Il était possible au législateur, sans méconnaître les objectifs de la directive précitée de 1976, de mettre en place, pour des motifs de santé publique, un régime de contrôle préalable des établissements de fabrication ou d’importation des produits cosmétiques, distinct du régime applicable à la mise sur le marché de ces produits.
CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N° 230848
FEDERATION DES INDUSTRIES DE LA PARFUMERIE
M. Donnat, Rapporteur
Mme Boissard, Commissaire du gouvernement
Séance du 5 avril 2002
Lecture du 12 avril 2002
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
Sur le rapport de la 1ère sous-section de la Section du contentieux
Vu la requête, enregistrée le 28 février 2001 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée par la FEDERATION DES INDUSTRIES DE LA PARFUMERIE, dont le siège est 33, avenue des Champs-Elysées (75008), représentée par son président en exercice ; la FEDERATION DES INDUSTRIES DE LA PARFUMERIE demande au Conseil d’Etat :
1°) l’annulation pour excès de pouvoir des dispositions du e) de l’article R. 5263 et de celles de l’article R. 5263-2, introduites dans le code de la santé publique par le décret n° 2000-569 du 23 juin 2000 relatif aux produits cosmétiques et modifiant le code de la santé publique, ainsi que de la décision implicite de refus née du silence gardé pendant plus de quatre mois par le ministre de l’emploi et de la solidarité sur la demande qu’elle lui a adressée tendant au retrait de ces dispositions ;
2°) la condamnation de l’Etat à lui verser la somme de 20 000 F au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu la directive du Conseil n° 76/768/CEE du 27 juillet 1976 concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives aux produits cosmétiques ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de M. Donnat, Maître des Requêtes,
les conclusions de Mme Boissard, Commissaire du gouvernement ;
Sur la légalité externe du décret attaqué :
Considérant qu’aux termes de l’article 22 de la Constitution du 4 octobre 1958 : « Les actes du Premier ministre sont contresignés, le cas échéant, par les ministres chargés de leur exécution » ; que, s’agissant d’un acte réglementaire, les ministres chargés de son exécution sont ceux qui ont compétence pour signer ou contresigner les mesures que comporte nécessairement l’exécution du décret ; que si les dispositions de l’article R. 5263-7, introduit dans le code de la santé publique par le décret attaqué, confient aux préfets le soin d’autoriser un fabricant ou un importateur de produits cosmétiques à ne pas inscrire un ingrédient sur l’emballage de ce produit, le ministre de l’intérieur n’a pas pour autant, contrairement à ce que soutient la requérante, à signer ou contresigner des mesures que comporterait nécessairement l’exécution du décret attaqué ; que le moyen tiré de l’absence de contreseing du ministre de l’intérieur ne peut, par suite, qu’être écarté ;
Sur la légalité interne du décret attaqué :
En ce qui concerne les dispositions du e) de l’article R. 5263 du code de la santé publique :
Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête,
Considérant que la directive du Conseil n° 76/768 CEE du 27 juillet 1976 concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives aux produits cosmétiques définit les mesures que doivent prendre les Etats afin, d’une part, de protéger le consommateur et, d’autre part, de faciliter la libre circulation de ces produits ; que, pour la réalisation du premier objectif, les articles 3, 4, 5 et 5 bis de la directive énoncent les prescriptions auxquelles doivent répondre les produits cosmétiques pour pouvoir être mis sur le marché ; que ces prescriptions sont relatives à la fois à la composition du produit et à l’obligation de faire figurer un certain nombre de mentions sur le récipient et l’emballage ; que, pour la réalisation du second objectif, la directive, après avoir énoncé à son article 7 que les Etats membres ne peuvent, pour des raisons tenant aux exigences contenues dans la directive, refuser, interdire ou restreindre la mise sur le marché des produits cosmétiques qui répondent aux prescriptions indiquées ci-dessus, limite à deux les obligations que les Etats peuvent imposer aux opérateurs lors de la mise sur le marché de ces produits ; que la première de ces obligations, prévue par le 3 de l’article 7, est de mettre à la disposition d’une autorité compétente, désignée par l’Etat membre, les informations relatives aux substances utilisées par le produit qui sont nécessaires pour pouvoir traiter médicalement dans les meilleurs délais un utilisateur en cas de troubles ; que la seconde obligation, précisée à l’article 7 bis, est de spécifier sur l’étiquette du produit l’adresse à laquelle les autorités nationales pourront, à des fins de contrôle, accéder aux informations relatives à la formule, aux spécifications, à la méthode de fabrication, à l’évaluation de la sécurité et autres données techniques relatives au produit en cause ;
Considérant que le législateur, par une loi du 1er juillet 1998, a transposé la directive mentionnée ci-dessus en ajoutant au code de la santé publique de nouvelles dispositions codifiées aujourd’hui aux articles L. 5131-1 à L. 5131-9 ; que l’article L. 5131-6 de ce code dispose en particulier qu’« un produit cosmétique ne peut être mis sur le marché que - si son récipient et son emballage comportent le nom ou la raison sociale et l’adresse du fabricant ou du responsable de la mise sur le marché, (…) - et si le fabricant ou son représentant, ou la personne pour le compte de laquelle le produit cosmétique est fabriqué, ou le responsable de la mise sur le marché d’un produit cosmétique importé pour la première fois d’un Etat non membre de la Communauté européenne ou non partie à l’accord sur l’Espace économique européen, tient effectivement à la disposition des autorités de contrôle, à l’adresse mentionnée ci-dessus, un dossier rassemblant toutes informations utiles (…), notamment sur la formule qualitative et quantitative, les spécifications physico-chimiques et microbiologiques, les conditions