Conseil d’Etat, référé, 6 mai 2008, n° 315631, Mouhamed B.

Pour l’exercice des missions qui leur sont confiées par ces dispositions législatives et réglementaires, il appartient aux centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires d’assurer la gestion des bâtiments dont ils ont la charge de manière à procurer aux étudiants des conditions de vie et de travail adaptées aux besoins de leurs études ; qu’il leur incombe en particulier de concilier les exigences de l’ordre et de la sécurité dans ces bâtiments avec l’exercice par les étudiants des droits et libertés qui leur sont garantis ; qu’ils peuvent à cette fin conclure des conventions avec des associations regroupant les étudiants qui ont pour objet de contribuer à une meilleure organisation de la vie collective dans la résidence ; qu’en l’absence de disposition législative ou réglementaire spécifique à la pratique des cultes dans les résidences universitaires, le centre doit respecter tant les impératifs d’ordre public, de neutralité du service public et de bonne gestion des locaux que le droit de chaque étudiant à pratiquer, de manière individuelle ou collective et dans le respect de la liberté d’autrui, la religion de son choix.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 315631

M. Mouhamed B.

Ordonnance du 6 mai 2008

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE JUGE DES REFERES

Vu la requête, enregistrée le 25 avril 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée par M. Mouhamed B., agissant en qualité de président de l’association culturelle musulmane d’Antony René Guénon ; M. B. demande au juge des référés du Conseil d’Etat :

1°) d’annuler l’ordonnance du 10 avril 2008 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande tendant, sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, à ce qu’il soit ordonné au centre régional des œuvres universitaires et scolaires (CROUS) de Versailles de mettre à la disposition des membres de l’association la salle qu’ils utilisaient dans le bâtiment G de la résidence universitaire Jean Zay à Antony (Hauts-de-Seine) ou toute autre salle d’une superficie équivalente ;

2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 1 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

il soutient que l’urgence résulte de l’impossibilité pour les membres de l’association d’exercer leur liberté de réunion et de culte ; que le refus du CROUS de mettre à la disposition des membres de l’association une salle porte atteinte à la liberté de culte, ainsi qu’à la liberté de réunion et d’association, qui sont des libertés fondamentales ; que cette atteinte est entachée d’une illégalité manifeste, le CROUS ne pouvant, en l’absence d’urgence née d’un péril imminent, recourir à l’exécution forcée pour obtenir la libération des lieux ; que cette atteinte est grave, le CROUS n’ayant pas eu recours au juge pour obtenir l’expulsion des locaux ; que le CROUS a porté atteinte à ces libertés fondamentales dans l’exercice d’un de ses pouvoirs ;

Vu l’ordonnance attaquée ;

Vu, enregistré, le 29 avril 2008, le mémoire en défense présenté par le CROUS de l’académie de Versailles, dont le siège est 145 bis, boulevard de la Reine, BP 563, 78005 Versailles Cedex, représenté par sa directrice, qui conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 1 500 euros soit mise à la charge de M. B. en sa qualité de président de l’association culturelle musulmane d’Antony René Guénon ; le CROUS soutient que la requête n’est pas recevable, l’association requérante ne produisant ni ses statuts ni les autorisations de ses organes compétents pour introduire une action contentieuse ; qu’il n’est pas satisfait à la condition d’urgence, compte tenu de l’intransigeance des membres de l’association qui ont refusé l’attribution d’une autre salle commune, alors qu’ils avaient détourné la salle litigieuse de son usage en la transformant en salle de prière réservée à un groupe de personnes ; que l’urgence ne saurait résulter de la seule négligence de l’appelante ; que le CROUS n’a commis aucun détournement de la procédure d’expulsion, s’agissant d’une fermeture provisoire en vue de la réalisation de travaux de réhabilitation, que l’association en a été avertie et qu’une autre salle a été mise à disposition sous réserve du respect des conditions d’utilisation ordinaire des équipements ; qu’il n’y a pas d’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, la fermeture de la salle commune étant rendue nécessaire par les conditions d’occupation en termes de sécurité et de régularité, l’appelante n’ayant jamais sollicité l’autorisation d’occuper une salle ; que le CROUS, en tant que gestionnaire du domaine public de la résidence, a la charge de la sécurité des usagers et de la libre disposition du domaine public, dans l’intérêt du domaine public ; que le CROUS a exercé ses compétences de manière proportionnée aux intérêts du domaine ;

Vu, enregistré le 29 avril 2008, les observations formulées par le ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, qui conclut au rejet de la requête ; le ministre soutient que la requête n’est pas recevable, M. B. ne justifiant pas de sa qualité de président de l’association lui donnant compétence pour agir ; qu’il n’est pas satisfait à la condition d’urgence, le juge de première instance ayant estimé à bon droit que l’existence d’une situation d’urgence n’est pas établie, dès lors que la direction de la résidence universitaire n’avait pas donné son accord préalable pour l’exercice des activités de l’association, conformément à ce qu’exige l’article 18 du règlement intérieur des résidences universitaires du CROUS de l’académie de Versailles ; qu’il n’a été porté aucune atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de réunion et à la liberté de culte, les articles L. 822-1 du code de l’éducation et 14 du décret n° 87-155 du 5 mars 1987 relatif aux missions et à l’organisation des œuvres universitaires ne permettant pas la libre disposition des locaux affectés à la mission de service public ; que l’association requérante n’a pas été autorisée à occuper cette salle polyvalente et l’a détournée de son usage ; qu’aucune disposition législative ou réglementaire ne fait obligation au CROUS de créer des lieux de cultes dans les locaux affectés à cet usage, le CROUS n’étant pas un collège ou un lycée relevant du champ d’application de la loi du 31 décembre 1959, ou un édifice affecté à l’exercice d’un culte au sens de la loi du 9 décembre 1905 ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de l’éducation, notamment ses articles L. 822-1 à L. 822-5 ;

