Conseil d’Etat, 12 novembre 2001, n° 222159, SARL SO.CA.OR

Les règles relatives au paiement des acomptes et du solde d’un marché sont celles en vigueur à la date à laquelle ce marché a été conclu ; qu’il en résulte que c’est à tort que le tribunal administratif de Bastia a fait application des dispositions de l’article 352 du code des marchés publics dans la rédaction que lui avait donnée le décret du 30 novembre 1990 et qui, entrées en vigueur le 4 décembre 1990, n’étaient pas applicables au marché en cause qui avait été conclu le 26 septembre 1990.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 222159

SARL SO.CA.OR

M. Peylet, Rapporteur

Mme Bergeal, Commissaire du gouvernement

Séance du 15 octobre 2001

Lecture du 12 novembre 2001

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire. enregistrés les 19 juin 2000 et 20 octobre 2000 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la SARL SO.CA.OR, dont le siège est Villa Santa Maria Peau à Corte (2020) ; la SARL SO.CA.OR demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler l’arrêt du 28 mars 2000 par lequel la cour administrative d’appel de Marseille, à la demande de la commune de Corte, a annulé le jugement du 14 mai 1998 du tribunal administratif de Bastia et a rejeté sa demande tendant à ce que la commune de Corte soit condamnée à lui verser une indemnité de 596 249 F en règlement des situations de travaux qui ont été émises contre récépissé au maître d’oeuvre les 25 avril 1991, 12 novembre 1991 et 9 septembre 1992, afférentes au marché conclu le 26 septembre 1990 entre la SARL SO.CA.OR et la société CORSAM, mandataire de la commune de Corte, pour la réalisation d’un lotissement communal à vocation de zone d’activités artisanales ;

2°) de condamner la commune de Corte à lui verser la somme de 25 000 F au titre de l’article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code des marchés publics ;

Vu le code général des collectivités territoriales ;

Vu le décret n° 76-87 du 21 janvier 1976 modifié approuvant le cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux ;

Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Peylet, Conseiller d’Etat,

- les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de la SARL SO.CA.OR,

- les conclusions de Mme Bergeal, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la commune de Corte et la SARL SO.CA.OR ont conclu le 26 septembre 1990 un marché en vue de la réalisation, sur le territoire de cette commune, de travaux d’aménagement d’un lotissement à vocation de zone artisanale ; que trois acomptes, correspondant aux projets de décompte n°S2, 5 et 6 remis contre récépissé au maître d’oeuvre par l’entreprise les 22 août 1991, 12 novembre 1991 et 9 septembre 1992, n’ont été payés à celle-ci que le 22 juillet 1994 ; que, par un jugement du 14 mai 1998, le tribunal administratif de Bastia a fait droit, dans la limite de ses conclusions, à la demande de la SARL SO.CA.OR tendant au paiement des intérêts moratoires dus en raison du retard de mandatement de ces acomptes ; que la SARL SO.CA.OR se pourvoit contre l’arrêt du 28 mars 2000 par lequel la cour administrative d’appel de Marseille, à la demande de la commune de Corte, a annulé ce jugement et rejeté les conclusions de la SARL SO.CA.OR ;

Sans qu’il soit besoin d’examiner l’autre moyen de la requête :

Considérant que, pour annuler le jugement du 14 mai 1998 du tribunal administratif de Bastia, la cour administrative d’appel s’est fondée sur le moyen tiré de ce que ce tribunal avait commis une erreur de droit en faisant application de dispositions du code des marchés publics qui n’étaient pas applicables au marché en cause ; qu’il ne résulte toutefois ni des pièces du dossier ni des mentions de l’arrêt que ce moyen ait été invoqué par les parties et qu’il leur ait été préalablement communiqué ; qu’ainsi la cour administrative d’appel a méconnu les dispositions de l’article R. 153-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel, en vigueur à la date de l’arrêt attaqué ; qu’il en résulte que la SARL SO.CA.OR est fondée à demander l’annulation de l’arrêt du 28 mars 2000 de la cour administrative d’appel de Marseille ;

Considérant qu’aux termes de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, le Conseil d’Etat, s’il prononce l’annulation d’une décision d’une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut "régler l’affaire au fond si l’intérêt d’une bonne administration de la justice le justifie" ; que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de régler l’affaire au fond ;

Considérant que les règles relatives au paiement des acomptes et du solde d’un marché sont celles en vigueur à la date à laquelle ce marché a été conclu ; qu’il en résulte que c’est à tort que le tribunal administratif de Bastia a fait application des dispositions de l’article 352 du code des marchés publics dans la rédaction que lui avait donnée le décret du 30 novembre 1990 et qui, entrées en vigueur le 4 décembre 1990, n’étaient pas applicables au marché en cause qui avait été conclu le 26 septembre 1990 ;

Considérant toutefois qu’il appartient au Conseil d’Etat, saisi de l’ensemble du litige par l’effet dévolutif de l’appel, d’examiner les autres moyens soulevés par la SARL SO.CA.OR à l’appui tant de sa requête devant le tribunal administratif, que de ses conclusions présentées par la voie de l’appel incident devant la cour administrative d’appel ;

