La mise en œuvre du contrôle de constitutionnalité des lois dans l’ordonnancement normatif de la République française

Par Roland RICCI
Maître de conférences à l’université de Cergy-Pontoise
- Centre d’études et de recherche : Fondements du droit public (CER/FDP)

Le contrôle de constitutionnalité des lois, qui a fait son apparition en France avec la promulgation de la Constitution du 4 octobre 1958, est l’accessoire indispensable du constitutionnalisme. En effet, il ne serait d’aucune utilité de poser le principe du recours à l’acte constituant, acte de souveraineté du peuple, et de ne pas assurer le respect des prescriptions contenues dans cet acte. C’est d’ailleurs sur cette base que se sont élaborées les ébauches et les premières applications du contrôle de constitutionnalité des lois.

Dès l’origine le contrôle de constitutionnalité des lois a été justifié par l’adoption de la distinction entre pouvoir constituant et pouvoirs constitués. Les prescriptions du premier ne pouvant être contredites par les actes du second. C’est sur cette base que E.J. Sieyès a tenté dès 1793, sans succès, de mettre en place un « Jury constitutionnaire », puis que les Etats-Unis d’Amérique ont accueilli le principe du contrôle de constitutionnalité des lois dans le célèbre arrêt Marbury v. Madison. Si le contrôle de constitutionnalité des lois a d’abord vu le jour selon les modalités qui ont toujours cours aux Etat-Unis, un contrôle confié à chaque juge qui peut écarter l’application d’une loi qu’il estime contraire à la Constitution, les Etats du continent européen ont adopté une autre organisation du contrôle de constitutionnalité des lois.

Le « modèle européen » de justice constitutionnelle, qui est apparu en Autriche en 1920, sous l’inspiration de H. Kelsen, repose sur une autre conception : l’attribution à une juridiction spécialisée de la compétence d’annulation des actes législatifs contraires aux normes constitutionnelles. L’instauration de ce contrôle par voie d’action, procès fait à un acte législatif, s’oppose dans son principe au « modèle américain » de justice constitutionnelle. Celui-ci repose sur la mise à l’écart d’un texte qui continue cependant d’appartenir à l’ordonnancement normatif et se trouve par conséquent susceptible d’être de nouveau appliqué. Dans les faits les prérogatives dont jouit la Cour suprême des Etats-Unis et l’importance du « précédent » dans le droit américain atténuent cette caractéristique. Toutefois le modèle européen de justice constitutionnelle accepte de tirer toutes les conséquences de la distinction entre pouvoir constituant et pouvoirs constitués : les actes des pouvoirs constitués reconnus contraires aux prescriptions du pouvoir constituant doivent être sortis de vigueur. Cette différence est extrêmement importante car la validité des actes du pouvoir législatif est conditionnée par le respect effectif des normes constitutionnelles. Il s’agit d’une conception de la représentation répartie sur deux niveaux : la représentation constituante ressortissant aux normes constitutionnelles qui sont la signification de l’acte de volonté du constituant originaire, c’est-à-dire, selon les principes du constitutionnalisme, du peuple souverain ; et la représentation législative, qui confie au parlement, organe constitué, la tâche d’élaborer les normes d’application de la constitution.

Sur cette base le modèle européen de justice constitutionnelle s’est perfectionné et a vu sa mise en œuvre s’enrichir de nombreux procédés destinés à en améliorer l’efficacité dans le cadre des démocraties constitutionnelles. Il n’y a donc pas uniformité des modalités de contrôle de constitutionnalité des lois en raison des conditions de mise en œuvre de ce contrôle. En effet, dans la mesure où le contrôle de constitutionnalité des lois est instauré lors de l’élaboration de la loi fondamentale, les modalités de son déroulement dépendent de la finalité que lui assigne l’auteur de cet acte de volonté. En d’autres termes ces modalités seront déterminées selon la fonction assignée au contrôle de constitutionnalité des lois dans un Etat donné.

Dès lors, au sein du modèle européen de justice constitutionnelle, chaque système normatif autonome dispose d’une organisation particulière du contrôle de constitutionnalité des lois. Compte tenu des multiples configurations envisageables, nous nous proposons d’examiner la conception française du contrôle de constitutionnalité des lois. Toutefois son analyse se heurte à un problème de méthode : la détermination des paramètres permettant de décrire et d’évaluer les propriétés du contrôle de constitutionnalité des lois en France. Ce problème n’est cependant pas spécifique aux modalités françaises du contrôle de constitutionnalité des lois, il concerne, de manière plus générale, la fonction et les attributs de ce contrôle au sein d’une démocratie constitutionnelle. En fait il existe des propriétés inhérentes au contrôle de constitutionnalité des lois dans une démocratie constitutionnelle. Ce n’est qu’après les avoir définies que nous pourrons disposer des références nécessaires à l’appréciation des modalités particulières du contrôle de constitutionnalité des lois en France.

