L’amende fiscale prévue à l’ancien article 1740 ter du code général des impôts, et qui a été maintenue dans le droit en vigueur à l’article 1737 du même code, est au nombre des sanctions administratives constituant des " accusations en matière pénale " au sens des stipulations précitées de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N° 288583
société NORELEC
M. Jean Courtial
Rapporteur
M. François Séners
Commissaire du gouvernement
Séance du 9 avril 2008
Lecture du 26 mai 2008
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 3ème et 8ème sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 3ème sous-section de la section du contentieux
Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés le 28 décembre 2005 et le 28 avril 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la société anonyme NORELEC dont le siège social est situé RD 97 à Verquin (62131) ; la société NORELEC demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’arrêt du 25 octobre 2005 par lequel la cour administrative d’appel de Douai a rejeté l’appel qu’elle a interjeté du jugement du 19 juin 2003 du tribunal administratif de Lille rejetant sa demande tendant à la décharge de l’amende fiscale qui lui a été infligée sur le fondement de l’article 1740 ter du code général des impôts par un avis de mise en recouvrement émis le 6 juin 2001 à raison d’opérations effectuées au cours des années 1994 et 1995 ;
2°) réglant l’affaire au fond, de prononcer l’annulation du jugement et la décharge de l’amende fiscale ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 4 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de M. Jean Courtial, Maître des Requêtes,
les observations de la SCP Vuitton, Vuitton, avocat de la société NORELEC,
les conclusions de M. François Séners, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l’administration a sanctionné, par l’application à la société NORELEC de l’amende fiscale prévue à l’ancien article 1740 ter du code général des impôts, le fait pour cette société d’avoir réalisé en 1994 et 1995 des exportations de marchandises à destination du Sénégal sous couvert de factures établies à l’en-tête de sa filiale dont elle détient 99, 99 % du capital social ; que la société NORELEC se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 25 octobre 2005 de la cour administrative d’appel de Douai rejetant son appel dirigé contre le jugement du 19 juin 2003 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à la décharge de l’amende fiscale qui lui a été assignée par un avis de mise en recouvrement émis le 6 juin 2001 ;
Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête ;
Considérant, d’une part, qu’aux termes de l’article 1740 ter du code général des impôts alors en vigueur : "Lorsqu’il est établi qu’une personne, à l’occasion de l’exercice de ses activités professionnelles a travesti ou dissimulé l’identité ou l’adresse de ses fournisseurs ou de ses clients, ou sciemment accepté l’utilisation d’une identité fictive ou d’un prête-nom, elle est redevable d’une amende fiscale égale à 50 % des sommes versées ou reçues au titre de ces opérations (.) " et qu’aux termes du deuxième alinéa de l’article L. 80 D du livre des procédures fiscales applicable aux sanctions mises en recouvrement à compter du 1er janvier 2001 : " Les sanctions fiscales ne peuvent être prononcées avant l’expiration d’un délai de trente jours à compter de la notification du document par lequel l’administration a fait connaître au contribuable ou redevable concerné la sanction qu’elle se propose d’appliquer, les motifs de celle-ci et la possibilité dont dispose l’intéressé de présenter dans ce délai ses observations" ;
Considérant, d’autre part, qu’aux termes du paragraphe 1 de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : "Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (.) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (.)" et qu’aux termes du paragraphe 3 du même article 6 : "Tout accusé a droit notamment à : (.) / c. se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix (.)" ;
Considérant que l’amende fiscale prévue à l’ancien article 1740 ter du code général des impôts, et qui a été maintenue dans le droit en vigueur à l’article 1737 du même code, est au nombre des sanctions administratives constituant des " accusations en matière pénale " au sens des stipulations précitées de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; que, en excluant par principe qu’un contribuable puisse invoquer la méconnaissance des stipulations de cet article pour contester la procédure d’établissement d’une pénalité fiscale alors que la mise en œuvre de cette procédure pourrait, dans certains cas, emporter des conséquences de nature à porter atteinte de manière irréversible au caractère équitable d’une procédure ultérieurement engagée devant le juge de l’impôt, la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit ; que, dès lors, l’arrêt attaqué doit être annulé ;
