Le caractère rétroactif de la remise en cause d’un avantage fiscal obtenu par un contribuable qui cesse de remplir les conditions pour son obtention ne peut résulter que de dispositions explicites de la loi. Il en résulte que, pour l’application des dispositions de l’article 93 quater précitées, le contribuable qui cesse de remplir la condition prévue par cet article conserve le bénéfice de l’avantage fiscal obtenu les années qui précèdent celle au cours de laquelle il a cessé de remplir les conditions auxquelles est subordonné le bénéfice du régime des plus-values à long terme.
CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N° 301239
MINISTRE DE L’ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L’INDUSTRIE
c/ M. S.-P.
Mme Caroline Martin
Rapporteur
M. Laurent Olléon
Commissaire du gouvernement
Séance du 12 décembre 2007
Lecture du 14 janvier 2008
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 8ème et 3ème sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 8ème sous-section de la Section du contentieux
Vu le recours, enregistré le 6 février 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présenté par le MINISTRE DE L’ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L’INDUSTRIE ; le MINISTRE DE L’ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L’INDUSTRIE demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’arrêt du 22 décembre 2006 par lequel la cour administrative d’appel de Paris, faisant droit à l’appel de M. Edouard S.-P., a, d’une part, annulé le jugement du 2 novembre 2005 du tribunal administratif de Paris rejetant sa demande tendant à la décharge de la cotisation supplémentaire d’impôt sur le revenu mise à sa charge au titre de l’année 1993 ainsi que des pénalités correspondantes, et, d’autre part, lui a accordé la décharge demandée ;
2°) statuant au fond, de rejeter la requête d’appel ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de propriété intellectuelle ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de Mme Caroline Martin, Conseiller d’Etat,
les observations de la SCP Thouin-Palat, avocat de M. S.-P.,
les conclusions de M. Laurent Olléon, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu’il résulte du dossier soumis aux juges du fond qu’en 1993, M. S.-P., qui exerçait une activité d’ingénieur-conseil en brevets d’invention, a perçu de la société Mercurius à titre de redevance d’exploitation de brevets une somme de 2 281 819 F qu’il a soumise à l’impôt sur le revenu au taux réduit de 16 % en la regardant comme relevant du régime des plus-values à long terme en application des dispositions combinées des 1 et 1 bis de l’article 39 terdecies du code général des impôts et des I et I bis de l’article 93 quater du même code ; que le vérificateur auquel aucun contrat de concession de brevet n’a été présenté au cours de la vérification de comptabilité dont a fait l’objet M. S.-P. a remis en cause ce régime de taxation atténuée ; que le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de M. S.-P. tendant à la décharge de la cotisation supplémentaire d’impôt sur le revenu à laquelle celui-ci a été assujetti ; que, par un arrêt du 22 décembre 2006 dont le MINISTRE DE L’ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L’INDUSTRIE demande l’annulation, la cour administrative d’appel de Paris a annulé le jugement du tribunal administratif et déchargé M. S.-P. de l’imposition supplémentaire mise à sa charge ;
Considérant, en premier lieu, qu’aux termes de l’article L. 613-9 du code de la propriété intellectuelle : "Tous les actes transmettant ou modifiant les droits attachés à une demande de brevet ou à un brevet doivent, pour être opposables aux tiers, être inscrits sur un registre, dit registre national des brevets, tenu par l’Institut national de la propriété industrielle" ; que ce texte, qui ne fait pas de l’inscription de l’acte une condition de la validité de la cession ou de la concession, ne concerne que les contestations nées du droit de la propriété industrielle ; que, par suite, en jugeant que le défaut d’enregistrement sur le registre prévu à l’article précité de la convention d’exploitation de brevet conclue entre M. S.-P. et la société Mercurius ne pouvait fonder à lui seul le refus de l’administration d’imposer selon le régime des plus-values à long terme les redevances versées au contribuable en 1993, la cour n’a pas commis une erreur de droit ;
Considérant, en deuxième lieu, qu’en vertu des dispositions combinées du 1 et du 1 bis de l’article 39 terdecies du code général des impôts, les redevances provenant de concessions de licences d’exploitation de brevets sont exclues du régime des plus-values à long terme, lorsqu’elles ont été admises en déduction pour l’assiette de l’impôt sur les sociétés de l’entreprise concessionnaire et qu’il existe des liens de dépendance entre cette dernière et le concédant ; qu’aux termes du I bis de l’article 93 quater du code général des impôts, dans sa rédaction alors applicable : "Lorsqu’un inventeur, personne physique, concède une licence exclusive d’exploitation de brevets qu’il a déposés à une entreprise créée à cet effet à compter du 1er janvier 1984, les dispositions du 1 bis de l’article 39 terdecies ne s’appliquent pas à l’année de la création de cette entreprise et les deux années suivantes à condition que, pendant cette période, l’exploitation des droits concédés représente au moins la moitié du chiffre d’affaires de l’entreprise" ;
Considérant que le caractère rétroactif de la remise en cause d’un avantage fiscal obtenu par un contribuable qui cesse de remplir les conditions pour son obtention ne peut résulter que de dispositions explicites de la loi ; qu’il en résulte que, pour l’application des dispositions de l’article 93 quater précitées, le contribuable qui cesse de remplir la condition prévue par cet article conserve le bénéfice de l’avantage fiscal obtenu les années qui précèdent celle au cours de laquelle il a cessé de remplir les conditions auxquelles est subordonné le bénéfice du régime des plus-values à long terme ; que, par suite, en jugeant que le régime des plus-values à long terme était applicable aux redevances versées par la société Mercurius durant l’année 1993, dès lors que la condition relative au pourcentage de chiffre d’affaires était remplie au titre de cette première année de concession, nonobstant la circonstance qu’elle ne l’ait pas été les années suivantes, la cour n’a pas entaché son arrêt d’erreur de droit ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le recours du MINISTRE DE L’ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L’INDUSTRIE doit être rejeté ;
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat le versement à M. S.-P. d’une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
D E C I D E :
Article 1er : Le recours du MINISTRE DE L’ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L’INDUSTRIE est rejeté.
Article 2 : L’Etat versera à M. S.-P. une somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA FONCTION PUBLIQUE, à M. Edouard S.-P. et à Mme S.-P. en qualité de curatrice de son époux.
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