Des conclusions à fin de dommages intérêts pour citation abusive amènent nécessairement le juge à apprécier les mérites de l’action dont il est soutenu qu’elle a été abusivement engagée. Le juge compétent pour statuer sur cette action est par suite seul compétent pour statuer sur ces conclusions indemnitaires qui ne peuvent être présentées qu’à titre reconventionnel dans l’instance ouverte par l’action principale, dont elles ne sont pas détachables.
CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N° 283141
CONSEIL DEPARTEMENTAL DE L’ORDRE DES CHIRURGIENS-DENTISTES DE PARIS
M. Philippe Ranquet
Rapporteur
M. Jean-Philippe Thiellay
Commissaire du gouvernement
Séance du 23 mai 2008
Lecture du 6 juin 2008
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux)
Sur le rapport de la 5ème sous-section de la section du contentieux
Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 27 juillet et 28 novembre 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour le CONSEIL DEPARTEMENTAL DE L’ORDRE DES CHIRURGIENS-DENTISTES DE PARIS, dont le siège est 174, rue de Rivoli à Paris (75001) ; le CONSEIL DEPARTEMENTAL DE L’ORDRE DES CHIRURGIENS-DENTISTES DE PARIS demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’arrêt du 9 mai 2005 par lequel la cour administrative d’appel de Paris a, d’une part, annulé le jugement du tribunal administratif de Paris du 16 octobre 2001 rejetant la demande de M. André B. tendant à ce qu’il soit condamné à lui verser une indemnité en réparation du préjudice résultant pour lui d’une plainte introduite devant la juridiction disciplinaire de l’ordre des chirurgiens-dentistes et, d’autre part, l’a condamné à verser à M. B. une indemnité de 0, 15 euro ;
2°) réglant l’affaire au fond, de rejeter l’appel de M. B. ;
3°) de mettre à la charge de M. B. la somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le décret n° 67-671 du 22 juillet 1967 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de M. Philippe Ranquet, Auditeur,
les observations de Maître Richard, Avocat du Conseil départemental de l’ordre des chirurgiens-dentistes de Paris, et de la SCP Bouzidi, Bouhanna, avocat de M. B.,
les conclusions de M. Jean-Philippe Thiellay, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que, par un arrêt du 9 mai 2005, la cour administrative d’appel de Paris, après avoir annulé un jugement du tribunal administratif de Paris du 16 octobre 2001 rejetant la demande de M. B. tendant à ce que le CONSEIL DEPARTEMENTAL DE L’ORDRE DES CHIRURGIENS-DENTISTES DE PARIS soit condamné à lui verser une indemnité en réparation du préjudice résultant pour lui d’une plainte que le conseil départemental avait formée contre lui devant la juridiction disciplinaire ordinale, a condamné ce conseil départemental à lui verser une indemnité de 0, 15 euro en réparation de son préjudice moral ; que le CONSEIL DEPARTEMENTAL DE L’ORDRE DES CHIRURGIENS-DENTISTES DE PARIS se pourvoit en cassation contre cet arrêt ;
Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi ;
Considérant que des conclusions à fin de dommages intérêts pour citation abusive amènent nécessairement le juge à apprécier les mérites de l’action dont il est soutenu qu’elle a été abusivement engagée ; que le juge compétent pour statuer sur cette action est par suite seul compétent pour statuer sur ces conclusions indemnitaires qui ne peuvent être présentées qu’à titre reconventionnel dans l’instance ouverte par l’action principale, dont elles ne sont pas détachables ;
Considérant que la cour administrative d’appel aurait dû, en application de ces règles, annuler le jugement par lequel le tribunal administratif de Paris s’est prononcé au fond sur la demande indemnitaire de M. B., laquelle avait été portée devant une juridiction incompétente pour en connaître, puis constater elle-même, en application de l’article R. 351-4 du code de justice administrative, qu’il n’y avait plus lieu d’y statuer, dès lors que le conseil régional de l’ordre des chirurgiens-dentistes, saisi de la plainte du CONSEIL DEPARTEMENTAL DE L’ORDRE DES CHIRURGIENS-DENTISTES DE PARIS à l’encontre de M. B., s’était déjà prononcé et que cette demande ne pouvait donc plus lui être renvoyée ; qu’il lui appartenait toutefois de relever que les règles ainsi dégagées, qui ne sont pas édictées par un texte et qui ne résultaient d’aucune jurisprudence antérieure, ne pouvaient être opposées à M. B. sans méconnaître son droit au recours ; qu’en l’espèce, par suite, la cour aurait dû, après avoir annulé le jugement du tribunal administratif, renvoyer la demande indemnitaire de M. B. devant le conseil régional de l’ordre des chirurgiens-dentistes ; qu’en ne procédant pas de la sorte, la cour administrative d’appel de Paris a entaché son arrêt d’erreur de droit ; que le CONSEIL DEPARTEMENTAL DE L’ORDRE DES CHIRURGIENS-DENTISTES DE PARIS est par suite fondé à en demander l’annulation ;
