise en charge ne pouvait excéder 85 p. 100 du risque de base, à l’exception de la police individuelle de base qui continuait à être réassurée à 100 p. 100.  Enfin les compagnies pouvaient gérer elles-mêmes la garantie et donc renoncer à passer par le groupement de gestion (G.E.C.O. devenu Service technique d’assurance construction S.T.A.C.).

Cette réforme a permis le développement de compagnies d’assurances hors groupement, notamment des mutuelles, mais l’A.R.C.E.S. a été maintenue pour la gestion de la police individuelle de base.

Cette nouvelle organisation n’a pas modifié le système de gestion de l’assurance construction en semi-répartition.  De ce fait les rapports entre assureurs et assurés n’ont pu évoluer.

Les difficultés financières persistantes de l’assurance construction ont conduit les pouvoirs publics à modifier le mécanisme en 1982. Le mécanisme actuellement en vigueur est fondé sur les principes suivants : gestion en semicapitalisation pour les risques obligatoires en vertu de la loi de 1978, apurement du passé confié à une caisse de compensation des risques de l’assurance construction, police unique par chantier permettant d’avoir un assureur unique pour les divers intervenants à un chantier.

De nouveaux groupements ont été créés.  Depuis le 1er janvier 1986 ils n’interviennent plus que pour la gestion du passé.

Les taux de cession à la réassurance se situent entre 35 p. 100 et 85 p. 100 au lieu de 100 p. 100, les tarifs de la réassurance ne sont plus fixés par police mais par catégorie de risques, le système de gestion de la police individuelle de base a pris fin.

Ces conditions ont rendu la compétition plus vive provoquant ainsi l’éclatement des groupements. En 1986 il existe donc plusieurs pôles de réassurance et les positions dominantes constatées par la décision ministérielle susvisée ont disparu.

B. - En 1980, adoptant l’avis de la Commission de la concurrence, le ministre a estimé que le Groupement d’assurance pour le bâtiment (G.A.B.), le Groupement d’assurance pour les risques de la construction (G.A.R.C.O.), l’Association pour l’assurance des risques de la construction des entrepreneurs syndiqués (A.R.C.E.S.) et le Groupement de gestion des risques de la construction (G.E.C.O.) avaient enfreint les dispositions du dernier alinéa de l’article 50 de l’ordonnance du 30 juin 1945  :

-en proposant en 1975 des conditions discriminatoires pour l’obtention de la police décennale entrepreneur aux entreprises n’adhérant pas à la fédération nationale du bâtiment ,

-en obligeant les maîtres d’ouvrage à renoncer obligatoirement à recours et à racheter en totalité les garanties souscrites en dehors des groupements par leurs cocontractants ;

-en obligeant les entrepreneurs, en novembre 1978, à racheter en totalité les garanties des sous-traitants, moyennant une surprime de 25 p. 100 ;

-en mettant à la charge des maîtres d’ouvrage et entreprises des surprimes pour recours difficiles au cas où leur cocontractant n’était pas assuré par le biais des groupements.

Les nouveaux groupements mis en place en 1979 (G.A.B.A.T., G.A.D.O.B.A.T.) n’ont pas repris dans leur police les clauses incriminées et, dès le début de l’année 1980, l’A.R.C.E.S. a supprimé les surprimes appliquées par le G.A.B.A.T.
Cependant des pratiques également critiquées par le S.N.S.O. et qui sont analysées ci-après ont été mises en oeuvre par les assureurs.

Le G.A.D.O.B.A.T. a conclu avec le Groupement national des entrepreneurs constructeurs immobiliers de la F.N.B. (G.N.E.C.1.) une police dommage ouvrage à un taux préférentiel sous la condition de l’assurance obligatoire au G.A.B.A.T. des cocontractants des entreprises du G.N.E.C.1. Sur intervention de la direction des assurances, le G.A.D.O.B.A.T. a abandonné cette tarification discriminatoire le 30 juillet 1981.

A l’occasion d’un chantier de la S.C.I.C., filiale de la Caisse des dépôts et consignations, près de Bordeaux, le S.N.S.O. a dénoncé une disposition du cahier des charges qui obligeait les entreprises participant à la construction d’une H.L.M. a être assurées auprès du G.A.B.A.T, A la suite de la lettre du S.N.S.O. cette affaire a été réglée.

La société mutuelle d’assurance des collectivités locales impose aux maîtres d’ouvrage des surprimes lorsque ses cocontractants ne sont pas signataires de la convention de recours élaborée par l’Association française de l’assurance construction en juin 1983.

Les mutuelles liées à la fédération nationale du bâtiment (S.M.A.B.T.P. C.A.M.B. et Auxiliaire) considèrent, depuis 1983, comme sans valeur les garanties offertes par les compagnies gérant en semi-répartition la garantie facultative de l’activité de sous-traitance.

De plus, le S.N.S.O. estime que les groupements d’assureurs, en exigeant, au cours de la période 1979 à 1983, des rappels de primes ou des primes subséquentes en cas de résiliation de la police d’assurance, ont abusé de leur position dominante.

