Conseil d’Etat, 19 mars 2008, n° 295040, Anne-Marie M.

Les services d’enseignement accomplis dans un centre de formation d’apprentis sont pris en compte pour le calcul de l’ancienneté lors du reclassement dans le corps des professeurs de lycée professionnel alors même qu’il n’est pas fait mention de ces centres dans les "formations technologiques" du titre IV du livre VI du code de l’éducation, lequel ne définit d’ailleurs que des formations d’enseignement supérieur.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 295040

Mme M.

M. Jean Musitelli
Rapporteur

M. Rémi Keller
Commissaire du gouvernement

Séance du 3 mars 2008
Lecture du 19 mars 2008

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 4ème et 5ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 4ème sous-section de la section du contentieux

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 10 juillet et 9 octobre 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour Mme Anne-Marie M. ; Mme M. demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler le jugement du 3 mai 2006 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l’annulation de la décision du 10 mars 2003 du recteur de l’académie de Paris rejetant son recours gracieux tendant à l’annulation de l’arrêté du 19 novembre 2002 procédant à son classement dans le corps des professeurs de lycée professionnel ;

2°) d’enjoindre à l’Etat de procéder à la révision de son classement dans le corps des professeurs de lycée professionnel dans un délai de deux mois à compter de la décision à venir sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de l’éducation ;

Vu le code du travail ;

Vu la loi n° 2001-2 du 3 janvier 2001 ;

Vu le décret n° 51-1423 du 5 décembre 1951 ;

Vu le décret n° 92-1189 du 6 novembre 1992 ;

Vu le décret n° 2001-369 du 27 avril 2001 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean Musitelli, Conseiller d’Etat,

- les observations de la SCP Masse-Dessen, Thouvenin, avocat de Mme M.,

- les conclusions de M. Rémi Keller, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu’aux termes de l’article 7 du décret du 27 avril 2001 : "Les lauréats des concours réservés organisés pour le recrutement (.) de professeurs de lycée professionnel (.) sont nommés (.) professeurs de lycée professionnel stagiaire (.) au 1er septembre de l’année au titre de laquelle sont organisés les concours . En matière de stage, de sanction du stage, de titularisation et de classement, sont applicables (.) dans les mêmes conditions qu’aux candidats lauréats du concours interne correspondant (.), les dispositions des articles 10 et 22 du décret du 6 novembre 1992 susvisé pour l’accès au corps des professeurs de lycée professionnel (.)" ; qu’aux termes du premier alinéa de l’article 22 du décret du 6 novembre 1992 : "Les professeurs de lycée professionnel sont reclassés conformément aux dispositions du décret du 5 décembre 1951 susvisé" ; qu’aux termes de l’article 7 bis du décret du 5 décembre 1951 : "Les années d’enseignement que les fonctionnaires régis par le présent décret ont accomplies dans les établissements d’enseignement privés avant leur nomination entrent en compte dans l’ancienneté pour l’avancement d’échelon (.)" ; qu’il résulte de ces dispositions que les services d’enseignement accomplis dans un centre de formation d’apprentis sont pris en compte pour le calcul de l’ancienneté lors du reclassement dans le corps des professeurs de lycée professionnel alors même qu’il n’est pas fait mention de ces centres dans les "formations technologiques" du titre IV du livre VI du code de l’éducation, lequel ne définit d’ailleurs que des formations d’enseignement supérieur ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme M. a été admise au concours de professeur de lycée professionnel organisé en 2002 dans le cadre des concours ouverts en application des articles 1er et 2 de la loi du 3 janvier 2001 relative à la résorption de l’emploi précaire ; qu’elle a été reclassée, par un arrêté du 19 novembre 2002, au 6ème échelon de son grade à compter du 1er septembre 2002 ; qu’elle a demandé la révision de son reclassement, en faisant valoir que les années d’enseignement qu’elle avait accomplies dans un centre de formation d’apprentis, du 14 novembre 1994 au 31 août 2002, auraient dû être prises en compte pour la détermination de son ancienneté au titre des dispositions de l’article 7 bis précité ; que, par une décision du 10 mars 2003, le recteur de l’académie de Paris a rejeté sa demande ; qu’en jugeant, pour rejeter la demande de Mme M. tendant à l’annulation de cette décision, que ces services d’enseignement n’entraient pas dans le champ d’application de l’article 7 bis du décret du 5 décembre 1951, au motif que les centres de formation d’apprentis ne constituent pas des établissements d’enseignement privés relevant de ces dispositions, le tribunal administratif a fait une inexacte application des dispositions précitées ; que, par suite, Mme M. est fondée à demander l’annulation du jugement du 3 mai 2006 ;

Considérant qu’en vertu de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler l’affaire au fond ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier qu’avant sa nomination dans le corps des professeurs de lycée professionnel, Mme M. a accompli des services d’enseignement dans un centre de formation d’apprentis du 14 novembre 1994 au 31 août 2002 ; qu’elle tenait des dispositions précitées de l’article 7 bis du décret du 5 décembre 1951 le droit à ce que ces années d’enseignement soient prises en compte pour son reclassement dans le corps des professeurs de lycée professionnel ; que, par suite, Mme M. est fondée à demander l’annulation de la décision du 10 mars 2003 par laquelle le recteur de l’académie de Paris a rejeté son recours gracieux tendant à la prise en compte, pour son reclassement dans le corps des professeurs de lycée professionnel, des années d’enseignement accomplies avant sa nomination dans ce corps ;

Sur les conclusions de Mme M. tendant à ce que le recteur de l’académie de Paris procède à la révision de son classement dans le corps des professeurs de lycée professionnel dans un délai de deux mois à compter de la décision, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard :

Considérant que la présente décision annule l’arrêté du 19 novembre 2002 du recteur de l’académie de Paris procédant au classement de Mme M. dans le corps des professeurs de lycée professionnel ; que, dès lors, et pour les motifs invoqués ci-dessus, il y a lieu, en application des articles L. 911-1 et L. 911-3 du code de justice administrative, de faire droit aux conclusions susanalysées de Mme M. et d’enjoindre au recteur de l’académie de Paris de réviser le classement de cette dernière dans un délai de deux mois à compter de la date de la présente décision ; qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, d’assortir cette injonction d’une astreinte ;

Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu’il y a lieu de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros que demande Mme M. au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du 3 mai 2006 du tribunal administratif de Paris, l’arrêté du 19 novembre 2002 et la décision du 10 mars 2003 du recteur de l’académie de Paris sont annulés.

Article 2 : Le recteur de l’académie de Paris procédera à la révision du classement de Mme M. dans le corps des professeurs des lycées professionnels dans un délai de deux mois à compter de la date de la présente décision.

Article 3 : L’Etat versera à Mme M. la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme M. est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme Anne-Marie M. et au ministre de l’éducation nationale.

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