S’il incombait, au cours de cette période, aux autorités publiques chargées de la prévention des risques professionnels de se tenir informées des dangers, soulignés par des études scientifiques, pour la santé des travailleurs exposés à l’inhalation de poussières d’amiante dans le cadre de leur activité professionnelle, et d’arrêter, en l’état des connaissances scientifiques, au besoin à l’aide d’études ou d’enquêtes complémentaires, les mesures les plus appropriées pour limiter et, si possible, éliminer ces dangers, cette obligation ne dispensait pas les employeurs de l’intéressé d’assurer la sécurité et la protection de la santé des travailleurs placés sous leur autorité, en application de la législation du travail alors applicable.
CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N° 292717
MINISTRE DE L’EMPLOI, DE LA COHESION SOCIALE ET DU LOGEMENT
M. Jean-François Mary
Rapporteur
Mme Emmanuelle Prada Bordenave
Commissaire du gouvernement
Séance du 16 janvier 2008
Lecture du 13 février 2008
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 2ème et 7ème sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 2ème sous-section de la Section du contentieux
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 21 avril et 22 août 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés par le MINISTRE DE L’EMPLOI, DE LA COHESION SOCIALE ET DU LOGEMENT ; le ministre demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’arrêt du 14 février 2006 de la cour administrative d’appel de Marseille, rectifié par un arrêt du 29 juin 2006 de cette même cour, qui a rejeté sa requête tendant, d’une part, à l’annulation du jugement du 18 décembre 2001 par lequel le tribunal administratif de Marseille a déclaré l’Etat exclusivement responsable des conséquences dommageables de la maladie dont a été victime M. C. à la suite de son exposition à l’amiante et l’a condamné à verser diverses sommes à Mme Alberte C. et à ses enfants, ainsi qu’à la caisse primaire d’assurance maladie des Bouches-du-Rhône en réparation des préjudices subis, d’autre part, au rejet de la demande présentée par les consorts C. devant le tribunal administratif de Marseille ;
2°) réglant l’affaire au fond, de réformer le jugement du tribunal administratif de Marseille en déclarant l’Etat responsable du tiers des préjudices subis par les consorts C. ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code du travail, notamment son article L. 230-2 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de M. Jean-François Mary, Conseiller d’Etat,
les observations de la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de Mme C.,
les conclusions de Mme Emmanuelle Prada Bordenave, Commissaire du gouvernement ;
Sans qu’il soit besoin d’examiner l’autre moyen du recours ;
Considérant que, par jugement en date du 18 décembre 2001, le tribunal administratif de Marseille a déclaré l’Etat responsable des conséquences dommageables de la maladie dont a été victime M. C. à la suite d’une exposition à l’amiante d’origine professionnelle et l’a condamné à verser aux ayants-droits de M. C. ainsi qu’à la caisse primaire d’assurance maladie des Bouches-du-Rhône, diverses sommes en réparation des préjudices subis ; que, pour rejeter le recours du MINISTRE DE L’EMPLOI, DE LA COHESION SOCIALE ET DU LOGEMENT contre ce jugement, la cour administrative d’appel de Marseille a retenu que, si le ministre ne contestait plus, dans le dernier état de ses écritures, la responsabilité de l’Etat dans la survenance du dommage, son moyen tiré de ce que les fautes commises par les différents employeurs de M. C. entre 1943 et 1962 étaient de nature à atténuer cette responsabilité des deux tiers, était un moyen nouveau en appel et n’était, par suite, pas recevable ;
Considérant que, si le ministre n’a invoqué la faute des employeurs qu’après l’expiration du délai d’appel, ce moyen reposait sur la même cause juridique que le moyen, soulevé devant le tribunal administratif et à nouveau devant la cour dans le délai d’appel, tiré de ce que l’Etat n’avait, en l’espèce, commis aucune faute et, en tout état de cause, aucune faute ayant un lien direct avec le préjudice subi compte tenu des obligations incombant aux différents employeurs de M. C. en matière de protection de leurs salariés sur les lieux de travail ; que, par suite, en retenant que le moyen invoqué par le ministre dans son mémoire en réplique était tardif et, par suite, irrecevable, la cour administrative d’appel de Marseille a commis une erreur de droit ; que le ministre est, dès lors, fondé à demander l’annulation de l’arrêt attaqué ;
