Conseil d’Etat, 8 octobre 2008, n° 301154, Société La Biomécanique intégrée

En application des dispositions de l’article 2 du décret du 1er octobre 1990, les prothèses présentes sur le marché avant le 10 février 1991 pouvaient provisoirement continuer à être acquises par les établissements hospitaliers publics sans homologation, sous réserve que les dossiers de demande d’autorisation aient été enregistrés dans le délai de trois mois suivant la date d’entrée en vigueur de cet arrêté, soit avant le 9 mai 1991.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 301154

SOCIETE LA BIOMECANIQUE INTEGREE

M. Alain Boulanger
Rapporteur

M. Luc Derepas
Commissaire du gouvernement

Séance du 8 septembre 2008
Lecture du 8 octobre 2008

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 1ère et 6ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 1ère sous-section de la Section du contentieux

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 1er février et 26 avril 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour Me Marie-Dominique DU B., mandataire judiciaire de la SOCIETE LA BIOMECANIQUE INTEGREE, et pour cette société, dont le siège est 6, rue du Languedoc à Bretigny-sur-Orge (91220) ; la SOCIETE LA BIOMECANIQUE INTEGREE demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler l’arrêt du 29 novembre 2006 par lequel la cour administrative d’appel de Paris a rejeté sa requête tendant, d’une part, à l’annulation du jugement du 14 janvier 2003 du tribunal administratif de Paris rejetant sa demande tendant à la condamnation de l’Etat à lui verser la somme de 3 223 881, 80 euros en réparation du préjudice causé par les refus d’homologation de prothèses de hanches qui lui ont été opposés et, d’autre part, à la condamnation de l’Etat à lui verser cette somme, avec intérêts de droit à compter de la demande préalable d’indemnisation ;

2°) de mettre à la charge de l’Etat le versement d’une somme de 3 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la directive n° 83/189/CEE du 28 mars 1983 ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu la loi n° 87-575 du 24 juillet 1987 ;

Vu le décret n° 90-899 du 1er octobre 1990 ;

Vu le décret n° 95-292 du 16 mars 1995 ;

Vu l’arrêté du 4 février 1991 fixant la liste des produits et appareils soumis à homologation ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Alain Boulanger, chargé des fonctions de Maître des requêtes,

- les observations de Me Bertrand, avocat de Me DU B. et de la SOCIETE LA BIOMECANIQUE INTEGREE,

- les conclusions de M. Luc Derepas, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que selon l’article L. 665-1 du code de la santé publique alors applicable, dans sa rédaction issue de la loi du 24 juillet 1987 : " Les produits et appareils à usage préventif, diagnostique ou thérapeutique utilisés en médecine humaine dont l’emploi est susceptible de présenter des dangers pour le patient ou l’utilisateur, directement ou indirectement, ne peuvent être mis sur le marché à titre onéreux ou à titre gratuit s’ils n’ont reçu au préalable une homologation. / L’autorité administrative arrête la liste des catégories de produits et appareils soumis à homologation. / (.) Un décret en Conseil d’Etat fixe les conditions relatives à l’obtention, à l’usage et au maintien de l’homologation ainsi que les règles de procédure et la composition de la commission. Il détermine les dispositions transitoires applicables aux produits et appareils mis sur le marché avant l’entrée en vigueur de la procédure d’homologation " ; qu’en application de ces dispositions, le décret du 1er octobre 1990 a précisé les modalités de l’homologation de certains produits et appareils à usage préventif, diagnostique ou thérapeutique utilisés en médecine humaine dont l’arrêté du 4 février 1991, pris pour son application, a fixé la liste ; qu’en application des dispositions de l’article 2 du décret du 1er octobre 1990, les prothèses présentes sur le marché avant le 10 février 1991 pouvaient provisoirement continuer à être acquises par les établissements hospitaliers publics sans homologation, sous réserve que les dossiers de demande d’autorisation aient été enregistrés dans le délai de trois mois suivant la date d’entrée en vigueur de cet arrêté, soit avant le 9 mai 1991 ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la SOCIETE LA BIOMECANIQUE INTEGREE a déposé, entre le 27 septembre et le 11 octobre 1991, trente-cinq dossiers d’homologation de prothèses ; que ces demandes ayant été enregistrées après le 9 mai 1991, les produits déjà présents sur le marché n’ont pu bénéficier des dispositions transitoires permettant de poursuivre leur commercialisation durant la période d’instruction des dossiers ; que par l’arrêt attaqué du 29 novembre 2006, la cour administrative d’appel de Paris a confirmé le jugement du tribunal administratif de Paris du 14 janvier 2003 qui avait rejeté la demande de la SOCIETE LA BIOMECANIQUE INTEGREE tendant à la condamnation de l’Etat à réparer le préjudice résultant pour elle de l’impossibilité de commercialiser ces produits durant la procédure d’homologation ;