1 Les propriétés du contrôle de constitutionnalité des lois dans une démocratie constitutionnelle

Les justifications habituellement avancées pour expliquer la nécessité d’instaurer un contrôle de conformité des actes législatifs aux normes constitutionnelles ne représentent qu’une partie, parfois inexacte, des éléments qui rendent ce type de contrôle indissociable d’une véritable démocratie constitutionnelle. Ce n’est qu’à partir des fins assignées à un régime politique construit selon les principes de la démocratie constitutionnelle que l’on peut déterminer la fonction que revêt en son sein le contrôle de constitutionnalité des lois. La présence d’un tel mécanisme, s’il repose sur un choix du constituant, doit être associée à un certain nombre de caractéristiques qui permettent d’assurer l’efficacité de ce contrôle. La mise en évidence de ces paramètres fournit alors les éléments indispensables à la conformation du contrôle de constitutionnalité des lois. Autrement dit il s’agit de déterminer les procédés les mieux adaptés à cette mise en œuvre afin d’obtenir un contrôle efficace de la conformité de la production normative législative aux prescriptions constitutionnelles. Néanmoins certaines questions relatives à l’interprétation et à l’application de la constitution ne sont pas nécessairement traitées de manière satisfaisante par les pouvoirs constitués. Dans ce cas, comme le principe de base de la démocratie constitutionnelle réside dans la reconnaissance du pouvoir constituant originaire du peuple, il est nécessaire de prévoir l’intervention du peuple afin qu’il puisse se prononcer, en dernier ressort, sur ces questions juridiques fondamentales.

1.1 La fonction du contrôle de constitutionnalité

Le propre des normes juridiques est de pouvoir instaurer n’importe quel impératif à partir du moment où les règles de formation des actes les insérant dans un système normatif donné sont respectées. En conséquence il n’existe que deux moyens de conditionner le contenu préceptif d’une norme juridique : soit l’auteur de l’acte, faisant usage de son libre arbitre, désire lui assigner un contenu déterminé, soit l’auteur de l’acte est obligé de lui donner un contenu déterminé en raison des contraintes imposées par le système normatif dans lequel ces normes vont s’insérer.

La première branche de l’alternative débouche sur deux variantes qui ne lui confèrent pas les caractéristiques d’un procédé fiable ni acceptable. Elle conduit en effet, soit à attendre de l’auteur d’un acte un comportement qu’il demeure libre de ne pas adopter, soit à tenter de lui imposer ce comportement en conditionnant alors son pouvoir d’appréciation, ce qui revient à lui ôter son libre arbitre.

En fait la liberté de choix demeure le principe de base du constitutionnalisme au moment de l’adoption de l’acte constituant par le peuple. C’est précisément ensuite pour garantir ce choix que l’on est obligé de recourir à la deuxième branche de l’alternative afin de conditionner le contenu des normes juridiques d’application de la constitution. Il s’agit alors d’imposer le respect des prescriptions constitutionnelles en agissant non sur les personnes, mais sur les actes des autorités disposant d’un pouvoir normatif : leur entrée et leur maintien en vigueur sont subordonnés à leur conformité aux prescriptions constitutionnelles.

Il est nécessaire à ce moment de répondre brièvement à une objection récurrente cherchant à écarter toute tentative de régulation par le groupe social organisé sous la forme étatique. Les arguments qui y sont rattachés reposent sur une conception de la liberté des individus comme un absolu requérant la limitation corrélative du pouvoir de l’Etat.

En premier lieu il ne faut pas confondre structure étatique et usage abusif du pouvoir au sein de cette structure. S’il est certain qu’en supprimant le pouvoir étatique on élimine les abus éventuels de ce pouvoir, il en résulte également que l’on détruit les possibilités pour une collectivité donnée d’élaborer et de faire respecter les principes fondamentaux de son organisation sociale. S’il n’existe pas de structure étatique, ou si son effectivité se voit réduite à l’extrême, le pouvoir sera alors exercé par les différentes formations sociales de taille restreinte, constituées autour d’intérêts particuliers, et usant de leur puissance pour les défendre sans égard pour les objectifs de la collectivité.

En second lieu la présence d’une structure étatique n’est pas incompatible avec la liberté individuelle. C’est au contraire l’inclusion du respect des droits individuels dans une constitution qui demeure le moyen le plus efficace pour garantir la liberté des personnes.

Il résulte de tout cela que la fonction du contrôle de constitutionnalité est de préserver les actes de volonté librement adoptés par le peuple et consignés dans l’instrumentum « Constitution ». C’est également cette fonction qui établit l’importance du contentieux constitutionnel. En effet ce contentieux ne présente pas par lui-même des caractéristiques justifiant qu’on lui accorde une attention particulière. En revanche le rôle qu’il remplit dans une démocratie constitutionnelle doit le placer au centre des préoccupations des citoyens comme des juristes : tout disfonctionnement dans ce contentieux se répercutera sur l’ensemble du système normatif.

C’est encore la fonction du contrôle de constitutionnalité qui légitime la présence et l’action des juridictions constitutionnelles. On tente parfois d’opposer la légitimité des parlementaires au défaut de légitimité des juges. Si la loi dans le système juridique français est parfois conçue comme un acte de souveraineté qui ne devrait pas être censuré par un juge, c’est que la constitution n’est alors pas perçue comme représentant la volonté du peuple souverain. La légitimité du parlement est restreinte à la fonction qui lui est conférée dans une démocratie constitutionnelle : la confection des normes législatives dans le respect des prescriptions constitutionnelles. Dans ce cadre le législateur dispose effectivement d’un pouvoir d’appréciation, mais d’un pouvoir conditionné par les prescriptions constitutionnelles.