de fabrication et de contrôle, l’évaluation de la sécurité pour la santé humaine, les effets indésirables de ce produit cosmétique, et les preuves de ses effets revendiqués lorsque la nature de l’effet ou du produit le justifie » ; qu’à l’occasion de cette transposition, le législateur a conservé, tout en le modifiant, le régime applicable aux établissements qui fabriquent, conditionnent ou importent des produits cosmétiques, dont l’ouverture et l’exploitation sont soumises, en application de l’article L. 5131-2, à une déclaration préalable auprès de l’agence française de sécurité sanitaire des produits de santé ; que la détermination du contenu de cette déclaration a été renvoyée, par l’article L. 5131-9, à un décret en Conseil d’Etat, intervenu le 23 juin 2000 ; que la fédération requérante conteste la disposition de ce décret qui prévoit, au e) de l’article R. 5263 du code de la santé publique, que la déclaration souscrite lors de l’ouverture ou de l’exploitation de l’établissement doit indiquer « l’adresse précise du lieu de détention du dossier prévu à l’article L. 5131-6 pour chaque produit cosmétique » ;
Considérant qu’il était possible au législateur, sans méconnaître les objectifs de la directive précitée de 1976, de mettre en place, pour des motifs de santé publique, un régime de contrôle préalable des établissements de fabrication ou d’importation des produits cosmétiques, distinct du régime applicable à la mise sur le marché de ces produits ;
Considérant toutefois que la disposition de l’article R. 5263 du code de la santé publique qui vient d’être mentionnée, combinée avec celle du dernier alinéa de l’article R. 5263 qui impose de compléter la déclaration prévue à l’article L. 5132-1 chaque fois qu’une modification est apportée aux indications fournies, a pour effet d’imposer la communication de l’adresse où est détenu le dossier correspondant à chaque produit commercialisé non seulement au stade de la mise sur le marché, sous la forme d’une mention sur le récipient ou l’emballage comme le prévoit la directive, mais également au stade antérieur de l’ouverture de l’établissement, pour les produits dont la mise sur le marché est envisagée dès cette ouverture, et préalablement à la commercialisation, pour les produits nouveaux que le fabricant ou l’importateur se proposerait de mettre sur le marché ultérieurement ; qu’une telle démarche préalable est incompatible avec les objectifs fixés par les termes clairs de la directive précitée du 27 juillet 1976 ; que la fédération requérante est, par suite, fondée à demander l’annulation du décret attaqué en tant qu’il insère dans le code de la santé publique les dispositions du e) de l’article R. 5263 ;
En ce qui concerne les dispositions de l’article R. 5263-2 du code de la santé publique :
Sans qu’il soit besoin d’examiner l’autre moyen de la requête,
Considérant qu’aux termes du 3 de l’article 7 de la directive précitée du 27 juillet 1976 : « (...) tout Etat membre peut exiger, dans l’intérêt d’un traitement médical rapide et approprié en cas de troubles, que des informations adéquates et suffisantes concernant les substances utilisées dans les produits cosmétiques soient mises à la disposition de l’autorité compétente qui veillera à ce que lesdites informations ne soient utilisées qu’aux fins dudit traitement » ; que l’article L. 5131-7 du code de la santé publique, qui procède à la transposition des dispositions précitées de la directive, prévoit que « la mise sur le marché à titre gratuit ou onéreux d’un produit cosmétique est subordonnée à la transmission aux centres antipoison (…), désignés par arrêté des ministres chargés de la santé, de la consommation et de l’industrie, d’informations adéquates et suffisantes concernant les substances utilisées dans ce produit » ; que l’article L. 5131-9 du même code renvoie à un décret en Conseil d’Etat le soin de préciser (…) « 5° les conditions de transmission aux centres antipoison (...) des informations mentionnées à l’article L. 5131-7 » ;
Considérant qu’il résulte des dispositions précitées des articles L. 5131-7 et L. 5131-9 du code de la santé publique que le législateur, faisant usage de la possibilité ouverte par le 3 de l’article 7 de la directive, a désigné les centres antipoison comme les autorités compétentes auxquelles doivent être mises à la disposition les informations adéquates et suffisantes concernant les substances utilisées dans les produits cosmétiques ; que le pouvoir réglementaire ne pouvait dès lors légalement, par les dispositions attaquées de l’article R. 5263-2 du code de la santé publique, renvoyer à un arrêté des ministres chargés de la santé, de la consommation et de l’industrie le soin de désigner « l’autorité compétente » à laquelle le responsable de la mise sur le marché d’un produit cosmétique doit transmettre, lors de sa première mise sur le marché, les informations adéquates et suffisantes concernant les substances utilisées dans ce produit, tout en précisant que ces mêmes informations devraient être dans le même temps « communiquées aux centres antipoison » ; que la fédération requérante est, par suite, fondée à soutenir que les dispositions de l’article R. 5263-2 du code de la santé publique méconnaissent celles des articles L. 5131-7 et L. 5131-9 du même code ;
Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de condamner l’Etat à payer à la FEDERATION DES INDUSTRIES DE LA PARFUMERIE la somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : Le décret du 23 juin 2000 est annulé en tant qu’il insère dans le code de la santé publique les dispositions du e) de l’article R. 5263 et celles de l’article R. 5263-2.
Article 2 : L’Etat versera à la FEDERATION DES INDUSTRIES DE LA PARFUMERIE la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la FEDERATION DES INDUSTRIES DE LA PARFUMERIE est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la FEDERATION DES INDUSTRIES DE LA PARFUMERIE, au Premier ministre, au ministre de l’emploi et de la solidarité et au ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.
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