Considérant, en premier lieu, qu’il est constant que l’article 2 du décret du 1er octobre 1990 comporte des modifications par rapport au projet notifié à la Commission européenne en application de la directive n° 83/189/CEE du 28 mars 1983 alors en vigueur, dont l’article 8 impose la communication immédiate à la Commission de tout projet de règle technique au sens de cette directive ; qu’eu égard à la teneur de ces modifications, affectant notamment le délai dans lequel les dossiers de demande d’homologation devaient avoir été enregistrés, cet article est donc entaché d’illégalité laquelle constitue une faute susceptible d’engager la responsabilité de l’Etat ;

Considérant toutefois, d’une part, que l’obligation dans laquelle s’est trouvée la SOCIETE LA BIOMECANIQUE INTEGREE de faire face aux coûts d’homologation de ses produits trouve son origine non dans l’application immédiate des dispositions du décret à sa situation, mais dans l’exigence d’homologation qui résultait de la loi et à laquelle le décret ne pouvait déroger ; que la requérante ne peut dès lors utilement soutenir que la cour aurait commis une erreur de droit en jugeant, pour écarter ce chef de préjudice, que le décret était immédiatement applicable aux dispositifs qu’elle commercialisait ; que, d’autre part, elle ne peut davantage invoquer utilement le même moyen pour contester l’arrêt attaqué, en tant qu’il rejette ses conclusions tendant à l’indemnisation du manque à gagner résultant de l’interdiction de commercialiser ses modèles de prothèses, dès lors que la cour s’est bornée à juger sur ce point qu’il n’était pas établi que la baisse des ventes alléguée aurait eu pour cause l’application immédiate à cette société des dispositions du décret du 1er octobre 1990 ; que, ce faisant, la cour n’a pas, eu égard à la teneur des justifications qui lui étaient fournies, dénaturé les faits de l’espèce ;

Considérant, en second lieu, que si la société requérante soutient que la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit en ne tenant pas pour acquise la responsabilité de l’administration résultant de l’illégalité fautive relevée par la décision du Conseil d’Etat statuant au contentieux du 30 juin 2003, qui a annulé les refus d’homologation opposés en 1994 à trois modèles de prothèses produites par la société requérante au motif que l’administration n’avait pas établi l’applicabilité des normes techniques étrangères retenues en l’espèce, ce moyen est inopérant dès lors que l’arrêt attaqué relève seulement, pour écarter les conclusions indemnitaires correspondantes, que les requérants n’ont apporté aucun élément permettant de relier tout ou partie des pertes de recettes invoquées à ces refus d’homologation ; que la cour administrative d’appel n’a, en statuant ainsi, pas entaché son arrêt de dénaturation des pièces du dossier ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le pourvoi de la SOCIETE LA BIOMECANIQUE INTEGREE doit être rejeté, y compris ses conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :

Article 1er : Le pourvoi de la SOCIETE LA BIOMECANIQUE INTEGREE est rejeté.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à Me Marie-Dominique DU B., à la SOCIETE LA BIOMECANIQUE INTEGREE et à la ministre de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative.

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