La fonction du juge constitutionnel l’autorise à contrôler la loi. Dans ce cadre il n’est pas nécessaire que l’autorité juridictionnelle dispose d’une légitimité préalablement à l’exercice de sa fonction. C’est au contraire l’exercice de la fonction qui confère au juge sa légitimité. Les limites de son action résident alors dans le respect de la constitution et dans la possibilité pour le peuple d’intervenir et de réaffirmer ou de modifier le contenu des prescriptions constitutionnelles.

La fonction du contrôle de constitutionnalité des lois est par conséquent l’accessoire indispensable du constitutionnalisme. Néanmoins, encore faut-il que les conditions dans lesquelles se déroule ce contrôle soient adaptées à sa fonction. Cela conduit nécessairement à dégager les paramètres de l’efficacité du contrôle de constitutionnalité.

1.2 Les paramètres de l’efficacité du contrôle de constitutionnalité

La configuration du contrôle de constitutionnalité des lois dépend du résultat que l’on désire atteindre. Dans la mesure où ce contrôle vise effectivement à obtenir le respect de la volonté du constituant, il doit tenir compte des paramètres provenant de l’exigence d’efficacité de ce contrôle. Parmi ces paramètres certains jouent un rôle déterminant : la possibilité de contrôler l’ensemble des normes en vigueur, la faculté de saisir une juridiction chaque fois que se révèle un conflit concernant des normes constitutionnelles, la réparation de la lésion du système normatif.

La première des conditions nécessaires à l’instauration d’un contrôle de constitutionnalité des lois efficient réside dans la possibilité de contrôler la conformité aux prescriptions constitutionnelles non seulement de l’ensemble de la production normative, mais plus généralement de toutes les normes en vigueur. Cela signifie qu’à tout moment, dans un système normatif donné, on pourra saisir une autorité juridictionnelle qui dispose de la compétence pour exercer ce contrôle. Cette condition appelle plusieurs précisions sur l’étendue du contrôle qui doit pouvoir porter sur l’ensemble des normes présentes dans l’espace normatif, quel que soit le moment de leur entrée en vigueur.

•La modalité la plus connue du contrôle de constitutionnalité concerne le contrôle de conformité des lois ordinaires à la constitution. En fait les ordonnancements normatifs comportent également d’autres catégories de normes, qui ne sont pas nécessairement des lois ordinaires, mais qui viennent pourtant entrer en conflit avec les normes constitutionnelles. Par conséquent un contrôle efficient doit autoriser le contrôle de l’ensemble des normes qui entrent en conflit avec les prescriptions constitutionnelles.

•Il faut alors faire la différence entre les normes d’application de la constitution, que l’on appelle normes primaires car de premier rang, et les normes secondaires provenant à leur tour d’une application des normes primaires. Il est seulement nécessaire que le contrôle de constitutionnalité des lois investisse les normes primaires, les normes secondaires ressortissant alors à la compétence d’autres juridictions.

•Toutefois les normes mettant en œuvre les prescriptions constitutionnelles peuvent être de nature diverse car elles ne sont pas toutes des lois ordinaires. Il existe dans nombre de systèmes juridiques des normes d’application de la constitution intégrées au corpus constitutionnel. Il s’agit de lois constitutionnelles appliquant la constitution mais ne revêtant pas la nature d’actes du constituant originaire. Nous connaissons également dans l’ordre juridique français les lois organiques qui occupent un rang hiérarchique intermédiaire entre la constitution et les lois ordinaires. Il s’avère nécessaire de prévoir le contrôle de conformité à la constitution de l’ensemble de ces normes.

•Il faut également tenir compte des normes d’origine transnationale qui pénètrent dans l’espace normatif étatique et qui sont susceptibles d’entrer en conflit avec les normes constitutionnelles. La prééminence de la constitution suppose là encore que ces conflits puissent être tranchés.

•Enfin le contrôle de constitutionnalité doit pouvoir porter sur l’ensemble des normes en vigueur. Si une ou plusieurs catégories de normes échappent au contrôle de conformité à la constitution, soit en raison du lieu de leur production, soit en raison de la date de leur entrée en vigueur, la cohérence du système normatif en sera affectée et la volonté du peuple auteur de la constitution ne sera plus respectée.

Le deuxième critère vise à ce que les modalités du contrôle permettent effectivement la confrontation des normes d’application de la constitution avec les normes constitutionnelles. Il a trait à la possibilité de saisir une juridiction constitutionnelle chaque fois qu’un conflit entre normes juridiques implique une norme constitutionnelle. Il concerne également la détermination des normes de référence de ce contrôle

•L’efficacité du contrôle de constitutionnalité dépend fortement des conditions de sa mise en œuvre. En pratique elle résulte de la procédure organisant la saisine de la juridiction et le déroulement de l’instance. En matière de contrôle de constitutionnalité la limitation des saisines entraîne en corollaire une restriction de l’impact de ce contrôle sur l’ordonnancement normatif.

