Conseil d’Etat, 17 octobre 2008, n° 291177, Pierrette J.

Les dispositions de l’arrêté du 30 mars 2001 du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie et du ministre de l’agriculture et de la pêche fixant les modalités de l’estimation des animaux abattus sur ordre de l’administration applicables à la présente demande d’indemnisation sont, dès lors qu’il s’agit d’un droit pour l’éleveur intéressé , celles en vigueur à la date à laquelle s’est produit le fait générateur de la créance, qui est la date de la décision précitée du 17 juillet 2001 par laquelle le préfet a prescrit l’abattage du troupeau et a, dans le même temps, constitué le droit pour l’intéressé à percevoir, après cet abattage, l’indemnité due en application de l’article L. 221-2 du code rural.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 291177

Mme J.

M. François Delion
Rapporteur

M. François Séners
Commissaire du gouvernement

Séance du 10 septembre 2008
Lecture du 17 octobre 2008

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 3ème et 8ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 3ème sous-section de la section du contentieux

Vu le pourvoi, enregistré le 10 mars 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présenté pour Mme Pierrette J. ; Mme J. demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler l’arrêt du 30 mai 2005 par lequel la cour administrative d’appel de Nancy a, sur le recours du ministre de l’agriculture, de l’alimentation, de la pêche et des affaires rurales, annulé les articles 1 et 2 du jugement du tribunal administratif de Nancy du 20 mai 2003 et rejeté ses conclusions incidentes ;

2°) réglant l’affaire au fond, de rejeter le recours du ministre et faire droit à ses conclusions incidentes ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-l du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code rural ;

Vu l’arrêté du 30 mars 2001 modifié ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. François Delion, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de Mme J.,

- les conclusions de M. François Séners, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un arrêté du 17 juillet 2001, le préfet de Meurthe-et-Moselle a ordonné l’abattage du troupeau de bovins de Mme J. au motif d’une infection par l’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) ; que, par décision du 14 septembre 2001, le préfet a accordé à l’intéressée à titre d’indemnisation à la suite de l’abattage de son troupeau la somme de 1 567 100 F, soit 238 902, 85 euros ; que , par un jugement du 20 mai 2003, le tribunal administratif de Nancy a majoré l’indemnité due de 12 513, 02 euros ; que, par un arrêt du 30 mai 2005, contre lequel Mme J. se pourvoit en cassation, la cour administrative d’appel de Nancy a, sur le recours du ministre de l’agriculture, de l’alimentation, de la pêche et des affaires rurales, annulé les articles 1 et 2 du jugement du tribunal administratif de Nancy du 20 mai 2003 condamnant l’Etat au paiement d’un complément d’indemnisation et mettant à sa charge la somme demandée par Mme J. au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens, et rejeté les conclusions indemnitaires incidentes présentées par Mme J. ;

Sur le pourvoi :

Considérant que l’arrêt attaqué a été notifié le 4 juin 2005 à Mme J. ; que l’intéressée a présenté une demande d’aide juridictionnelle le 4 août 2005 ; que la décision portant refus d’attribuer cette aide lui a été notifiée le 6 février 2006 ; que le pourvoi présenté par Mme J., enregistré le 10 mars 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, a été introduit dans le délai du recours en cassation ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l’administration a, pour déterminer le montant de l’indemnité due, opéré une distinction entre 27 taurillons et 21 jeunes bœufs indemnisés respectivement 7 520 F (1 146, 2 euros) et 10 560 F (1 609, 86 euros) par tête ; que Mme J. a expliqué de façon développée dans son mémoire en défense enregistré le 12 janvier 2005 au greffe de la cour administrative d’appel et dans ses conclusions incidentes que les rapports d’expertise concluaient en réalité à la prise en compte de 48 jeunes bœufs, susceptibles de faire l’objet d’une indemnisation plus élevée que celle des taurillons ; que, par suite, en se bornant à relever, pour écarter l’indemnisation supplémentaire demandée par Mme J., que l’intéressée n’établissait pas que le recensement des animaux de son exploitation retenu par les rapports d’expertise était erroné, la cour a insuffisamment motivé son arrêt et n’a ainsi pas mis le juge de cassation en mesure d’exercer son contrôle ; que Mme J. est fondée, pour ce motif, à en demander l’annulation ;

Considérant qu’il y a lieu, en application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l’affaire au fond ;

Considérant qu’aux termes de l’article L. 221-2 du code rural : " Des arrêtés conjoints du ministre chargé de l’agriculture et du ministre chargé de l’économie et des finances fixent les conditions d’indemnisation des propriétaires dont les animaux ont été abattus sur l’ordre de l’administration, ainsi que les conditions de la participation financière éventuelle de l’Etat aux autres frais obligatoirement entraînés par l’élimination des animaux " ;

Considérant que les dispositions de l’arrêté du 30 mars 2001 du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie et du ministre de l’agriculture et de la pêche fixant les modalités de l’estimation des animaux abattus sur ordre de l’administration applicables à la présente demande d’indemnisation sont, dès lors qu’il s’agit d’un droit pour l’éleveur intéressé , celles en vigueur à la date à laquelle s’est produit le fait générateur de la créance, qui est la date de la décision précitée du 17 juillet 2001 par laquelle le préfet a prescrit l’abattage du troupeau et a, dans le même temps, constitué le droit pour l’intéressé à percevoir, après cet abattage, l’indemnité due en application de l’article L. 221-2 du code rural ;

