Les principes généraux du droit du travail dans les fonctions publiques (I)

Par Joël MEKHANTAR
 Maître de conférences en droit public à la Faculté de Droit et de Science politique de Dijon,
- Groupe de recherche sur l’administration et la fonction publique (GRAFOP)

L’employeur public doit-il faire preuve d’une certaine perplexité devant les transformations en cours du droit des personnels ? L’intégration dans les administrations de normes issues du code du travail ne risque-t-elle pas de nous changer notre droit de la fonction publique (ou des fonctions publiques) ? Ces changements, par petites touches successives, doivent-ils être perçus comme une amélioration du droit appliqué par les employeurs publics ?

L’employeur public doit-il faire preuve d’une certaine perplexité devant les transformations en cours du droit des personnels ? L’intégration dans les administrations de normes issues du code du travail ne risque-t-elle pas de nous changer notre droit de la fonction publique (ou des fonctions publiques) ?  Ces changements, par petites touches successives, doivent-ils être perçus comme une amélioration du droit appliqué par les employeurs publics ?

Si traditionnellement, une culture juridique fondée principalement sur la connaissance du droit public suffisait pour maîtriser l’essentiel des règles techniques applicables à la gestion des personnels des administrations, aujourd’hui, juristes et gestionnaires de ressources humaines sont de plus en plus appelés à ne plus utiliser simplement le statut général, les statuts particuliers, et les décrets relatifs aux non titulaires.

A côté de ces règles classiques de droit public ou pour en combler les lacunes les plus criantes, l’évolution amorcée par les juridictions administratives, au moins depuis la jurisprudence Peynet (1) , incite les administrations à découvrir le droit commun des employeurs privés, à savoir le droit du travail.

Les possibilités plus grandes ouvertes par la jurisprudence sociale de la Cour de Cassation à certains employeurs publics autres que l’état, de faire appel à des contrats spéciaux du droit du travail, y compris pour occuper "des emplois liés à l’activité normale et permanente des collectivités, organismes et personnes morales concemées" (2) ne sont pas la seule explication. L’application des règles du droit du travail à des personnels régis par des contrats de travail, même dans les services publics administratifs, n’a en soi rien de surprenant. Plus déconcertante est en revanche la qualification de contrat de droit du travail donnée, sauf exceptions (3) par le législateur à ces contrats qui font pourtant participer ces personnels des administrations aux tâches du service public.

On est ainsi dans une situation un peu paradoxale où, les principes jurisprudentiels depuis l’affaire Berkani (4) vont plutôt dans le sens d’une "publicisation" du droit des personnels non statutaires alors que, de son côté, le législateur généralise les politiques en faveur de l’emploi en incitant les administrations à recruter des personnels sous contrats de travail (CES, CEC, CEJ, ... ). En raison de l’ampleur des effectifs concernés par ces contrats, l’exception législative du salariat de droit privé, n’est plus négligeable notamment dans certaines collectivités locales et établissements publics.

Ces évolutions législatives qui, à l’intérieur des administrations publiques, organisent une sorte de "concurrence de main d’oeuvre" entre des personnels de droit public et des personnels de droit privé, ne facilitent pas toujours la tâche des gestionnaires. Cette tâche est d’autant moins évidente, qu’au sein même des personnels classiquement soumis aux règles du droit public (fonctionnaires, stagiaires, non titulaires), l’application du Code du travail n’est plus un phénomène isolé. Il est désormais bien établi que le Code du travail trouve à s’appliquer soit directement lorsque cela est juridiquement possible (5), soit indirectement par le truchement de principes généraux qui s’inspirent dudit code.

Ce développement des principes généraux inspirés par le Code du travail répond à une finalité qui, si elle n’est pas au rang des exigences de valeur constitutionnelle, n’en est pas moins fondamentale pour tous les personnels, quel que soit leur employeur. Cette exigence formulée par Mme Grévisse dans ses conclusions sur l’affaire Dame Peynet est celle de "l’unité du droit social au-delà des distinctions juridiques". Tel est le ressort profond de toutes les jurisprudences qui, pour les administrations publiques, ont consacré l’existence de principes généraux du droit dont s’inspirent diverses dispositions du Code du travail.

Toutefois - et la jurisprudence Peynet, là encore, invitait déjà à se poser la,question - l’unité du droit social qui justifiait la découverte par le Conseil d’Etat de ces principes généraux, n’exige-t-elle pas d’aller au-delà ? Autrement dit, ne faudrait-il pas considérer comme l’a un moment proposé Mme Grévisse pour les non titulaires que "les dispositions du Code du travail s’appliquent à tous les services publics et à leurs agents, même de droit public" ?  Comme l’indiquait alors Mme le commissaire du Gouvernement "ce revirement de jurisprudence simplifierait considérablement la situation de droit".