•Si l’on cherche à restreindre le choix des normes de référence du contrôle de constitutionnalité, par exemple pour préserver le pouvoir d’appréciation d’une autorité constituée, ou en refusant d’y inclure une déclaration des droits ou un préambule, on empêche également le contrôle du respect de l’ensemble des paramètres de la constitution. Il s’avère particulièrement difficile de déterminer a priori, et de manière permanente, l’importance d’une catégorie donnée de normes dans l’architecture du système normatif. Dans la mesure où des dispositions concourent à l’expression des actes de volonté du constituant originaire il n’y a aucune raison pour que les normes qui en sont issues ne puissent servir de référence à un contrôle de constitutionnalité.

Le troisième critère exige que le résultat du contrôle débouche sur une réparation de la lésion constatée au sein du système normatif. En effet le propre du constitutionnalisme est d’ordonner un système normatif en instaurant une hiérarchie au sommet de laquelle se trouve l’acte consignant les choix opérés par le constituant originaire. Le fait que demeure en vigueur une norme inférieure contraire aux prescriptions constitutionnelles provoque une lésion de l’ordonnancement normatif facteur d’incohérence.

•Par conséquent les juges constitutionnels doivent disposer d’un pouvoir d’annulation ou de réformation des normes qui leur sont déférées, dans des limites bien établies, de manière à éliminer ces incohérences.

•Cela implique également que les décisions des juges constitutionnels disposent d’une autorité absolue de chose jugée afin que la déclaration d’inconstitutionnalité d’une norme soit sanctionnée par sa sortie de vigueur.

•Enfin le contrôle de l’exécution des décisions juridictionnelles ne doit pas être négligé afin que l’efficacité du contrôle de constitutionnalité des lois ne soit pas entravée par l’inexécution des décisions.

Les paramètres qui viennent d’être exposés doivent ensuite être transposés et adaptés aux particularités de chaque organisation juridictionnelle, lors de la mise en œuvre du contrôle de constitutionnalité des lois.

1.3 La mise en œuvre du contrôle de constitutionnalité des lois

Les conditions de la saisine des juridictions constitutionnelles ainsi que l’organisation du déroulement de l’instance sont également des facteurs essentiels de l’efficacité du contrôle de constitutionnalité.

De ce point de vue le modèle européen de justice constitutionnelle présente un avantage certain en ce qu’il confie la garantie juridictionnelle de la constitution à une juridiction unique créée à cet effet et disposant du pouvoir d’annuler les actes législatifs. Il n’est en effet pas satisfaisant pour la sécurité juridique que l’application d’une norme reconnue contraire à la constitution soit uniquement écartée lors de l’affaire jugée mais demeure en vigueur. Toutefois, même dans le cadre du modèle européen de justice constitutionnelle, l’efficacité du contrôle de constitutionnalité dépend étroitement des conditions de la saisine du juge constitutionnel.

Conformément aux critères que nous avons dégagés, cette saisine doit être possible pour l’ensemble des actes d’application de la constitution, ainsi que pour ceux introduisant dans l’ordonnancement normatif des dispositions provenant d’autres systèmes juridiques et entrant en conflit avec la constitution. Par ailleurs la saisine doit nécessairement pouvoir intervenir a posteriori en raison des caractéristiques du contrôle opéré qui porte sur la confrontation de normes juridiques.

•Le contrôle de constitutionnalité comporte la mise en relation de normes de rang hiérarchique différent. Les normes inférieures devant être conformes aux normes supérieures. Or une norme juridique étant la signification objective de dispositions, on ne peut déterminer avec certitude la signification de dispositions avant leur entrée en vigueur. C’est la confrontation des dispositions normatives avec les situations de fait, c’est-à-dire leur application juridique, qui permet d’en dégager la signification selon des paramètres juridiques mais également sociologiques. Il s’avère dès lors essentiel que le contrôle puisse porter sur les significations effectivement attribuées aux dispositions normatives, ce qui ne peut être réalisé qu’a posteriori.

•Il est également indispensable de tenir compte du fait qu’un système normatif n’est jamais statique. Il constitue le terrain de modifications continuelles du contenu des normes ainsi que des relations instaurées entre elles. De la sorte la signification de dispositions est susceptible de varier en fonction des transformations de l’environnement normatif, et seul un contrôle a posteriori permet le suivi de ces modifications.

•Le contrôle a posteriori présente aussi l’avantage de permettre la mise en cohérence d’un ordre juridique à la suite d’un changement de constitution. Dans un tel cas seule une saisine a posteriori autorise la vérification de la conformité à la nouvelle constitution des normes entrées en vigueur sous l’ancienne constitution. En effet à la suite d’un changement de constitution, même si pour des raisons évidentes de sécurité juridique l’ensemble des normes juridiques est maintenu en vigueur, ces normes ne bénéficient alors que d’une présomption de conformité susceptible d’être infirmée par un contrôle opéré par rapport aux nouvelles prescriptions constitutionnelles.