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler l’affaire au fond en application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative ;
Considérant que, pour les motifs énoncés ci-dessus, le tribunal administratif de Paris, en statuant au fond sur les conclusions à fin de dommages intérêts pour citation abusive de M. B. au lieu de les renvoyer au juge ordinal compétent, a méconnu l’étendue de sa compétence ; que son jugement doit par suite être annulé ;
Considérant que, lorsqu’en la qualité de juge d’appel que lui confère l’application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, le Conseil d’Etat annule un jugement rendu en première instance au motif que la juridiction administrative saisie n’était pas compétente, il peut, soit, en vertu des dispositions de l’article R. 351-1 du même code, attribuer le jugement de l’affaire à la juridiction administrative compétente en première instance, soit évoquer et statuer immédiatement sur la demande présentée en première instance ; qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, d’évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. B. devant le tribunal administratif de Paris ;
Considérant qu’il résulte de l’instruction, et notamment de la décision du conseil régional de l’ordre des chirurgiens-dentistes d’Alsace qui a rejeté la plainte du CONSEIL DEPARTEMENTAL DE L’ORDRE DES CHIRURGIENS-DENTISTES DE PARIS, que ce dernier a poursuivi M. B. pour méconnaissance de dispositions du décret du 22 juillet 1967 portant code de déontologie des chirurgiens-dentistes, alors en vigueur, régissant l’emploi des titres sur les imprimés professionnels alors que le conseil départemental ne pouvait se méprendre sur le fait que le courrier visé dans la plainte n’avait pas le caractère d’un imprimé professionnel ; qu’il a également motivé sa plainte par un grief d’usurpation du titre de docteur, alors que M. B., docteur en chirurgie dentaire, n’avait à l’évidence pas usurpé ce titre, ainsi que par un grief tiré de ce que l’intéressé aurait eu l’intention de tromper le public sur la valeur de ses titres, alors que le conseil départemental plaignant ne pouvait ignorer que le courrier qu’il reprochait au chirurgien-dentiste n’était adressé qu’à lui ; que dans ces conditions, le CONSEIL DEPARTEMENTAL DE L’ORDRE DES CHIRURGIENS-DENTISTES DE PARIS a fait un usage abusif de son pouvoir d’engager des poursuites disciplinaires et a commis une faute de nature à engager sa responsabilité ;
Considérant que M. B. ne justifie pas du préjudice matériel qu’il allègue avoir subi ; qu’en revanche, il y a lieu de condamner le CONSEIL DEPARTEMENTAL DE L’ORDRE DES CHIRURGIENS-DENTISTES DE PARIS à verser à M. B. la somme de 0, 15 euro qu’il demande en réparation du préjudice moral causé par la citation abusive ;
Considérant enfin que si M. B. demande que soit ordonnée la publication de la présente décision par voie de presse aux frais du CONSEIL DEPARTEMENTAL DE L’ORDRE DES CHIRURGIENS-DENTISTES DE PARIS, il n’entre pas dans les pouvoirs du juge administratif de droit commun ou spécialisé, hors les cas, au nombre desquels la présente affaire ne figure pas, où il y est explicitement habilité par un texte, de faire droit à une telle demande ;
Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. B., qui n’est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme que demande le CONSEIL DEPARTEMENTAL DE L’ORDRE DES CHIRURGIENS-DENTISTES DE PARIS au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ; qu’il y a en revanche lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à sa charge au titre des mêmes dispositions le paiement à M. B. d’une somme de 6 000 euros au titre des frais exposés par lui devant le tribunal administratif, la cour administrative d’appel et le Conseil d’Etat et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Paris du 9 mai 2005 et le jugement du tribunal administratif de Paris du 16 octobre 2001 sont annulés.
Article 2 : Le CONSEIL DEPARTEMENTAL DE L’ORDRE DES CHIRURGIENS-DENTISTES DE PARIS est condamné à verser à M. B. la somme de 0, 15 euro.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la demande de M. B. devant le tribunal administratif de Paris est rejeté.
Article 4 : Le surplus des conclusions du pourvoi et de la requête d’appel du CONSEIL DEPARTEMENTAL DE L’ORDRE DES CHIRURGIENS-DENTISTE DE PARIS est rejeté.
Article 5 : Le CONSEIL DEPARTEMENTAL DE L’ORDRE DES CHIRURGIENS-DENTISTES DE PARIS versera à M. B. la somme de 6 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : La présente décision sera notifiée au CONSEIL DEPARTEMENTAL DE L’ORDRE DES CHIRURGIENS-DENTISTES DE PARIS et à M. André B..
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