Vu le décret n° 87-155 du 5 mars 1987 relatif aux missions et à l’organisation des œuvres universitaires ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d’une part, M. B. et, d’autre part, le centre régional des œuvres universitaires et scolaires de l’académie de Versailles et le ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche ;

Vu le procès-verbal de l’audience publique du mercredi 30 avril 2008 à 11 heures 30 au cours de laquelle ont été entendus :

- Me de Nervo, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, avocat du requérant ;

- la représentante du ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche ;

- les représentants du centre régional des œuvres universitaires et scolaires de l’académie de Versailles ;

Considérant qu’aux termes de l’article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures " ;

Considérant qu’il résulte de l’instruction que la direction du centre régional des œuvres universitaires et scolaires (CROUS) de l’académie de Versailles a décidé, en janvier 2008, la fermeture de la salle polyvalente du bâtiment G de la résidence universitaire d’Antony, qui était précédemment utilisée par des étudiants de confession musulmane comme lieu de réunion et de prières, afin d’y réaliser des travaux de sécurité ; qu’en sa qualité de président de l’association culturelle musulmane René Guénon, M. Mouhamed B. a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Versailles, sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, en lui demandant d’ordonner que cette salle, ou à défaut une salle de superficie équivalente, soit mise à la disposition de l’association ; qu’il fait appel de l’ordonnance par laquelle le juge des référés a rejeté sa requête ;

Considérant qu’aux termes de l’article L. 822-1 du code de l’éducation : " Le réseau des œuvres universitaires assure une mission d’aide sociale envers les étudiants et veille à adapter les prestations aux besoins de leurs études. Les décisions concernant l’attribution des logements destinés aux étudiants sont prises par les centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires " ; que le Centre national et les centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires, établissements publics administratifs placés sous la tutelle du ministre chargé de l’enseignement supérieur, sont chargés d’assurer la mise en œuvre de cette mission ; que l’article 14 du décret du 5 mars 1987 précise que les centres régionaux " assurent les prestations et services propres à améliorer les conditions de vie et de travail des étudiants, créent dans ce but les structures leur permettant d’adapter et de diversifier les prestations qu’ils proposent aux usagers en tenant compte de leurs besoins, et peuvent passer des conventions avec des organismes extérieurs de droit public ou privé pouvant apporter leur collaboration au fonctionnement des services des centres " ;

Considérant que, pour l’exercice des missions qui leur sont confiées par ces dispositions législatives et réglementaires, il appartient aux centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires d’assurer la gestion des bâtiments dont ils ont la charge de manière à procurer aux étudiants des conditions de vie et de travail adaptées aux besoins de leurs études ; qu’il leur incombe en particulier de concilier les exigences de l’ordre et de la sécurité dans ces bâtiments avec l’exercice par les étudiants des droits et libertés qui leur sont garantis ; qu’ils peuvent à cette fin conclure des conventions avec des associations regroupant les étudiants qui ont pour objet de contribuer à une meilleure organisation de la vie collective dans la résidence ; qu’en l’absence de disposition législative ou réglementaire spécifique à la pratique des cultes dans les résidences universitaires, le centre doit respecter tant les impératifs d’ordre public, de neutralité du service public et de bonne gestion des locaux que le droit de chaque étudiant à pratiquer, de manière individuelle ou collective et dans le respect de la liberté d’autrui, la religion de son choix ;

Considérant, d’une part, qu’il ressort des éléments soumis au juge des référés que les conditions dans lesquelles la salle polyvalente du bâtiment G de la résidence universitaire d’Antony était utilisée ne permettaient ni d’assurer que seuls des étudiants de cette cité universitaire en avaient régulièrement l’usage ni de garantir à l’administration les moyens de veiller à sa sécurité ; qu’en décidant la fermeture de cette salle pour y réaliser des aménagements nécessaires à sa sécurité, le centre régional des œuvres universitaires et scolaires de l’académie de Versailles n’a, dans ces conditions, porté aucune atteinte manifestement illégale aux libertés fondamentales de culte et de réunion ;

Considérant, d’autre part, qu’il résulte de l’instruction, et notamment des débats au cours de l’audience publique, que l’administration du centre régional est disposée à examiner avec les représentants de l’association culturelle musulmane René Guénon les conditions dans lesquelles une convention pourrait être conclue pour qu’à des jours et heures déterminés, cette association dispose de locaux lui permettant de réunir, dans le respect des exigences de sécurité, des étudiants qui habitent dans la résidence universitaire d’Antony pour qu’ils exercent les activités que cette association a pour objet d’organiser, au nombre desquelles figure la pratique de prières en commun ; que, dès lors, le dossier ne fait pas ressortir d’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale qu’il y aurait urgence à faire cesser ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède, et sans qu’il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir opposées à la requête par le CROUS de l’académie de Versailles et par le ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, que M. B. n’est pas fondé à se plaindre du rejet de sa requête par le juge des référés du tribunal administratif de Versailles ; que ses conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative doivent, par suite, être rejetées ; qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de M. B., en sa qualité de président de l’association culturelle musulmane d’Antony René Guénon, la somme que demande le CROUS de l’académie de Versailles ;

O R D O N N E :

Article 1er : La requête de M. Mouhamed B. est rejetée.

Article 2 : Les conclusions du CROUS de l’académie de Versailles tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à M. Mouhamed B., au centre régional des œuvres universitaires et scolaires de l’académie de Versailles et au ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche.

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