L’instauration d’un contrôle a posteriori, qui n’est d’ailleurs pas exclusive d’un contrôle a priori, ne développe pleinement ses effets que dans la mesure où la saisine de la juridiction constitutionnelle est possible chaque fois qu’une norme dont la contrariété à la constitution apparaît vraisemblable est appliquée. Cela suppose que la saisine de la juridiction constitutionnelle soit possible au cours des instances juridictionnelles, par voie d’exception d’inconstitutionnalité, ou lorsqu’un droit fondamental d’un individu est lésé. D’autres modalités de saisine peuvent être envisagées mais il est essentiel qu’une loi contraire à la constitution puisse être déférée devant le juge constitutionnel chaque fois qu’elle produit des effets juridiques.

Il ne s’agit là que des précautions les plus évidentes destinées à mettre en œuvre un contrôle de constitutionnalité efficace. Le sujet est extrêmement vaste et complexe et il ne lui est pas souvent prêté toute l’attention nécessaire, notamment lors des réformes de l’organisation juridictionnelle. Cependant les éléments que nous venons de mettre en évidence doivent encore être complétés par un dispositif qui n’est généralement pas envisagé : l’intervention du constituant originaire lorsqu’il existe un désaccord persistant sur la manière dont s’exerce le contrôle de constitutionnalité.

1.4 La nécessité de permettre au peuple de se prononcer en dernier ressort

L’objection fréquemment élevée contre le contrôle de constitutionnalité des lois concerne l’institution de limites effectives à l’activité des juges constitutionnels. Bien que le contrôle juridictionnel soit la forme de contrôle la plus élaborée dont nous disposons dans nos sociétés, il est tout à fait normal que l’on s’inquiète des éventuels disfonctionnements d’une juridiction constitutionnelle et que l’on cherche à y remédier.

Il ne servirait à rien de prévoir l’intervention d’un autre juge pour contrôler l’activité du juge constitutionnel car on multiplierait alors les degrés de contrôle sans pour autant obtenir un remède efficace. La nature du contentieux constitutionnel ne nécessite pas un autre degré de juridiction car il est au contraire souhaitable d’harmoniser les diverses interprétations des textes législatifs et constitutionnels. Puisqu’il s’agit de mettre en œuvre une garantie juridictionnelle de l’acte de volonté du peuple, constituant originaire, la seule solution acceptable consiste à lui permettre de trancher les conflits récurrents concernant le contrôle de constitutionnalité. Il s’avère alors souhaitable d’instaurer une procédure destinée à mettre en évidence le conflit, par exemple par le dépôt de demandes d’initiative populaire ou provenant d’institutions représentatives. Par la suite cette procédure peut déboucher, en cas d’échec des tentatives de résolution, sur une intervention du peuple sous forme de référendum constituant portant sur le problème juridique récurrent. Il apparaît dans tous les cas indispensable, compte tenu des buts du constitutionnalisme, qu’au sein d’une démocratie constitutionnelle le dernier mot puisse revenir au peuple.

Ces quelques éléments, même s’ils participent d’une conception raisonnée du contrôle de constitutionnalité des lois, se heurtent aux traditions institutionnelles ainsi qu’à l’absence de culture juridique des populations des Etats concernés. En effet les questions juridiques ne font qu’exceptionnellement l’objet d’une information objective et d’un débat public véritablement contradictoire. C’est ce qui explique notamment les caractéristiques que revêt le contrôle de constitutionnalité des lois en France.

2 Les caractéristiques du contrôle de constitutionnalité des lois en France

Le contrôle de constitutionnalité des lois été instauré en France sous une forme qui ne correspond pas aux paramètres que nous avons évoqués en raison de multiples facteurs juridiques et politiques : il se déroule uniquement avant la promulgation des lois et sur saisine du Président de la République, du Premier ministre, du président de chacune des deux chambres du Parlement ou de soixante députés ou soixante sénateurs. Le contrôle porte également sur les conflits entre normes constitutionnelles et conventions ou accords internationaux avant leur ratification ou leur approbation, et concerne, de manière systématique, les lois organiques avant leur promulgation et les règlements des assemblées avant leur mise en application.

Cette situation ne serait pas remarquable si nous obtenions avec les modalités françaises du contrôle de constitutionnalité des lois un résultat acceptable en terme d’efficacité. Or c’est loin d’être le cas car le contrôle opéré souffre de nombreuses lacunes qui ne sont d’ailleurs pas à mettre nécessairement à la charge du Conseil constitutionnel. Ces insuffisances résultent en premier lieu des circonstances ayant entouré l’instauration du contrôle de constitutionnalité qui repose sur une justification équivoque. Le respect de l’expression de la volonté constituante du peuple n’était pas au centre des préoccupations des constituants de 1958 et c’est sans surprise que ce contrôle se révèle doté d’une efficacité limitée. La procédure qui lui a été associée se révèle rudimentaire et, de plus, a pris soin de tenir le citoyen à l’écart du déroulement du contrôle de constitutionnalité des lois.