Considérant qu’aux termes de l’article 353 du code des marchés publics dans la rédaction que lui avait donnée le décret n° 85-1143 du 30 octobre 1985, en vigueur à la date du 26 septembre 1990 à laquelle le marché a été conclu : "La collectivité ou l’établissement contractant est tenu de procéder au mandatement des acomptes et du solde dans un délai qui ne peut dépasser quarante-cinq jours (...) Le délai court à partir des termes périodiques ou du terme final fixés par le marché ou, lorsque le marché n’a pas fixé de tels termes. à partir de la réception de la demande du titulaire (...) appuyée des justifications nécessaires. Cette demande doit être adressée au représentant légal de la collectivité ou de l’établissement contractant, ou à toute autre personne désignée par le marché. par lettre recommandée avec avis de réception postal or lui être remise contre récépissé dûment daté et inscrit sur un registre tenu à cet effet, Dès le retour de l’avis de réception postal ou dès la remise du récépissé, le titulaire adresse au comptable assignataire une note comportant les renseignements indispensables à l’identification de la créance et précisant la date de réception de la demande de paiement portée sur l’avis ou sur le récépissé (...) Sous réserve des dispositions de l’article 353 bis. le défaut de mandatement dans le délai prévu aux alinéas précédents fait courir de plein droit et sans autre formalité. au bénéfice du titulaire ou du sous-traitant, des intérêts moratoires (...)" ; qu’en vertu des stipulations de l’article 13-23 du cahier des clauses administratives générales applicables au marché : "Le mandatement de l’acompte doit intervenir 45 jours au plus tard après la date à laquelle le projet de décompte est remis par l’entrepreneur au maître d’oeuvre" ;

Considérant d’une part, qu’il résulte de l’instruction que, la SARL SO.CA.OR a présenté contre récépissé respectivement les 22 août 1991, 12 novembre 1991 et 9 septembre 1992. des demandes de paiement des acomptes n°S2, 5 et 6, à la direction départementale de l’équipement de Corse, qui était maître d’oeuvre ; qu’ainsi cette société avait bien accompli la formalité, prévue par l’article 13.23 du cahier des clauses administratives générales et l’article 353 du code des marchés publics, déclenchant le délai de paiement de 45 jours ;

Considérant, d’autre part, que les dispositions de l’article 353 du code des marchés publics imposant au titulaire du marché d’adresser au comptable assignataire, dès la remise des récépissés attestant le dépôt des demandes de paiement des acomptes, une note comportant les renseignements indispensables à l’identification de la créance et précisant la date de réception de la demande de paiement portée sur le récépissé, a seulement pour objet de permettre au comptable d’accomplir auprès de l’ordonnateur les démarches que lui imposent les dispositions issues de la loi du 9 janvier 1986. codifiées depuis à l’article L. 1612-18 du code général des collectivités territoriales, lorsque les intérêts moratoires sont dûs de plein droit par suite d’un retard de paiement ; que l’accomplissement de cette formalité par le titulaire du marché n’est ainsi pas prescrit à peine de déchéance de son droit au versement de ces intérêts ; que, dès lors, la circonstance que la SARL SO.CA.OR n’aurait pas adressé une telle note au comptable assignataire, en ce qui concerne les acomptes n°S2, 5 et 6, n’a pas eu pour effet de lui faire perdre le droit au paiement desdits intérêts ;

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la commune de Corte n’est pas fondée à se plaindre de ce que, par son jugement du 14 mai 1998, le tribunal administratif de Bastia l’a condamnée à payer à la SARL SO.CA.OR les intérêts moratoires dus en raison du retard de mandatement des acomptes correspondant aux décomptes n°S2, 5 et 6 du marché du 26 septembre 1990 ;

Considérant qu’il résulte de l’instruction que le montant des intérêts moratoires dus à la SARL SO.C.A.OR s’élève à la somme de 596 249 F, qui n’est pas contestée par la commune de Corte ; qu’il y a lieu de faire droit à la demande de la SARL SO.CA.OR tendant au paiement de cette somme et de réformer en ce sens le jugement du 14 mai 1998 du tribunal administratif de Bastia ;

Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 reprises à l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de condamner la commune de Corte à verser à la SARL SO.CA.OR la somme de 25 000 F qu’elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : L’arrêt du 28 mars 2000 de la cour administrative d’appel de Marseille est annulé.

Article 2 : Les conclusions présentées par la commune de Corte devant la cour administrative d’appel de Marseille sont rejetées.

Article 3 : La somme que la commune de Corte a été condamnée à payer à la SARL SO.CA.OR. en règlement des intérêts moratoires dus à celle-ci, par le jugement du 14 mai 1998 du tribunal administratif de Bastia, est portée à 596 249 F.

Article 4 : Le jugement du 14 mai 1998 du tribunal administratif de Bastia est réformé en ce qu’il a de contraire à la présente décision.

Article 5 : La commune de Corte est condamnée à payer à la SARL SO.CA.OR la somme de 25 000 F au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à la SARL SO.CA.OR, à la commune de Corte et au ministre de l’équipement, des transports et du logement.

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