Cependant cette question de l’unité du droit social entre agents publics et salariés privés a pu momentanément passer au second plan en raison de l’édiction, par voie réglementaire, d’un droit relativement protecteur à l’égard des agents non titulaires. Cette plus grande protection repose notamment, dans la fonction publique de l’état, sur l’idée que l’article 7 de la loi du 11 janvier 1984 (6) pose "un principe général d’équivalence en matière de protection sociale entre agents titulaires et agents non titutaires" (7) même si les dispositions de cet article "n’impliquent pas que les agents contractuels autres que ceux recrutés sur le fondement des article 4 et 6 (de la loi du 11 janvier 1984) bénéficient d’une protection intégralement semblable à celle des fonctionnaires" (8).

Selon cette logique, en application de l’article 7 de la loi, un premier groupe de non titulaires bénéficie, en principe, d’une protection-sociale assez comparable à celle des fonctionnaires.

Ces non titulaires sont, d’une part, les agents contractuels recrutés en application de l’article 4 de la loi 84-16 du 11 janvier 1984, soit lorsqu’il n’existe pas de corps de fonctionnaires susceptibles d’assurer les fonctions correspondantes, soit pour les emplois du niveau de la catégorie A et, dans les représentations de l’état à l’étranger, des autres catégories, lorsque la nature des fonctions ou les besoins du service le justifient.

Ces non titulaires sont, d’autre part, les agents contractuels recrutés en application de l’article 6 de la loi, soit pour assurer des fonctions correspondant à un besoin permanent mais impliquant un service à temps incomplet, soit en cas de fonctions correspondant à un besoin saisonnier ou occasionnel lorsque ces fonctions ne peuvent être assurées par des titulaires.

Par contre, le Conseil d’état estime que le principe d’équivalence de protection sociale entre non titulaires et fonctionnaires n’est pas garanti par l’article 7 de la loi du 11 janvier 1984 aux, non titulaires recrutés en application des articles 3 et 5 de cette loi (9). La loi n’a imposé aucune règle pour les agents contractuels recrutés sur ce fondement mais le Gouvernement, en vertu de son pouvoir réglementaire autonome a pu prévoir des règles identiques de protection sociale (10) pour tous les agents contractuels soumis au décret 86-83 du 17 janvier 1986 (11), donc non seulement pour les non titulaires des articles 4 et 6 de la loi mais aussi, notamment, pour les non titulaires des articles 3 et 5.

Suite à l’affaire Peynet, et en raison de l’exercice du pouvoir réglementaire autonome ou d’application du statut général, l’équivalence de protection s’est en grande partie réalisée entre fonctionnaires et non titulaires.

Toutefois, l’unité du droit social qui a conduit à étendre certaines garanties du Code du travail aux non titulaires n’en est restée qu’à de simples balbutiements. Si l’on ne peut adopter le point de vue pessimiste d’une partie de la doctrine du droit du travail, qui, à propos des non titulaires, évoque l’existence d’un "tiers exclu"... "assis entre deux chaises" et ne bénéficiant ni des garanties du statut général des fonctionnaires ni du socle minimal de protection offert par Code du travail aux salariés (12) on ne peut partager totalement la certitude "que l’écart entre fonction publique et salariat privé n’a cessé de décroître" (13)

Au-delà des divergences de points de vue, une direction claire est donnée, celle de l’unité du droit social. La technique des principes généraux s’inscrit dans ce mouvement de rapprochement des droits des personnels quels que soient les employeurs.

Par souci de réaliser l’unité du droit social, le Code du travail a été la source d’inspiration du Conseil d’état, pour "découvrir" des principes généraux (I), dans les cas d’iniquité les plus flagrants entre les agents publics et les salariés privés.

Prenant le relais du mouvement amorcé par le Conseil d’état, certains tribunaux administratifs n’hésitent plus à "proposer" de nouveaux principes généraux à partir du Code du travail (II).

Dès lors, quand aucune règle du droit public ne s’y oppose et quand les nécessités du service public n’y font pas obstacle, le temps n’est-il pas venu de réaliser cette unité du droit social non plus en important dans le droit de l’employeur public des principes généraux inspirés du droit du travail mais en appliquant directement, sous certaines conditions, les dispositions du Code du travail à la source des principes généraux ? (III)

I - L’employeur public et l’unité du droit social : les principes généraux "découverts" par le Conseil d’Etat

En faisant bénéficier les personnels de nouvelles protections, le développement des principes généraux inspirés par le Code du travail a limité les pouvoirs de l’employeur public dans trois domaines, le licenciement (A), la rémunération (B), le pouvoir de sanction (C).