2.1 Une justification équivoque

Lors de l’élaboration de la Constitution de 1958, les constituants n’ont à aucun moment voulu se rattacher aux principes du constitutionnalisme ni au mouvement de création des cours constitutionnelles intervenu après la guerre de1939-1945 destiné à assurer la garantie juridictionnelle des principes fondamentaux de la démocratie. La défiance vis à vis des juges ainsi que la conception de la loi comme « expression de la volonté générale » ont débouché sur la création du Conseil constitutionnel entendu non comme une juridiction constitutionnelle mais comme un accessoire du parlementarisme rationalisé. Il s’agissait alors de s’assurer que le Parlement n’outrepasserait pas ses prérogatives et que le pouvoir normatif du Gouvernement en matière réglementaire ne serait pas entravé.

Cette conception transparaît notamment dans la décision du Conseil constitutionnel n° 62-20 DC, du 6 novembre 1962, rendue sur saisine du Président du Sénat à propos de la loi relative à l’élection du Président de la République au suffrage universel direct, qui avait été adoptée par le peuple lors du référendum du 28 octobre 1962. Dans cette décision les conseillers font référence à « l’esprit de la Constitution qui a fait du Conseil constitutionnel un organe régulateur de l’activité des pouvoirs publics ». Il en ressort clairement que la fonction juridictionnelle du Conseil constitutionnel est étroitement conditionnée par la place qui lui a été octroyée au sein des institutions mises en place par la Constitution du 4 octobre 1958.

Toutefois des aménagements ont été introduits de manière à conférer au Conseil constitutionnel le statut d’une juridiction constitutionnelle à part entière. Néanmoins il subsiste une grande différence entre un organe régulateur qui a conquis des compétences juridictionnelles limitées, et une juridiction constitutionnelle destinée à garantir le respect des normes issues des dispositions adoptées par le constituant originaire, conformément aux principes du constitutionnalisme. Les limites de la fonction juridictionnelle exercée par le Conseil constitutionnel proviennent notamment du manque d’efficacité du contrôle opéré par rapport à l’ensemble des normes juridiques en vigueur.

2.2 Un contrôle à l’efficacité limitée

Il est indiscutable que le Conseil constitutionnel a su développer sa fonction juridictionnelle, toutefois le contrôle qu’il exerce demeure marqué par les conditions de sa création. Il faut en effet mettre au crédit du Conseil constitutionnel l’accroissement de ses normes de références lors de la décision n° 71-44 DC du 16 juillet, « Liberté d’association ». Ce facteur, associé à l’élargissement de la saisine ouverte à soixante députés ou soixante sénateurs par la loi constitutionnelle n° 74-904 du 29 octobre 1974 portant révision de l’article 61 de la Constitution, n’a cependant pas suffit à conférer une véritable efficacité au contrôle de constitutionnalité des lois en France.

En effet le contrôle, qui ne peut se dérouler qu’avant la promulgation des textes législatifs, ne porte aujourd’hui que sur environ dix pour cent des lois ordinaires promulguées chaque année. Par conséquent, malgré tous les arguments utilisés pour assimiler le contrôle de constitutionnalité des lois à une véritable garantie juridictionnelle de la Constitution, il n’en demeure pas moins que la plus grande partie des lois en vigueur dans notre système juridique n’a pas fait l’objet d’un contrôle de conformité aux prescriptions constitutionnelles. Outre le fait que le contrôle de constitutionnalité des lois ignore quatre-vingt-dix pour cent des lois ordinaires promulguées, il ne peut concerner que de manière très exceptionnelle les lois déjà promulguées. Echappent également à tout contrôle les lois adoptées par référendum, les lois promulguées sous les constitutions antérieures à celle de la Veme République ainsi que l’immense majorité de celles qui l’ont été avant 1974. Dans de telles conditions on ne peut sérieusement affirmer que le contrôle de constitutionnalité des lois en France possède un impact comparable à celui qu’il revêt au sein des démocraties où toutes les normes de rang législatif en vigueur sont susceptibles d’être déférées devant le juge constitutionnel.

Toutes les tentatives de réforme ont à ce jour échoué et l’on assiste régulièrement au dépôt de projets et propositions de loi constitutionnelle pour pallier ces inconvénients du système juridique français. Toutefois, tant qu’une véritable réforme de la justice constitutionnelle ne sera pas réalisée, l’impact du contrôle opéré par le Conseil constitutionnel sur le contenu de notre ordonnancement normatif demeurera très faible.

Cette faiblesse est d’ailleurs accrue par l’impossibilité pour la juridiction constitutionnelle française de veiller à l’exécution correcte de ses décisions. En effet lorsque le Conseil constitutionnel assortit ses décisions de réserves d’interprétation, c’est-à-dire lorsqu’il conditionne l’application de dispositions législatives, dont il a accepté l’entrée en vigueur, à l’adoption d’une interprétation déterminée, une application contraire à ces réserves ne pourra déboucher sur l’annulation du texte promulgué. Cela diminue encore l’efficacité du contrôle de constitutionnalité des lois en France. En fait les conditions dans lesquelles se déroule ce contrôle sont la conséquence de la procédure rudimentaire qui assure sa mise en œuvre.