L’A.R.C.E.S. a, en effet, en juillet 1980 pour la première fois, fait jouer les clauses des conditions particulières de la police individuelle de base en réclamant un ajustement de régularisation sur les primes versées au titre de l’année de résiliation.  Le rappel a eu lieu trois années de suite et s’est élevé à 45 p. 100 pour les entreprises ayant résilié en 1979 38,60 p. 100 pour les entreprises ayant résilié en 1980 6,54 p. 100 pour les entreprises ayant résilié en 1981.  De même les entreprises qui ont résilié leur police individuelle de base entre 1979 et 1982, et qui avaient obtenu de leur nouvel assureur le rachat du passé inconnu, ont reçu une mise en demeure de la caisse de surcompensation du bâtiment, chargée du recouvrement des primes, tendant au paiement d’une prime subséquente.

II. - A la lumière des constatations qui précèdent, le Conseil de la concurrence :

Considérant que les pratiques visées étant antérieures à l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 1er décembre 1986, les articles 50 et 51 de l’ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945 demeurent applicables en l’espèce ;

Considérant qu’il convient de fixer en l’espèce au 21 septembre 1983 la date de la saisine , qu’en application de l’article 58 de l’ordonnance du 30 juin 1945, la prescription est donc acquise pour les faits antérieurs au 21 septembre 1980 ;

Considérant que le S.N.S.O. allègue que la décision du 13 juin 1980 du ministre de l’économie, après avis de la Commission de la concurrence, demandant aux divers groupements de ce secteur d’abandonner les pratiques, n’a pas été suivie d’effet
 ,

Considérant que le système de tarification discriminatoire, assortie d’une condition d’assurance au G.A.B.A.T. élaboré par le G.A.D.O.B.A.T., a été abandonné le 30 juillet 1981 ;

Considérant que le G.A.B.A.T. n’a pas de responsabilité dans l’élaboration du cahier des charges du chantier de la S.C.I.C.  ;

Considérant que le fait d’exiger des maîtres d’ouvrage des surprimes lorsque l’entreprise cocontractant n’est pas signataire de la convention de recours du groupement (en l’espèce l’A.F.A.C.), ou de tenir comme sans valeur les garanties offertes par les compagnies gérant en semirépartition, revient à imposer des charges financières supplémentaires aux entreprises assurées à de telles compagnies ; que de telles pratiques tombent sous le coup du dernier alinéa de l’article 50 de l’ordonnance du 30 juin 1945 si elles sont le fait d’une entreprise en position dominante ; qu’il n’est pas établi que la Société mutuelle d’assurance des collectivités locales, non plus que telle ou telle des mutuelles liées à la Fédération nationale du bâtiment, ait une position dominante sur le marché de l’assurance construction  ;

Considérant en revanche que les groupements d’assureurs occupaient, jusqu’en 1982, une position dominante sur le marché de l’assurance construction ;

Considérant que le rappel de primes est l’une des caractéristiques d’un système mutualiste tel que celui qui était adopté pour la gestion de la police individuelle de base , que dans un tel système l’adhérent n’est jamais quitte de son obligation financière par le paiement de la seule prime annuelle et peut se voir, en cas de nécessité, demander une contribution ultérieure ; qu’il n’est pas établi que les rappels de prime n’aient pas été calculés en fonction des résultats financiers du régime d’assurance  ; que ces rappels ont été appliqués de façon analogue à toutes les entreprises, démissionnaires ou non de « l’individuelle de base » ; que dès lors ces rappels de prime ne présentent pas de caractère discriminatoire ,

Considérant que, en cas de résiliation de la police, la prime subséquente correspond à la prise en charge des conséquences encore inconnues des risques assurés ; qu’elle est inhérente à la gestion de l’assurance construction en semi-répartition  ; que si le taux de la prime subséquente, très nettement supérieur à celui de la décennale entrepreneur, a pu apparaître, entre 1979 et 1982, comme un moyen pour l’A.R.C.E.S. de dissuader les adhérents de sortir du « pool » d’assurance, en fait les délais de paiement accordés pour acquitter le montant de cette prime étaient tels que, compte tenu de l’évolution générale des prix, ce régime ne présentait, à cet égard, pas de caractère discriminatoire par rapport au régime de « l’individuelle de base » ; qu’en outre la prime subséquente n’était due que si J’assuré demandait le maintien des garanties dans le temps et que dans tous les cas où l’assuré a fait savoir qu’il n’entendait pas continuer à bénéficier de la garantie subséquente, le paiement de la prime n’a pas été exigé ; que l’exigence de cette prime ne présentait pas non plus de ce point de vue un caractère discriminatoire,

D E C I D E :

Les pratiques des groupements d’assurance des risques de la construction, dénoncées par le Syndicat national du second oeuvre, ne sont pas visées par les dispositions de l’article 50 de l’ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945.

Délibéré en section, sur le rapport de M. P. Lepetit, dans sa séance du 7 juillet 1987 où siégeaient : M. BETEILLE, vice-président, présidant les délibérations MM. BON, FRIES, Mme LORENCEAU, MM. MARTIN LAPRADE, SCHMIDT, membres.

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Adresse originale : http://www.rajf.org/spip.php?article799