A - L’interdiction de licencier une non titulaire en état de grossesse

Arrêt de principe par lequel tout a commencé, l’affaire Peynet a été l’occasion de faire prévaloir l’équité contre la sécheresse du droit applicable à l’époque.

1°) Les principes de la jurisprudence Dame Peynet (14)

Infirmière auxiliaire employée par un institut médico pédagogique départemental du Territoire de Belfort, la requérante exerçait des fonctions qui la faisait participer au service public et avait bien la qualité d’agent public au sens des critères jurisprudentiels alors en vigueur.  Alors qu’elle était enceinte et avait adressé un certificat médical attestant son état de grossesse, elle fut licenciée par décision préfectorale. A la date du licenciement, en dehors de dispositions réglementaires relatives à la rémunération et aux congés, il n’existait rien d’applicable à la situation du personnel auxiliaire du département. Il n’y avait pas de garantie de maintien des femmes enceintes dans leur emploi. Mme Grévisse va donc amener le Conseil d’état, après avoir tenté de faire appliquer directement les dispositions de l’article 29-1 du livre 1 du Code du travail (L 122-85-2), a découvrir : "le principe général, dont s’inspire l’article 29 du livre 1er du Code du travail, selon lequel aucun employeur ne peut, sauf dans certains cas, licencier une salariée en état de grossesse, (ce principe) s’applique aux femmes employées dans les services publics lorsque, comme en l’espèce, aucune nécessité propre à ces services ne s’y oppose".

Cette formulation prudente, qui donne lieu à l’application d’un principe général de portée très limitée, contraste singulièrement avec la proposition faite alors par Mme la commissaire du Gouvernement.  Se fondant sur l’idée d’unité du droit social, Mme Grévisse formulait, de façon beaucoup plus large, son principe de la manière suivante : "lorsque les nécessités propres du service

public n’y font pas obstacle et lorsqu’aucune disposition législative ne l’exclut expressément, les agents de l’état et des collectivités et organismes publics doivent bénéficier quelle que soit la nature juridique du lien qui les unit à leur employeur, de droits équivalents à ceux que la législation du travail reconnaît à l’ensemble des salariés".

L’attitude prudente du juge administratif a parfois été justifiée par des raisons pratiques qui l’auraient conduit à ne pas vouloir "faire peser sur les collectivités territoriales qui emploient un nombre élevé d’agents non titulaires, des contraintes financières importantes" (15). Est-il cependant équitable que l’état impose aux employeurs privés les contraintes du Code du travail auxquelles il n’accepte pas de soumettre les employeurs publics ?

La jurisprudence Peynet a par la suite été fréquemment appliquée (16), en particulier aux communes (17). Elle a ainsi été appliquée à l’encontre de la Commune de Conflans-Ste-Honorine. Cette commune avait dans un premier temps obtenu gain de cause devant le tribunal administratif de Versailles en indiquant que l’effet d’un licenciement avait été reporté à l’issue du congé postnatal. Le Conseil d’état, prit en compte la dateide la -lettre avec accusé réception par laquelle le maire informait la requérante de son licenciement à venir. Le licenciement était illégal car la commune n’avait pas respecté la période de quatre semaines suivant l’expiration du congé de maternité (18).

L’interdiction de licencier un agent en état de grossesse, principe général du droit inspiré par le Code du travail, a été intégré depuis par le pouvoir réglementaire dans les décrets applicables aux non titulaires des trois fonctions publiques (19).

Au contentieux, le juge vérifie l’exactitude du motif allégué par l’administration.  Ainsi lorsque la décision de licencier intervient peu de temps après que l’employeur ait été informé de l’état de grossesse, le juge dispose d’une sorte de présomption sérieuse d’illégalité de la décision attaquée quand bien même l’administration invoquerait-elle un autre motif que la grossesse pour tenter de justifier le licenciement (20).  Par ailleurs, si le principe s’applique aux stagiaires en cours de stage, il n’interdit pas pour autant de licencier une stagiaire en fin de stage pour insuffisance professionnelle (21). En outre, même en état de grossesse, le licenciement reste possible dans le cas d’une faute grave (22).

L’avancée jurisprudentielle réalisée avec la solution Peynet ne doit pas faire oublier la réalité. Les juges ont sérieusement restreint la portée de la règle qui n’interdit pas à l’administration de ne pas renouveler un contrat à durée déterminée arrivé à son terme (23). La subtile distinction juridique entre le licenciement et le non renouvellement du contrat à durée déterminée permet, en pratique, à l’employeur public de contourner l’interdiction de licencier : il lui suffit simplement de ne pas renouveler l’engagement ou le contrat (24).