Considérant que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de régler l’affaire au fond en application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative ;
Sur l’appel du ministre :
Considérant que, s’il incombait, au cours de cette période, aux autorités publiques chargées de la prévention des risques professionnels de se tenir informées des dangers, soulignés par des études scientifiques, pour la santé des travailleurs exposés à l’inhalation de poussières d’amiante dans le cadre de leur activité professionnelle, et d’arrêter, en l’état des connaissances scientifiques, au besoin à l’aide d’études ou d’enquêtes complémentaires, les mesures les plus appropriées pour limiter et, si possible, éliminer ces dangers, cette obligation ne dispensait pas les employeurs de l’intéressé d’assurer la sécurité et la protection de la santé des travailleurs placés sous leur autorité, en application de la législation du travail alors applicable ; que, cependant, s’il résulte de l’avis rendu par le collège de trois médecins prévu par l’article D 461-6 du code de la sécurité sociale que M. C. a contracté un mésothéliome pleural malin du fait d’une exposition à l’amiante au cours de sa vie professionnelle entre 1943 et 1962, il ne résulte pas en l’espèce de l’instruction que l’origine du préjudice ne soit pas exclusivement imputable à l’Etat ; qu’ainsi, le MINISTRE DE L’EMPLOI, DE LA COHESION SOCIALE ET DU LOGEMENT n’est pas fondé à demander que la responsabilité de l’Etat dans la réparation du préjudice survenu à M. C. et aux ayants-droits de ce dernier soit réduite des deux tiers ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le MINISTRE DE L’EMPLOI, DE LA COHESION SOCIALE ET DU LOGEMENT n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a condamné l’Etat à verser diverses sommes à Mme veuve C. et à ses enfants ;
Sur les droits de la caisse primaire d’assurance maladie des Bouches-du-Rhône :
Considérant qu’à la suite de la maladie de M. C., la caisse primaire d’assurance maladie des Bouches-du-Rhône a, d’une part, subi des débours pour lesquels elle demande des intérêts à compter du 30 novembre 2001 ; que cette même caisse a, d’une part, versé à Mme C. le capital constitutif de la rente qu’elle a dû servir à cette dernière ; qu’elle a, enfin, pris en charge l’indemnité spéciale prévue par le 2° de l’article L. 461-8 du code de la sécurité sociale ; que si la caisse primaire d’assurance maladie demande une réévaluation des sommes qu’elle estime lui être dues par l’Etat, elle n’apporte au soutien de ses conclusions aucun élément permettant d’évaluer le montant des créances qu’elle prétend détenir sur l’Etat à la date de la présente décision ; que, par suite, ces conclusions doivent être rejetées ;
Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de l’Etat la somme de 2 500 euros au titre des frais exposés par Mme Alberte C., Mme Jocelyne Ca., et Mme Nicole A. devant la cour administrative d’appel de Marseille ;
D E C I D E :
Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille en date du 14 février 2006, rectifié par l’arrêt du 26 juin 2006, est annulé.
Article 2 : Le recours du MINISTRE DE L’EMPLOI, DE LA COHESION SOCIALE ET DU LOGEMENT devant la cour administrative d’appel de Marseille est rejeté.
Article 3 : Les conclusions de la caisse primaire d’assurance maladie des Bouches-du-Rhône devant la cour administrative d’appel de Marseille sont rejetées.
Article 4 : L’Etat versera la somme globale de 2 500 euros à Mme Alberte C., à Mme Jocelyne Ca. et à Mme Nicole A. en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : La présente décision sera notifiée au MINISTRE DU TRAVAIL, DES RELATIONS SOCIALES ET DE LA SOLIDARITE, à Mme Alberte C., à Mme Jocelyne Ca., à Mme Nicole A. et à la caisse primaire d’assurance maladie des Bouches-du-Rhône.
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