Considérant qu’aux termes de l’arrêté du 30 mars 2001 dans sa rédaction alors en vigueur : " Article 1er - Lorsqu’un troupeau fait l’objet d’un abattage total sur ordre de l’administration dans le cadre des dispositions prises pour application des article L. 221-1 ou L. 223-8 du code rural, les animaux abattus et faisant l’objet d’une indemnisation en application de l’article L. 221-2 du code rural sont estimés aux frais de l’administration par deux experts sur la base de leur valeur de remplacement. / Article 3 - Le propriétaire des animaux qui doivent être abattus conformément aux dispositions de l’article 1er choisit un expert de chaque catégorie, l’un sur la liste du département d’implantation de l’élevage, l’autre sur la liste d’un département limitrophe / (.) En cas de refus par l’éleveur de choisir des experts, le directeur des services vétérinaires y procède d’office (.) / Article 4 - L’expertise a lieu, dans la mesure du possible, conjointement. Elle donne lieu à un rapport écrit commun signé par les deux experts, identifiant chaque animal ou groupe d’animaux et motivant leur estimation. En cas de désaccord, mention en est faite sur le rapport. Le cas échéant, deux rapports distincts sont établis. (.) / Article 5 - Lorsque le montant de l’expertise visée à l’article 4 est supérieur au montant de base tel que défini en annexe en moyenne par catégorie d’animaux, le rapport doit détailler les raisons de cette majoration, notamment au regard des caractéristiques et des performances du troupeau. / Lorsque, à titre exceptionnel, ce montant dépasse le montant majoré tel que défini en annexe en moyenne par catégorie d’animaux, et dans l’hypothèse où des examens complémentaires justifient le dépassement du montant majoré, ou s’il l’estime nécessaire, le directeur des services vétérinaires fait procéder à une nouvelle expertise dans les conditions prévues aux articles 3 et 4, par deux experts choisis par ses soins sur les listes prévues à l’article 2 ou, en dehors de ces listes, après avis de la directrice générale de l’alimentation (.) / Article 6 - Le préfet arrête le montant définitif de l’estimation et le notifie au propriétaire des animaux. Si, à titre très exceptionnel, ce montant dépasse le montant majoré visé à l’article 5, le préfet arrête le montant définitif de l’estimation après avis de la directrice générale de l’alimentation et au vu du rapport de l’expert et des pièces justificatives des examens visés à l’article 5" ;

Sur le recours du ministre de l’agriculture et de la pêche :

Sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée par Mme J. :

Considérant qu’il ressort des visas du jugement attaqué que le moyen tiré d’un défaut d’analyse du mémoire en défense présenté par le préfet de Meurthe-et-Moselle et enregistré le 8 mars 2002 manque en fait ;

Considérant qu’ il résulte de l’instruction que le montant de l’indemnité due au titre de l’abattage de 48 jeunes bœufs doit être, compte tenu des estimations retenues par les rapports d’expertise, fixé à 1 609, 86 euros par tête ; que, par suite, le ministre de l’agriculture et de la pêche n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a accordé une indemnité supplémentaire de 82 080 F (soit 12 513, 02 euros) à Mme J. ;

Sur les conclusions incidentes de Mme J. :

Considérant que, compte tenu de ce qui a été dit ci-dessus sur le montant de l’indemnité due au titre de l’abattage de 48 jeunes bœufs, les conclusions incidentes de Mme J. tendant à ce que le montant de l’indemnité par tête soit porté à 1652, 55 euros pour ces jeunes bœufs ne peuvent qu’être rejetées ;

Considérant par ailleurs que le dispositif prévu par l’article L. 221-2 du code rural et l’arrêté du 30 mars 2001 a pour objet d’indemniser les propriétaires sur la base de la " valeur de remplacement " des animaux, y compris les frais de toute nature directement liés au renouvellement du cheptel ; que les dépenses supportées pour l’entretien du troupeau contaminé au cours de la période brève séparant l’expertise de l’abattage, dont Mme J. demande la prise en charge, doivent être réputées forfaitairement incluses dans les montants de base fixés en annexe à l’arrêté du 30 mars 2001 précité et ne peuvent dès lors justifier un complément d’indemnisation au titre de l’article L. 221-12 du code rural ; qu’il appartient toutefois à la propriétaire du troupeau, si elle s’y estime fondée, de demander à être indemnisée par l’Etat, selon les règles de droit commun de la responsabilité, en cas de retard anormal de la part de l’administration dans la mise en œuvre de la mesure d’abattage ; que, par suite, les conclusions incidentes présentées par Mme J. tendant à ce qu’elle soit indemnisée, au titre de divers frais d’entretien postérieurs à l’expertise sur le fondement des dispositions précitées doivent être rejetées ;

Sur les conclusions présentées par Mme J. tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu’il y a lieu, en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l’Etat une somme de 3 000 euros qui sera versée à Mme J. au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens tant en cause d’appel qu’en cassation ;

D E C I D E :

Article 1er : L’arrêt du 30 mai 2005 de la cour administrative d’appel de Nancy est annulé.

Article 2 : Le recours du ministre et les conclusions incidentes de Mme J. sont rejetés.

Article 3 : L’Etat versera à Mme J. une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme Pierrette J. et au ministre de l’agriculture et de la pêche.

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