Ainsi, il a été jugé qu’une "décision du président du Conseil général de la Guyane en date du 24 novembre 1993 de ne pas renouveler (un) engagement, qui était arrivé à son terme le 10 novembre, n’a pas le caractère d’une mesure de licenciement ; que Melle Judick ne saurait, dès lors, soutenir utilement que cette décision aurait été prise en méconnaissance tant des dispositions de l’article 41 du décret du 15 février 1988 ( .. ) que du principe général dont s’inspire l’article L 122-25-2 du Code du travail, qui s’opposent au licenciement des salariées pour le motif qu’elles sont en état de grossesse " (25)

2°) Le statut normatif de l’interdiction de licencier en cas de grossesse

On peut s’interroger sur le statut normatif de l’interdiction de licencier une salariée en état de grossesse car cette règle s’inscrit également dans la convention n°103 de l’O.I.T. protégeant la maternité (26). L’article 6 de la convention interdit le licenciement pendant la période de congé maternité.  Cette convention internationale adoptée en 1919, révisée en 1952 pour accroître la protection des femmes travailleuses et qui semble être applicable à l’employeur public (27), comme à tout employeur, fait l’objet de fortes pressions du groupe des employeurs pour être révisée lors de la session de l’O.I.T. en juin 2000. Si cette révision aboutit, elle permettra à l’employeur d"’utiliser n’importe quel autre motif que la grossesse pour licencier une femme enceinte" (28).

3°) La jurisprudence Seguin en complément de la jurisprudence Peynet

Le principe d’interdiction de licencier une salariée en état de grossesse dégagée par la jurisprudence Peynet, a été complété pour les non titulaires ayant droit à un préavis. Une surveillante d’externat qui n’avait pas été renouvelée dans ses fonctions parce qu’elle ne s’était pas présentée à l’agrégation, alors qu’elle se trouvait en état de grossesse, a en réalité été licenciée.  Comme elle bénéficiait d’un préavis, il a été décidé que "le préavis ne pouvait légalement, sans méconnaître le principe général dont s’inspire l’article L 122-25-2 du Code du travail, être tenu pour accompli pendant la période où l’intéressée était en congé de maternité " (29).

B. L’interdiction de rémunérer en deçà du salaire minimum de croissance

La technique de la découverte de principes généraux du droit inspirés du Code du travail a également été appliquée en matière de fixation des rémunérations des personnels travaillant pour les employeurs publics.

1°) La jurisprudence Aragnou sur la rémunération au moins égale au SMIC

C’est encore un "motif supérieur d’équité" (30) qui incita le Conseil d’état contre les conclusions du commissaire du Gouvernement Labetoulle à mettre en oeuvre l’unité du droit social en matière de rémunération, en imposant une rémunération minimale à tous les employeurs, y compris aux employeurs publics comme les communes. Saisi en appel par la ville de Toulouse dont la décision implicite de ne pas accorder une rémunération égale au SMIC avait été annulée par le tribunal administratif, le Conseil d’état fut conduit à formuler un nouveau principe général de droit inspiré par le Code du travail (31).  Selon ce principe, un agent communal non titulaire "a droit, en vertu d’un principe général du droit, applicable à tout salarié et dont s’inspire l’article L 141-2 du Code du travail, à un minimum de rémunération qui, en l’absence de disposition plus favorable pour la catégorie de personnel à laquelle l’intéressée appartient, ne saurait être inférieure au salaire minimum de croissance de l’article L 141-2".

Cette solution est d’autant plus remarquable qu’elle touche à la rémunération. Comme l’ont noté certains commentateurs (32),en droit du travail le champ d’application du SMIC est défini par référence à celui des conventions collectives. Or les conventions collectives ne concernent pas les services publics administratifs (33).

La solution adoptée dans l’affaire Aragnou est assez exemplaire pour une autre raison.  En effet, alors qu’il eût été possible de découvrir dans le droit public le principe d’une rémunération minimale par l’application des dispositions déjà en vigueur pour d’autres personnels publics (34), le Conseil d’état adopta la même technique que dans l’affaire Peynet, en allant chercher son principe dans le Code du travail, et ce, bien que certains détracteurs de la jurisprudence Peynet n’aient pas manqué de critiquer le peu d’abstraction de la règle pourtant érigée en principe général du droit (35).

La doctrine signale peu de cas d’applications ultérieures de la jurisprudence Aragnou (36).  Toutefois les employeurs publics n’en doivent pas oublier le principe.  Dans une décision qui ne paraît pas avoir été publiée, la Cour administrative d’appel de Nantes fit respecter le principe au profit d’une non titulaire recrutée verbalement par un bureau d’aide sociale d’une commune pour exercer un emploi de garde de nuit (37).

