Le juge électoral n’épingle pas l’agrafe

Par Benoît TABAKA
Chargé d’enseignements à l’Université de Paris V - René Descartes et Paris X - Nanterre

Pour le Conseil d’Etat, le fait qu’un bulletin de vote soit agrafé à un second comportant le nom d’un autre candidat ne constitue pas un signe de reconnaissance.

Référence : CE, 7 novembre 2001, n° 234858, Elections municipales de Vis-en-Artois

L’agrafe constitue-t-elle un signe de reconnaissance ? A cette question originale, le juge administratif suprême a eu l’occasion de répondre par la négative dans une décision en date du 7 novembre 2001 (Elections municipales de Vis-en-Artois). Cet arrêt vient compléter la construction jurisprudentielle des signes de reconnaissance.

L’article L. 66 du Code électoral dispose que "les bulletins blancs, ceux ne contenant pas une désignation suffisante ou dans lesquels les votants se sont fait connaître, les bulletins trouvés dans l’urne sans enveloppe ou dans des enveloppes non réglementaires, les bulletins écrits sur papier de couleur, les bulletins ou enveloppes portant des signes intérieurs ou extérieurs de reconnaissance, les bulletins ou enveloppes portant des mentions injurieuses pour les candidats ou pour des tiers n’entrent pas en compte dans le résultat du dépouillement". Les bulletins ou enveloppes litigieux doivent être annexés au procès-verbal sous peine de nullité du scrutin.

De cette disposition, le juge administratif a réalisé une construction prétorienne afin de séparer les signes de reconnaissance volontaires, destinés à dévoiler la personnalité des électeurs – et donc, portant atteinte au secret du vote, des erreurs matérielles ou de manipulation permettant l’admission desdits bulletins de vote.

Le juge électoral a ainsi eu l’occasion de sanctionner des bulletins comportant des déchirures irrégulières (CC, n° 68-539 AN du 24 octobre 1968, Gard ; CC 97-2203 AN du 09 décembre 1997 Gard), visant notamment à faire disparaître le nom du candidat (CE, 30 mars 1955, n° 27359, Elections municipales de Pissotte), des bulletins froissés anormalement (CE, 30 juin 1960, Elections municipales de Serres Sainte-Marie, n° 47.726). Le juge a également admis comme signe de reconnaissance des pliures significatives et caractéristiques des bulletins ou des enveloppes (CC, 97-2238 AN, 29 janvier 1998, AN Essonne) ou, de manière plus anecdotique, les bulletins pliés en cocotte ou en accordéon (TA Saint-Denis de la Réunion, 8 juin 1977, Elections municipales de Saint-Pierre).

A l’opposé, le juge des élections a admis un bulletin de vote sur lequel figurait, outre les noms de deux candidats, celui d’un conseiller général qui n’avait pas fait la déclaration de candidature (CE, 13 décembre 1976, Elections au Conseil régional d’Aquitaine, n° 3.014), l’adjonction, sur des bulletins portant le nom de 8 candidats, d’une bande gommée portant le nom d’un autre candidat (CE, 23 novembre 1977, Elections municipales de Sailly-en-Ostrevent, n° 9.000), voire le fait que sur un bulletin, le nom d’un candidat ait été entouré d’un trait afin de le séparer plus clairement des noms des candidats qui avaient été rayés (CE, 23 novembre 1977, Elections municipales de Rébréchien, n° 8.707).

En outre, le juge ne sanctionnera ni des bulletins dont l’intitulé a été rayé, alors qu’ils comportent les noms de candidats de deux listes concurrentes, ni des bulletins, sur lesquels les noms qui ne sont pas rayés sont encadrés, précédés d’une croix, d’un tiret ou d’un numéro matérialisant la volonté des électeurs de ne pas voter pour plus de candidats qu’il n’y avait de sièges à pourvoir (CE, Section, 1er décembre 1978, Elections municipales de Thiais, n° 8.775). Ne seront pas plus frappés de nullité, les bulletins qui ont fait l’objet d’une déchirure maladroitement pratiquée en vue de n’y laisser subsister qu’un seul nom (CE, 4 janvier 1978, Elections municipales de Bains-les-Bains, n° 8.546), ou les bulletins retrouvés dans une enveloppe accompagné d’un bulletin blanc (CE, 30 avril 1980, Elections cantonales de Villeneuse sur Lot, n° 18.977).

De manière générale, le juge recherchera si le signe apporté au bulletin, quel qu’il soit, est susceptible de dévoiler la personnalité du votant. C’est donc naturellement que le juge a refusé de reconnaître dans le simple fait d’adjoindre à un bulletin, un second établi au nom d’un autre candidat, un quelconque signe de reconnaissance. Une illustration supplémentaire de cette lignée jurisprudentielle.

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Citation : Benoît TABAKA, Le juge électoral n’épingle pas l’agrafe, 22 décembre 2001, http://www.rajf.org/spip.php?article341

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