2.3 Une procédure rudimentaire

La procédure choisie pour opérer le contrôle de constitutionnalité des lois dans le système juridique français porte également la marque de la finalité de ce contrôle tel qu’il a été envisagé en 1958. Outre le fait, que nous avons déjà mentionné, qu’elle n’autorise qu’un contrôle restreint car se déroulant a priori, avant la promulgation des lois, et sur saisine restreinte, la procédure est empreinte d’une rusticité certaine en ce qui concerne la technique d’analyse des textes déférés.

L’intérêt d’une saisine a priori des juridictions constitutionnelles réside dans la possibilité d’empêcher l’entrée en vigueur d’un texte qui serait porteur d’une grave inconstitutionnalité. Mais l’efficacité des contrôles a posteriori parvient au même résultat au moment de l’entrée en vigueur avec un effet dissuasif beaucoup plus prononcé. Le faible intérêt du contrôle a priori a notamment conduit à son abandon dans le système juridique espagnol. Surtout, le contrôle a posteriori permet un examen des dispositions normatives telles qu’elles sont appliquées et non telles que l’on imagine qu’elles seront appliquées.

C’est là l’un des inconvénients majeurs du contrôle a priori en terme de technique de contrôle de constitutionnalité des lois. En effet un texte peut revêtir de multiples significations qui se révéleront uniquement lors de l’application de ces dispositions, c’est-à-dire au moment de leur confrontation avec des situations de fait. Dès lors vouloir déterminer les significations qui seront affectées à des textes avant leur application relève d’une technique pour le moins rudimentaire. Faute de pouvoir prendre en compte la signification réelle d’un texte le juge constitutionnel est contraint de recourir à une signification virtuelle qui sera supposée se réaliser. Non seulement le juge, quelles que soient ses compétences, ne pourra envisager l’ensemble des significations qui seront assignées à un texte, mais encore les modifications de l’environnement normatif et factuel peuvent transformer considérablement l’interprétation des textes.

En fait, lors d’un contrôle a posteriori le juge constitutionnel se prononce sur les relations entre des prescriptions constitutionnelles et la signification d’un texte appliqué à des faits ; mais lors d’un contrôle a priori le juge ne prend en compte que les significations qui résultent d’une simulation d’application. Dans le premier cas l’ensemble des paramètres de l’ordre juridique et les comportements sociaux seront pris en compte ; dans le second cas les paramètres proviennent de la culture juridique de la juridiction concernée, les facteurs extérieurs étant appréhendés au travers de ce filtre. Dans le système français ce filtre « correcteur » intègre l’agencement spécifique résultant de la combinaison entre parlementarisme et constitutionnalisme, qui se réalise au détriment de la mise en place d’une démocratie constitutionnelle.

Par ailleurs l’intervention unique du juge constitutionnel l’oblige à recourir à un nombre réduit de dispositifs. Il ne peut s’instaurer, comme on l’observe dans les systèmes ayant adopté un contrôle a posteriori, un dialogue avec le Parlement. En effet dans ce cadre les juges constitutionnels peuvent adresser des injonctions au législateur qui, en cas de refus de les prendre en compte, déboucheront lors d’une saisine ultérieure sur l’annulation des normes contraires aux prescriptions constitutionnelles, mais avaient été laissées en vigueur. Ces techniques du contrôle de constitutionnalité des lois demeurent hors d’atteinte du Conseil constitutionnel qui est tenu par la configuration actuelle du contrôle de constitutionnalité des lois. Celui-ci est dès lors obligé de recourir à de multiples réserves d’interprétation dont le non-respect n’est que très rarement sanctionné. Sinon il faudrait procéder à des déclarations d’inconstitutionnalité chaque fois que la technique de la réserve d’interprétation ne peut être utilisée avec suffisamment d’efficacité et de fiabilité. Mais dans ce cas la fréquence des déclarations d’inconstitutionnalité mettrait certainement à mal la politique jurisprudentielle du Conseil constitutionnel, encore qu’il s’agirait d’un révélateur des insuffisances actuelles du contrôle de constitutionnalité en France.

La comparaison avec les techniques de contrôle élaborées par les juridictions constitutionnelles allemande et italienne démontre la rusticité des modalités françaises du contrôle de constitutionnalité. Ces juridictions ont en effet recours à des techniques de correction normative des lésions de l’ordonnancement normatif qui seraient aggravées par une annulation des dispositions non conformes aux prescriptions constitutionnelles. Ces techniques sont également un moyen efficace de combattre l’inertie des parlements à remplacer une législation défaillante. Néanmoins ces modalités de contrôle sont actuellement hors d’atteinte du Conseil constitutionnel.

La principale conséquence de la configuration actuelle du contrôle de constitutionnalité des lois est de ne pas rendre effective la distinction entre pouvoir constituant et pouvoirs constitués. Cette distinction demeure pourtant une garantie essentielle pour les citoyens. La situation est encore aggravée par les autres caractéristiques du contentieux qui se déroule devant le Conseil constitutionnel car le citoyen reste le grand absent du contrôle de constitutionnalité des lois en France.