En l’espèce, l’arrêt reprend la formule de la jurisprudence Aragnou et considère qu’un "agent non titulaire d’un établissement public communal, a droit, en vertu d’un principe général du droit applicable à tout salarié et dont s’inspire l’article L. 141.2 du Code du travail, à un minimum de rémunération qui, (...) ne saurait être inférieur au salaire minimum de croissance".

Il est à noter que dans ce contentieux, le problème posé n’était pas tant de savoir s’il fallait ou non rémunérer l’intéressée au SMIC, mais d’évaluer combien d’heures devraient entrer dans ce décompte. Aussi le Centre d’action sociale fut-il condamné à payer une indemnisation pour réparer l’insuffisance de rémunération. Le Centre avait eu le tort de se borner à retenir qu’une partie seulement des heures de présence accomplies par la requérante, comme travail effectif ouvrant droit à rémunération sur la base du SMIC.

Dans une affaire plus récente, le principe de la rémunération au moins égale au SMIC n’a pas permis au requérant d’obtenir gain de cause (38).  En effet, si le juge a rappelé la règle, il a aussi exigé que l’intéressé fasse la preuve de n’avoir pas obtenu une rémunération au moins égale au SMIC, "compte tenu tant des activités exercées (..) que du mode de rémunération de celles-ci". En l’espèce, le requérant exerçait des fonctions de régisseur de recettes d’un office public d’HLM et il était par ailleurs employé à temps complet au titre d’activités extérieures à l’Office public d’aménagement et de construction du Pas de Calais. L’arrêt est intéressant dans la mesure où il indique que les fonctions de régisseur de recettes doivent être rémunérées "sur une base au moins égale à celle du salaire du salaire minimum de croissance".

2°) L’employeur public et les dispositions du Code du travail sur le SMIC

D’une façon plus générale, les dispositions du Code du travail sur le salaire minimum de croissance (L 141-2 du Code du travail) ne sont, en principe (39), pas directement applicables aux personnels publics des employeurs publics.  En revanche, contrairement à ce qu’avait jugé le tribunal administratif de Paris, il a été admis par le Conseil d’état à propos de l’attribution d’une prime à des fonctionnaires territoriaux employés par un syndicat intercommunal qu"’aucune disposition législative ou réglementaire ne faisait obstacle à ce qu’il soit fait référence, pour la détermination du montant de la prime en cause, à la valeur du salaire minimum interprofessionnel de croissance, alors même que les dispositions du Code de travail relatives à ce salaire minimum ne sont pas applicables aux agents bénéficiaires de cette prime" (40).  Le même jour, la même solution a été appliquée à des fonctionnaires employés par une commune, par une caisse des’écoles et par un bureau d’aide sociale (41).

C. Les principes limitant le pouvoir de sanction

Les principes généraux du droit inspirés par le Code du travail ont joué un rôle important pour limiter le pouvoir de sanction de l’employeur public.

1°) L’interdiction des amendes et sanctions pécuniaires

La question s’est posée, de façon préjudicielle devant le Conseil d’état, de savoir si la SNCF pouvait, en application d’un chapitre de son règlement intérieur, prononcer des sanctions pécuniaires en opérant des retenues sur la prime de fin d’année de deux conducteurs de trains qui n’avaient pas respecté les signaux. Les cheminots firent valoir devant le Conseil des prud’hommes l’illégalité du règlement intérieur qui contrevenait directement aux dispositions de la loi du 4 août 1982. Cette loi avait introduit un article L 122-42 dans le Code du travail interdisant les amendes et sanctions pécuniaires.

Pour résoudre la question préjudicielle, le Conseil d’état se trouvait dans l’obligation de trancher le point de savoir si le Code du travail était ou non applicable aux entreprises à statut et, dans l’affîrmative, préciser dans quelle mesure fallait-il l’appliquer. Plutôt que d’affirmer l’application directe du Code du travail, le Conseil préféra, comme dans la jurisprudence Peynet, utiliser la technique des principes généraux du droit. Ainsi, se fondant sur l’interdiction des amendes et sanctions pécuniaires de l’article L 122-42, le Conseil considéra : "qu’en édictant cette interdiction, le législateur a énoncé un principe général du droit du travail applicable aux entreprises publiques dont le personnel est doté d’un statut réglementaire et qui n’est pas incompatible avec les mission de service public"...(42). Par suite, les sanctions pécuniaires contraires à ce nouveau principe général furent annulées.

Cette limitation du pouvoir de sanction visant ici la SNCF n’est-elle applicable qu’à ce type particulier d’employeur public ? S’appliquerait-elle aussi à l’état, aux communes, aux hôpitaux et à l’ensemble des établissements publics autres qu’industriels et commerciaux  ? Bien qu’il ne semble pas qu’une telle question ait déjà été posée au juge, la doctrine semble admettre que cette solution soit transposable à l’ensemble du droit de la fonction publique (43).

