Conseil d’Etat, 7 août 2008, n° 299164, Eugène K.

Eu égard au pouvoir d’appréciation dont le ministre est investi par ces dispositions pour déclarer un notaire démissionnaire d’office, la seule mention, dans les visas de l’arrêté attaqué du 15 septembre 2003, de l’ordonnance du 28 juin 1945 et du décret du 28 décembre 1973 ainsi que du jugement du 3 juillet 2003 du tribunal de grande instance de Lorient, dont le ministre n’était, en tout état de cause, pas tenu de s’approprier les termes, ne permet pas de regarder cet arrêté comme comportant l’énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 299164

M. K.

M. Bruno Chavanat
Rapporteur

M. Mattias Guyomar
Commissaire du gouvernement

Séance du 4 juin 2008
Lecture du 7 août 2008

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 6ème et 1ère sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 6ème sous-section de la section du contentieux

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 29 novembre 2006 et 28 février 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour M. Eugène K. ; M. K. demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler l’arrêt du 8 juin 2006 de la cour administrative d’appel de Nantes en tant que, après avoir annulé le jugement du 21 juin 2005 du tribunal administratif de Rennes, il a rejeté, d’une part, sa demande présentée devant ce tribunal tendant à l’annulation de l’arrêté du 15 septembre 2003 par lequel le garde des sceaux, ministre de la justice, l’a déclaré démissionnaire, d’autre part, le surplus de ses conclusions présentées devant la cour ;

2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à sa requête d’appel ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu l’ordonnance n° 45-1418 du 28 juin 1945 ;

Vu la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;

Vu le décret n° 73-1202 du 28 décembre 1973 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Bruno Chavanat, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat de M. K.,

- les conclusions de M. Mattias Guyomar, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que, par un arrêté du 15 septembre 2003, le garde des sceaux, ministre de la justice a, en application de l’article 41 du décret du 28 décembre 1973, déclaré démissionnaire d’office M. K., notaire associé d’une société civile professionnelle titulaire d’un office notarial à la résidence de Lorient ; que le tribunal administratif de Rennes a, par un jugement du 21 juin 2005, rejeté la demande présentée par l’intéressé à fin d’annulation de cet arrêté ; que, statuant en appel, la cour administrative d’appel de Nantes, après avoir annulé le jugement du tribunal administratif, a, par un arrêt du 8 juin 2006, rejeté à son tour les conclusions présentées par M. K. devant ce tribunal ; que M. K. se pourvoit contre cet arrêt ;

Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi ;

Considérant qu’aux termes de l’article 1er de la loi du 11 juillet 1979 : " (.) doivent être motivées les décisions qui (.) abrogent une décision créatrice de droits (.) " ; qu’aux termes de l’article 3 de la même loi : "La motivation exigée par la présente loi doit être écrite et comporter l’énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision" ;

Considérant que la décision par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice a déclaré démissionnaire d’office M. K. et a ainsi abrogé la décision par laquelle l’intéressé avait été nommé dans ses fonctions, est au nombre de celles qui, en vertu des dispositions précitées, doivent être motivées ; que, dès lors, en jugeant que l’arrêté du 15 septembre 2003 n’entre dans aucune des catégories de décisions individuelles défavorables qui doivent être motivées, la cour administrative d’appel a entaché son arrêt d’une erreur de droit ; que M. K. est, pour ce motif, fondé à demander l’annulation de l’article 2 de l’arrêt attaqué ;

Considérant qu’il y a lieu, pour le Conseil d’Etat, de régler l’affaire au fond en application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative ;

Considérant qu’aux termes du deuxième alinéa de l’article 45 de l’ordonnance du 28 juin 1945 relative à la discipline des notaires et de certains officiers ministériels : " Peut également être déclaré démissionnaire d’office, après avoir été mis en demeure de présenter ses observations, l’officier public ou ministériel qui, (.) en raison de son état physique ou mental, est empêché d’assurer l’exercice normal de ses fonctions (.) " ; qu’eu égard au pouvoir d’appréciation dont le ministre est investi par ces dispositions pour déclarer un notaire démissionnaire d’office, la seule mention, dans les visas de l’arrêté attaqué du 15 septembre 2003, de l’ordonnance du 28 juin 1945 et du décret du 28 décembre 1973 ainsi que du jugement du 3 juillet 2003 du tribunal de grande instance de Lorient, dont le ministre n’était, en tout état de cause, pas tenu de s’approprier les termes, ne permet pas de regarder cet arrêté comme comportant l’énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement ; qu’ainsi, M. K. est fondé à soutenir que la décision par laquelle il a été déclaré démissionnaire d’office est insuffisamment motivée et, pour ce motif, à en demander l’annulation ;

Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l’Etat le versement à M. K. de la somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : L’article 2 de l’arrêt du 8 juin 2006 de la cour administrative d’appel de Nantes est annulé.

Article 2 : L’arrêté du 15 septembre 2003 du garde des sceaux, ministre de la justice est annulé.

Article 3 : L’Etat versera à M. K. la somme de 3 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. Eugène K. et à la garde des sceaux, ministre de la justice.

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