Conseil d’Etat, 22 février 2002, n° 235345, Société des Pétroles Shell

Pour la mise en oeuvre de la condition d’urgence posée à l’article L. 521-1 du code de justice administrative, il appartient au juge des référés de procéder à une appréciation globale de l’ensemble des circonstances de l’espèce qui lui est soumise. En rapprochant à cette fin, d’une part, les contraintes que l’exécution dans le délai prescrit de l’arrêté préfectoral impliquait pour l’exploitant de la station service, et d’autre part, les avantages que la réalisation immédiate des travaux prescrits par cet arrêté pouvait présenter pour la prévention des risques d’accident, le juge des référés n’a pas commis d’erreur de droit.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au Contentieux

N° 235345

SOCIETE DES PETROLES SHELL

M. Thiellay, Rapporteur

M. Lamy, Commissaire du gouvernement

Séance du 8 février 2002

Lecture du 22 février 2002

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux (Section du contentieux)

Sur le rapport de la 6ème sous-section de la section du contentieux

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 29 juin et 11 juillet 2001 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la SOCIETE DES PETROLES SHELL demandant au Conseil d’Etat l’annulation de l’ordonnance du 14 juin 2001 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa requête tendant à la suspension de l’exécution de l’arrêté du préfet de l’Ain du 8 décembre 2000 fixant des prescriptions spéciales applicables à l’exploitation d’installations de distribution et de stockage de carburants à Bellegarde-sur-Valserine ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de l’environnement ;

Vu le code de justice administrative, notamment son livre V ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Thiellay, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de la SOCIETE DES PETROLES SHELL,

- les conclusions de M. Lamy, Commissaire du gouvernement ;

Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête ;

Considérant que, par l’ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Lyon a, en se fondant sur ce que la condition d’urgence posée par l’article L. 521- 1 du code de justice administrative n’était selon lui pas remplie, rejeté la demande de la SOCIETE DES PETROLES SHELL qui tendait à la suspension de l’arrêté du 8 décembre 2000 par lequel le préfet de l’Ain a fixé des prescriptions spéciales applicables à une station-service exploitée par cette société à Bellegarde-sur-Valserine et les a assorties d’un délai d’exécution de trois mois ;

Considérant qu’aux termes de l’article L. 521-1 du code de justice administrative : "Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision" ;

Considérant que pour la mise en oeuvre de la condition d’urgence posée à l’article L. 521-1 du code de justice administrative, il appartient au juge des référés de procéder à une appréciation globale de l’ensemble des circonstances de l’espèce qui lui est soumise ;

Considérant qu’en rapprochant à cette fin, d’une part, les contraintes que l’exécution dans le délai prescrit de l’arrêté préfectoral impliquait pour l’exploitant de la station service, et d’autre part, les avantages que la réalisation immédiate des travaux prescrits par cet arrêté pouvait présenter pour la prévention des risques d’accident, le juge des référés du tribunal administratif de Lyon n’a pas commis d’erreur de droit ;

Mais considérant qu’en estimant que la condition de l’urgence à prononcer la suspension n’était pas remplie alors qu’il avait constaté, d’une part, que l’exécution des prescriptions imposées par le préfet à la SOCIETE DES PETROLES SHELL impliquait, soit la réalisation de "travaux importants", soit l’arrêt de l’exploitation de la station-service et, d’autre part, que selon une étude de dangers établie par le bureau Véritas en février 2000 et un rapport complémentaire de mai 2001, les risques de fuite de carburant étaient "extrêmement improbables", le juge des référés a fondé sa décision sur une appréciation des faits entachée de dénaturation ; que, dès lors, la société requérante est fondée à demander l’annulation de l’ordonnance attaquée ;

Considérant qu’aux termes de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, le Conseil d’Etat, s’il prononce l’annulation d’une décision d’une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut "régler l’affaire au fond si l’intérêt d’une bonne administration de la justice le justifie" ; que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de régler l’affaire au titre de la procédure de référé engagée ;

Considérant, d’une part, qu’il résulte de l’instruction que l’arrêté du préfet de l’Ain, en date du 8 décembre 2000, a pour objet et pour effet d’imposer à la SOCIETE DES PETROLES SHELL de réaliser des aménagements spéciaux "pour éliminer les risques d’explosion et d’incendie pouvant entraîner la mise en danger de personnes ayant la qualité de tiers par rapport à la station service" et pour permettre, notamment, d’éviter une surpression au droit de l’immeuble riverain supérieure à 10 mbar et un flux thermique supérieur à 3 kW/m² ; qu’il résulte également de l’instruction, et notamment des études techniques réalisées par le Bureau Véritas, que, pour atteindre ces normes, la société devrait engager des travaux très importants alors que, comme il a été dit ci-dessus, le risque d’accident est extrêmement réduit ; qu’ainsi, eu égard à l’objet et aux effets ainsi définis de l’arrêté du préfet de l’Ain du 8 décembre 2000, la condition de l’article L. 521-1 du code de justice administrative relative à l’urgence est remplie ;

Considérant, d’autre part, que les moyens tirés par la SOCIETE DES PETROLES SHELL de ce que l’arrêté contesté serait entaché, d’une part, d’une d’erreur de droit au regard des articles L. 511-1 et L. 512-12 du code de l’environnement et, d’autre part, d’une erreur manifeste d’appréciation sont de nature à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de cet arrêté ;

Considérant qu’il y a lieu, par suite, de prononcer la suspension de l’exécution de celui-ci ;

D E C I D E :

Article 1er : L’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Lyon en date du 14 juin 2001 est annulée.

Article 2 : L’exécution de l’arrêté du préfet de l’Ain en date du 8 décembre 2000 est suspendue.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE DES PETROLES SHELL et au ministre de l’aménagement du territoire et de l’environnement.

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Adresse originale : http://www.rajf.org/spip.php?article558