2°) L’interdictîon de mesures discriminatoires à l’encontre de grévistes

Un autre problème touchant à l’exercice du pouvoir de sanction de l’employeur public fut posée, encore à la SNCF, dans l’affaire Malher (44).  En l’espèce, il s’agissait de savoir si le règlement de la SNCF pouvait légalement permettre de suspendre les droits à l’avancement d’échelon pendant les absences pour cause de grève. Un article du Code du travail, l’article L 521-1, indiquait que l’exercice de la grève "ne saurait donner lieu de la part de l’employeur à des mesures discriminatoires en matière de rémunérations et d’avantages sociaux".

Plutôt que d’appliquer directement le Code du travail à un salarié de droit privé de cette entreprise à statut qui contestait son avancement, le Conseil d’état préféra interdire ce pouvoir de sanctionner les grévistes grâce à un principe général du droit du travail. Faisant référence à l’article L 521-1, le Conseil d’état affirma : "qu’en édictant cette interdiction, le législateur a énoncé un principe général du droit du travail applicable aux entreprises publiques dont le personnel est doté d’un statut réglementaire et qui n’est pas incompatible avec les nécessités de la mission de service public"...

Comme la solution Billard et Voile, la jurisprudence Malher semble pouvoir être étendue à tous les employeurs publics.

Au sein de la juridiction administrative, la construction de l’unité du droit social n’est plus l’ceuvre du seul Conseil d’état. Les tribunaux administratifs ont parfois fait preuve de beaucoup d’audace pour proposer des solutions construites selon la même technique que celle observée au Palais Royal.

 

Notes de bas de page  :

1) CE, Ass., 8 juin 1973, Dame Peynet, Leb. p. 406, et concl. de Mme Grévisse  : pp. 406-421 ; AJDA 1973 p. 587, chr. Franc et Boyon ; JCP 1975.Il. 17957, note Saint-Jours) (retour au texte)

2) Cass. soc., 16 mars 1999, Université René-Descartes c./ M. Christian Birnbaum, AJFP 1999-3, pp. 4647, comm. Serge Petit. (retour au texte)

3) Ainsi, contrairement aux autres contrats emplois jeunes, les contrats des adjoints de sécurité sont des contrats de droit public par détermination de la loi. (retour au texte)

4) TC, 25 mars 1996, Préfet de la région Rhône-Alpes, Préfet du Rhône et autres c./ Conseil de prud’hommes de Lyon, avec les concl. Martin, Leb. pp. 536-539 (retour au texte)

5) Jean-Louis Rey, L’application des règles issues du code du travail aux agents de droit public, Les Petites Affiches, n°18 du 9 février 1996, p. 20 ; Yves Saint-jours, L’application des règles issues du code du travail aux agents publics, Courrier juridique des finances, n°91, oct. 1998, p. 1. (retour au texte)

6) Selon cet article 7 : "Le décret qui fixe les dispositions générales applicables aux agents non titulaires de ]’état recrutés dans les conditions définies aux articles 4 et 6 de la présente loi (... ) comprend notamment, compte tenu de la spécificité des conditions d’emploi des agents non titulaires, des règles de protection sociale équivalentes à celles dont bénéficient les fonctionnaires, sauf en ce qui concerne les régimes d’assurance maladie et d’assurance vieillesse". (retour au texte)

7) CE, 3 mai 1993, Syndicat CFDT des établissements et arsenaux du Val-de-Marne, n°99.808, n°99.809, Leb., tables pp. 554, 594, 847, 856. (retour au texte)

8) CE, 30 mars 1990, Fédération générale des fonctionnaires Force Ouvrière et autres, n°76.538, n°76.602, n°76.795, Leb., tables p. 554, 835, 850 (retour au texte)

9) CE, 30 mars 1990, Fédération générale des fonctionnaires Force Ouvrière et autres, n°76.538, n°76.602, n°76.795, Leb., tables p. 554, 835, 850 (retour au texte)