2.4 Un grand absent : le citoyen

C’est à propos de la place du citoyen dans le contrôle de constitutionnalité des lois que l’aspect paradoxal du système français apparaît au grand jour. Non seulement la garantie juridictionnelle de la volonté du peuple n’est pas la priorité du mécanisme de contrôle de constitutionnalité des lois, mais encore le citoyen n’a aucune possibilité de participer à la protection des droits fondamentaux que lui reconnaît la Constitution. La lésion de ses droits n’est pas un moyen recevable pour initier le contrôle d’une loi déjà promulguée et, bien sûr, il n’est pas autorisé à saisir la juridiction constitutionnelle.

Dans les démocraties constitutionnelles européennes le système de contrôle de constitutionnalité des lois s’exerce généralement a posteriori et prévoit dans certains cas une saisine directe des cours constitutionnelles par les citoyens lorsqu’il est porté atteinte à leurs droits fondamentaux. Au sein des mécanismes de garantie juridictionnelle de la Constitution où une saisine directe n’existe pas, son instauration est discutée. On est bien loin de ces préoccupations dans le cadre du contrôle de constitutionnalité des lois existant en France. La seule idée d’un contrôle a posteriori soulève un flot d’oppositions même assorti des mécanismes de filtre qu’avait prévu en 1993 le Comité consultatif pour la révision de la Constitution.

Le citoyen français est également dépourvu de toute possibilité de demander une révision de la Constitution pour modifier la configuration du contrôle de constitutionnalité des lois, ni d’ailleurs pour faire prévaloir sa volonté à la suite d’une décision du Conseil constitutionnel. Pour cela il doit compter, selon les procédures, sur le bon vouloir des parlementaires ou des plus hautes autorités de l’Etat. En fait le peuple français ne semble pas disposer de la capacité juridique, il doit toujours se faire assister pour exercer ses droits. Ainsi lorsque les parlementaires sont d’accord pour ne pas saisir la juridiction constitutionnelle à propos de textes aussi essentiels que la refonte du code pénal, leurs dispositions ne font l’objet d’aucun contrôle de conformité à la Constitution.

En définitive la configuration du contrôle de constitutionnalité en France illustre la particularité des conceptions françaises en la matière. Toutefois les inconvénients de cette situation ne sont que très rarement mis en évidence et les projets de réforme de la justice continuent d’ignorer « l’étage » constitutionnel.

* * *

L’examen des modalités de mise en œuvre du contrôle de constitutionnalité des lois dans l’ordre juridique français est indépendant de l’appréciation de l’action du Conseil constitutionnel. La question ne porte pas sur le fait de déterminer si l’on doit adresser des critiques ou des louanges au Conseil constitutionnel. En revanche il est nécessaire que les questions tenant aux modalités d’exercice du contrôle de constitutionnalité soient exposées dans toute leur ampleur sans que l’on craigne de porter ombrage à la juridiction constitutionnelle.

Ainsi en assimilant le Conseil constitutionnel aux autres juridictions constitutionnelles, on fait table rase des nombreuses différences en terme d’efficacité du contrôle de constitutionnalité des lois que nous avons succinctement mises en évidence. Il ne faut pas alors s’attendre à ce que la Haute juridiction se livre à une autocritique car ce n’est pas de son ressort. Le principal inconvénient de cette situation est que l’on accepte alors de considérer comme satisfaisant le silence et l’impuissance imposés au peuple. Puisque les parlementaires se plaignent, à juste titre, du rôle subalterne réservé au Parlement, pourquoi ne pourrait-on s’inquiéter de l’absence de considération pour le peuple. En effet bien que le Conseil constitutionnel ait affirmé que la loi votée « n’exprime la volonté générale que dans le respect de la Constitution » (décision n° 85-197 DC du 23 août 1985), dans les faits la conception actuelle de la représentation associée aux modalités du contrôle de constitutionnalité en vigueur dépossèdent le peuple de ses prérogatives constituantes.

Pour qu’une démocratie constitutionnelle soit effective il est nécessaire que le peuple dispose non seulement de la capacité juridique pour s’exprimer, mais également qu’un nombre suffisamment important de citoyens maîtrise les concepts nécessaires à l’exercice éclairé de cette capacité juridique. Or, sur ce point, il existe en France un déficit de culture juridique nuisible à l’exercice de la démocratie. Le peuple français est-il à ce point immature pour accepter que l’on agisse à sa place ? Les circonstances sociales et culturelles qui ont permis aux modalités françaises du régime représentatif de se mettre en place à la période révolutionnaire ont pourtant profondément changé. La Constitution de 1958, fruit d’un compromis historiquement daté, n’a certes laissé au peuple que peu de prérogatives mais cela ne saurait l’exonérer des conséquences de sa passivité en la matière. Les citoyens français ont leur part de responsabilité dans la configuration actuelle du contrôle de constitutionnalité des lois.

___________
Citation : Roland RICCI, La mise en œuvre du contrôle de constitutionnalité des lois dans l’ordonnancement normatif de la République française , 1er mai 2001, http://www.rajf.org/spip.php?article63

© - Tous droits réservés - Roland RICCI