Considérant que dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu, en application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l’affaire au fond ;
Considérant, en premier lieu, qu’il résulte des dispositions précitées des articles 1740 ter du code général des impôts et L. 80 D du livre des procédures fiscales que l’administration doit faire connaître au redevable, au moins trente jours avant la mise en recouvrement de la pénalité, les motifs de la sanction envisagée et la possibilité de présenter ses observations ; que, d’une part, ces dispositions, seules applicables à l’établissement de l’amende litigieuse, ne faisaient pas obligation à l’administration d’informer la société NORELEC qu’elle envisageait de lui infliger cette amende en ayant recours à la signification d’un procès-verbal ou à une notification de redressement ; que, d’autre part, la société requérante ne peut se prévaloir, sur le fondement de l’article L. 80 A du livre des procédures fiscales, d’instructions administratives traitant de la procédure d’imposition ;
Considérant, en deuxième lieu, que, contrairement à ce qu’avance la société NORELEC, il ressort de la lettre en date du 19 novembre 1998 par laquelle l’administration a fait part à cette société de son intention de lui infliger l’amende prévue à l’article 1740 ter du code général des impôts que ce document est suffisamment motivé ;
Considérant, en troisième lieu, qu’il ne résultait ni des dispositions applicables à l’établissement de l’amende prévue à l’article 1740 ter du code général des impôts ni des obligations qui découlent du principe général des droits de la défense que l’administration fût tenue de suivre la procédure de redressement contradictoire et de mentionner, dans le document prévu à l’article L. 80 D du livre des procédures fiscales, la possibilité pour la personne à laquelle il est envisagé d’infliger l’amende de se faire assister d’un conseil de son choix ; que le seul fait de ne pas avoir mentionné cette faculté n’a pas compromis les chances de la société NORELEC d’obtenir gain de cause, avec l’assistance d’un défenseur, devant le juge ; que, par suite, celle-ci n’est pas fondée à soutenir qu’elle a été privée de la garantie d’équité énoncée par le c. du paragraphe 3 de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Considérant, en quatrième lieu, que, d’une part, les dispositions précitées de l’article 1740 ter du code général des impôts proportionnaient l’amende qu’elles instituaient au montant des sommes sur lesquelles portait l’infraction que l’amende vise à réprimer ; que ces dispositions ne s’appliquaient pas dans le cas où le manquement portait sur des ventes au détail et sur des prestations de services faites ou fournies à des particuliers ; que le code général des impôts prévoyait, en particulier dans ses articles 1740 ter A et 1740 quater, d’autres pénalités, nettement différenciées par leur assiette et leur taux, applicables, comme l’amende de l’article 1740 ter, à des contraventions aux obligations des contribuables en matière de facturation ; que la loi elle-même a ainsi assuré, dans une certaine mesure, la modulation des peines en fonction de la gravité des comportements réprimés ; que, d’autre part, le juge de l’impôt exerce un plein contrôle sur les faits invoqués et la qualification retenue par l’administration pour appliquer l’amende et décide, selon les résultats de ce contrôle, soit de maintenir cette amende, soit d’en prononcer la décharge ; que, dès lors, le moyen tiré de ce que les dispositions de l’article 1740 ter n’étaient pas compatibles avec les stipulations du paragraphe 1 de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales doit être écarté ;
Considérant, en cinquième lieu, que le moyen tiré d’une méconnaissance des stipulations de l’article 7 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales n’est pas assorti d’une argumentation suffisamment précise pour en apprécier le bien-fondé ;
Considérant, en sixième lieu, qu’il résulte de l’instruction que le moyen tiré de ce que les faits reprochés à la société NORELEC, laquelle avait au demeurant abandonné ce moyen dans un mémoire enregistré au greffe de la cour le 4 mai 2004, n’entraient pas dans les prévisions de l’article 1740 ter précité, n’est pas fondé ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la société NORELEC n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande ;
Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de ’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l’Etat, qui n’est pas la partie perdante, la somme que demande la société NORELEC au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : L’arrêt du 25 octobre 2005 de la cour administrative d’appel de Douai est annulé.
Article 2 : La requête d’appel de la société NORELEC et le surplus de ses conclusions devant le Conseil d’Etat sont rejetés.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société NORELEC et au ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique.
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