10) Sont donc concernés a priori, les personnels entrant dans le champ d’application du décret 86-83 du 17 janvier 1986 sur les non titulaires de l’état (art. 1er du décret 86-83). A l’exception des personnels déjà évoqués, recrutés en application des articles 4 et 6 de la loi du 11 janvier 1984 et à l’exclusion des agents en service à l’étranger et des agents engagés pour exécuter un acte déterminé, cela vise donc les seuls personnels concernés par les articles suivants de la loi :
-article 3, 2e (les emplois et catégories d’emplois de certains établissements publics déterminés par le décret n°84-38 du 18 janvier 1984 modifié), 3e (les emplois et les catégories d’emplois de certaines institutions administratives indépendantes déterminés par le décret n°84-455 du 14 juin 1984 modifié) et 6e (les maîtres d’internat et surveillants d’externat) ;
-article 5 (personnels occupant des emplois permanents à temps complet d’enseignantschercheurs des établissements d’enseignement supérieur et de recherche occupés par des non fonctionnaires associés ou invités) ;
-article 27, 1e al. (les personnes reconnues comme travailleurs handicapés par la COTOREP prévue à l’article L 323-11 du Code de travail ;
-article 82 (les agents non titulaires titularisables en application de l’article 80 soit parce qu’ils exercent leurs fonctions dans des corps déterminés, soit qu’ils bénéficient des mesures statutaires prévues par le protocole d’accord du 9 février 1990 ; les personnels enseignants, d’éducation et d’orientation accédant de façon dérogatoire aux corps d’accueil dans les conditions prévues par les articles 73, 79 et 84 de la loi ; les non titulaires qui ne demandent pas leur titularisation ou dont la titularisation n’a pas été prononcée et qui ont droit à réemploi). (retour au texte)

11) Les non fonctionnaires occupant les emplois prévus à l’article 3, 1e, 4e et 5e ne sont pas compris dans le champ d’application du décret n°86-83 du 17 janvier 1984. Ces personnels sont régis respectivement pour :
-l’art. 3, le, par l’article 25 de la loi n°84-16 du 11 janvier 1984 et le décret n°85-779 du 24 juillet 1985 pour les emplois supérieurs laissés à la décision du Gouvernement ;
-l’art. 3, 4e, par l’ordonnance n° 58-1373 du 30 décembre 1958 (personnels médicaux et scientifiques des CHU) ;
- l’art. 3, 5e, par des règles spécifiques pour les ouvriers des établissements industriels del’état. (retour au texte)

12) Emmanuel Dockès, Point de vue : l’agent public non statutaire et le Code du travail, AJFP, n° 4, 1997, p. 1 (retour au texte)

13) René Chapus, Droit administratif général, tome 2, 11e éd., 1998, p.11, l’auteur souligne à juste titre que : "il n’y a sans doute pas confusion entre le droit de la fonction publique et le droit du travail : la condition des agents publics et celle des salariés privés restent différentes". (retour au texte)

14) voir note n’ 1 (retour au texte)

15 Bruno Genevois, Principes généraux du droit, Encyclopédie Dalloz, Contentieux administratif n°532 à 536 p. 46. (retour au texte)

16) Ex.  : CE, 24 avril 1981, FORMA, Leb. p. 190 ; CE, 25 janvier 1993, Mme Jancourt, n°106.830. (retour au texte)

17) Voir par exemple : CE, 20 mars 1987, Commune de Bonneval c./ Mme Bédard, n° 62.553, Leb. p. 99, AJDA 1987 p. 554, obs. Xavier Prétot, à propos du licenciement d’une stagiaire en état de grossesse en cours de stage. (retour au texte)

18) CE, 4 octobre 1996, Mme Moestus, n°149704, Leb. tables pp. 970, 991, 997. (retour au texte)

19) Décret n°86-83 du 17 janvier 1986, art. 49, non titulaires de l’état, décret n°88-145 du 15 février 1988, art. 41, non titulaires territoriaux ; décret n°91-155 du 6 février 1991, art. 45 contractuels hospitaliers. (retour au texte)

20) Par exemple, dans CAA Lyon (formation plénière), 8 mars 1994, Centre hospitalier de Draguignan c./ Mme Perugia, le motif invoqué et selon lequel une secrétaire médicale d’un Centre hospitalier ne possédait pas les diplômes lui permettant de prétendre à une titularisation a été écartée par la Cour, le vrai et seul motif étant bien, en l’espèce, l’état de grossesse de la requérante. (retour au texte)

21) CE, 26 mai 1982, Mme Caius, Leb. p. 188 ; CE, 11 juillet 1984, Mme Bastien, RFDA 1985 p. 547. (retour au texte)

22) CE, 27 janvier 1989, CHR de Rambouillet c./Mme Carluer, Leb. p. 36 , AJDA 1989 p. 553, obs. Serge Salon (retour au texte)

23) CE, 10 mai 1985, Chambre de Commerce et d’industrie de Paris c./Mme Renou, Leb. tables p. 676 et CAA Nantes, 15 octobre 1998, Mme Pascale Ringot, AJFP 1999-2, p. 50, comm. Joël Mekhantar (retour au texte)

