Conseil d’Etat, 26 mars 2008, n° 291195, Mamery K. et Société Pétromarine

Les capitaines de navires sont tenus, dans l’exercice des manœuvres d’amarrage qu’ils effectuent, de se conformer aux consignes qui leur sont données par les autorités portuaires, sous la responsabilité de ces dernières. La carence de l’administration dans la transmission des consignes lors des opérations d’amarrage constitue, nonobstant l’expérience des capitaines et la connaissance qu’ils peuvent avoir des lieux d’appontement, une faute assimilable à un cas de force majeure, exonératoire de la responsabilité des capitaines.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 291195

M. K.

SOCIETE PETROMARINE

M. Marc El Nouchi
Rapporteur

M. Laurent Olléon
Commissaire du gouvernement

Séance du 25 février 2008
Lecture du 26 mars 2008

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 8ème et 3ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 8ème sous-section de la section du contentieux

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 10 mars et 10 juillet 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour M. Mamery K. et la SOCIETE PETROMARINE, dont le siège est 26, rue Campilleau à Bruges (33520) ; M. K. et la SOCIETE PETROMARINE demandent au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler l’arrêt du 29 décembre 2005 par lequel la cour administrative d’appel de Bordeaux a, faisant droit à l’appel du ministre de l’équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer, d’une part, annulé le jugement du 20 juin 2002 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a relaxé M. K. des poursuites en matière de contravention de grande voirie et, d’autre part, condamné M. K. et la SOCIETE PETROMARINE à verser au Port autonome de Bordeaux la somme de 11 537, 20 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 28 mars 2001 ;

2°) réglant l’affaire au fond, de rejeter la requête formée par le ministre de l’équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer devant la cour administrative d’appel de Bordeaux ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Marc El Nouchi, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Richard, avocat de M. K. et de la SOCIETE PETROMARINE et de la SCP Vier, Barthélemy, Matuchansky, avocat du Port autonome de Bordeaux,

- les conclusions de M. Laurent Olléon, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le 2 septembre 2000, le navire pétrolier "Cap Ferret" appartenant à la SOCIETE PETROMARINE et commandé par M. K., qui était amarré au poste 511 du Port autonome de Bordeaux, s’est écarté du quai durant les opérations de déchargement ; que cet écart a entraîné la détérioration de bras de déchargements et autres rambardes et installations portuaires ; que le préfet de la Gironde a déféré au tribunal administratif de Bordeaux le procès-verbal de contravention de grande voirie dressé le 2 septembre 2000 à l’encontre du capitaine du navire ; que, par jugement du 20 juin 2002, ce tribunal a relaxé M. K. des fins de la poursuite au motif que les autorités portuaires, en donnant des consignes de sécurité insuffisantes, avaient commis une faute assimilable à un cas de force majeure ; que M. K. et la SOCIETE PETROMARINE se pourvoient en cassation contre l’arrêt du 29 décembre 2005 par lequel la cour administrative d’appel de Bordeaux, faisant droit à l’appel du ministre de l’équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer, a, d’une part, annulé le jugement du 20 juin 2002 du tribunal administratif de Bordeaux et, d’autre part, condamné M. K. et la SOCIETE PETROMARINE à verser au Port autonome de Bordeaux la somme de 11 537, 20 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 28 mars 2001 ;

Considérant qu’aux termes de l’article 10 du règlement général de police des ports maritimes de commerce et de pêche, annexé à l’article R. 351-1 du code des ports maritimes : "Les officiers et surveillants de ports font ranger et amarrer les bâtiments dans le port ; ceux-ci sont amarrés sous la responsabilité de leur capitaine (.) ; en cas de nécessité, tout capitaine (.) doit renforcer les amarres" ; que l’article R. 311-7 du même code dispose que "Les officiers de port règlent l’ordre d’entrée et de sortie des navires dans les ports et bassins. Ils fixent la place que ces navires doivent occuper, les font ranger et amarrer, ordonnent et dirigent tous les mouvements (.) Ils donnent des ordres aux capitaines (.) en tout ce qui concerne le mouvement des navires et l’accomplissement des mesures de sûreté, d’ordre et de police" ; qu’il résulte de la combinaison de ces dispositions que les capitaines de navires sont tenus, dans l’exercice des manœuvres d’amarrage qu’ils effectuent, de se conformer aux consignes qui leur sont données par les autorités portuaires, sous la responsabilité de ces dernières ; que la carence de l’administration dans la transmission des consignes lors des opérations d’amarrage constitue, nonobstant l’expérience des capitaines et la connaissance qu’ils peuvent avoir des lieux d’appontement, une faute assimilable à un cas de force majeure, exonératoire de la responsabilité des capitaines ;

Considérant qu’en jugeant, après avoir souverainement relevé, à la fois, que l’officier de port présent lors des opérations d’accostage n’avait fait aucune remarque concernant l’amarrage effectué par le capitaine du navire et que cet amarrage était allégé par rapport au plan type d’amarrage applicable à ce type de navire, que l’insuffisance des consignes ainsi données par les autorités portuaires ne pouvait être regardée comme une faute de l’administration assimilable à un cas de force majeure, exonératoire de la responsabilité du capitaine du navire, la cour a procédé à une inexacte qualification juridique des faits ; que, par suite, les requérants sont fondés à demander l’annulation de l’arrêt attaqué ;

Considérant que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu, par application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l’affaire au fond ;

Considérant qu’en s’abstenant de donner au capitaine du "Cap Ferret" des consignes d’amarrage et, de surcroît, en ne faisant aucune observation sur le dispositif d’amarrage allégé mis en place par le capitaine, alors que ce dispositif n’était pas adapté aux caractéristiques du navire et à l’état de la mer le jour des faits, les autorités du port ont commis une faute assimilable à un cas de force majeure, exonératoire de la responsabilité du capitaine ; que cette faute est, par suite, de nature à justifier la relaxe du capitaine du navire des fins de procès-verbal dressé à son encontre ; que, dès lors, le ministre des transports, de l’équipement, du tourisme et de la mer n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif de Bordeaux a, par le jugement attaqué, rejeté sa demande de condamnation de M. K. et de la SOCIETE PETROMARINE ;

Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de M. K. et de la SOCIETE PETROMARINE, qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante, le paiement de la somme que demande le Port autonome de Bordeaux au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ; qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des mêmes dispositions et de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros que demandent M. K. et la SOCIETE PETROMARINE au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : L’arrêt du 29 décembre 2005 de la cour administrative d’appel de Bordeaux est annulé.

Article 2 : Le recours présenté par le ministre des transports, de l’équipement, du tourisme et de la mer devant la cour administrative d’appel de Bordeaux est rejeté.

Article 3 : L’Etat versera la somme de 3 000 euros à M. K. et à la SOCIETE PETROMARINE.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. Mamery K., à la SOCIETE PETROMARINE, au Port autonome de Bordeaux et au ministre d’Etat, ministre de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de l’aménagement du territoire.

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