24) Il en va de même en droit du travail dans la mesure où les dispositions de l’article L 122-25-2 "ne font pas obstacle à l’échéance du contrat de travail à durée déterminée". (retour au texte)

25) CAA de Paris, 6 juin 1996, Melle Judick, n°95PA00613 : à propos d’une non titulaire engagée comme rédacteur territorial. (retour au texte)

26) Voir sur ce point : Michèle Simonnin, la résistance à la paupérisation, pp. 6-7 de la contribution au Colloque des 2 et 3 décembre 1999 sur La pauvreté saisie par le Droit, Centre d’étude et de Recherche Politique, Université de Bourgogne, à pareitre dans la collection Le Genre humain, éd. du Seuil. (retour au texte)

27) D’après son article 1er , la Convention "s’applique aux femmes employées dans les entreprises industrielles aussi bien qu’auxfemmes employées à des travaux non industriels et agricoles, y compris les femmes salariées travailleuses à domicile". (retour au texte)

28) Voir Michèle Simonnin, contribution précitée. (retour au texte)

29) CE, 12 juin 1987, Ministre de l’éducation nationale c./Mme Seguin, n°67.629, Leb. p. 789 (retour au texte)

30) Selon de mot de Bruno Genevois, op. cit. (retour au texte)

31) CE, Sect., 23 avril 1982, Ville de Toulouse c./Mme Aragnou, Leb. p. 152 et les concl. Labetoulle pp. 152-156 ; AJDA 1982 p. 440, chron. F. Tiberghien et B. Lasserre, p. 443. (retour au texte)

32) Jean-Bernard Auby, note sous l’arrêt Dame Aragnou, Dalloz, 1983, p. 8. Le commissaire du Gouvernement en fait également état dans ses conclusions précitées. (retour au texte)

33) CE, Sect., 17 avril 1959, Abadie, Leb. p. 234. (retour au texte)

34) M. Labetoulle remarquait ainsi que le SMIC était applicable non seulement aux agents non titulaires de l’état en raison du décret n°80-628 du 5 août 1980, mais aussi aux agents titulaires des collectivités territoriales en application de l’article L 413-4 du Code des communes. (retour au texte)

35) Didier Linotte, Déclin du pouvoir jurisprudentiel et ascension du pouvoir juridictionnel en droit administratif, AJDA 1980, pp. 632-639. (retour au texte)

36) Voir aussi CE, 3 novembre 1982, Leb. p. 556, signalé par éliane Ayoub dans La Fonction publique en vingt principes, éd.  Frison-Roche, chap. 8 et 9 pp. 131-133. (retour au texte)

37) CAA Nantes, 4 novembre 1992, Melle Nadine Trempu, n°90NT00463. (retour au texte)

38) CAA Nancy, 6 août 1996, M. Joël Carpentier c./ Office d’aménagement et de construction du Pas-de-Calais. (retour au texte)

39) Il arrive parfois que le contrat d’un agent non titulaire prévoit une rémunération égal au SMIC majoré. Dans ce cas, l’intéressé doit bénéficier en application de son contrat des majorations du SMIC. Pour une aide ménagère à domicile : CE, 16 février 1994, Bureau d’aide sociale de Pontenx-Les-Forges c./Mme Labat, n°84.085. Dans cette affaire, il a par ailleurs été décidé que "l’indemnité de congés payés (... ) ne peut se cumuler avec le salaire perçu si le travail n’a pas été interrompu. (retour au texte)

40) CE, 28 octobre 1988, Syndicat intercommunal de l’informatique des villes de Blanc-Mesnil et autres communes, n° 73.670, Leb. p. 387 (retour au texte)

41) CE, 28 octobre 1988, Commune de Bobigny, n°73.673 ; CE, 28 octobre 1988, Caisse des écoles de Bobigny, n°73.672 ; CE, 28 octobre 1988, Bureau d’aide sociale de Bobigny, n°73.671 (retour au texte)

42) CE, Ass. 1er juillet 1988, Billard et Voile, Leb. p. 268, Droit soc. 1988.775, concl. O. Van Ruymbeke (retour au texte)

43) Yves Gaudemet citant notamment cette jurisprudence constate que "c’est dans le droit du travail que récemment le Conseil d’état a trouvé l’expression de principes qu’il a repris à son compte pour y soumettre le droit de la fonction publique". Voir Y Gaudemet, Droit public et droit social - rapport de synthèse, Droit soc., n°3, mars 1991, pp. 241-245. (retour au texte)

44) CE, 12 novembre 1990, Malher, Leb. p. 321, AJDA 1991, p. 332. (retour au texte)

 

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Citation : Joël MEKHANTAR, Les principes généraux du droit du travail dans les fonctions publiques (I), 25 janvier 2000, http://www.rajf.org/spip.php?article29

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