En estimant que l’administration, pour remettre en cause l’exonération dont avaient bénéficié les sociétés vérifiées, s’était bornée à considérer que ces entreprises nouvelles ne répondaient pas à la condition prévue au III de l’article 44 bis et que, par suite, elle ne s’était pas placée, même implicitement, sur le terrain de l’abus de droit, la cour n’a ni dénaturé les pièces du dossier ni commis d’erreur de droit au regard tant de l’article 44 quater précité que de l’article L. 64 du livre des procédures fiscales.
CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N° 245305
M. et Mme L.
M. Loloum
Rapporteur
M. Collin
Commissaire du gouvernement
Séance du 9 juin 2004
Lecture du 30 juin 2004
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 8ème et 3ème sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 8ème sous-section de la Section du contentieux
Vu la requête et le mémoire complémentaire, enregistrés les 17 avril et 17 septembre 2002 au secrétariat de la section du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour M. et Mme Pierre-Marie L. ; M. et Mme L. demandent au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’arrêt du 14 février 2002 par lequel la cour administrative d’appel de Paris a, en premier lieu, rejeté leurs requêtes tendant à l’annulation de deux jugements du tribunal administratif de Paris du 9 décembre 1998 rejetant leurs demandes en décharge des suppléments d’impôt sur le revenu et des pénalités dont ils étaient assortis auxquels ils restaient assujettis au titre des années 1986 à 1989 et, en second lieu, fait droit au recours du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie tendant à l’annulation du premier de ces deux jugements en tant que le tribunal administratif leur avait accordé une réduction des suppléments d’impôt sur le revenu au titre des années 1986 à 1989 ;
2°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 4 500 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
3°) de prononcer le sursis à exécution de l’arrêt attaqué et des rôles litigieux ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de M. Loloum, Maître des Requêtes,
les observations de la SCP Vier, Barthélemy, avocat de M. et Mme L.,
les conclusions de M. Collin, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. L. a créé le 25 novembre 1985 l’EURL Socrate puis le 2 décembre 1985 les sociétés en nom collectif Cofradim et PML Conseils dont il est le principal associé ; qu’à la suite d’une vérification de comptabilité, l’administration a remis en cause l’exonération dont ces sociétés avaient bénéficié sur le fondement de l’article 44 quater du code général des impôts et a assujetti M. et Mme L., à proportion des droits de M. L. dans ces trois sociétés, à des suppléments d’impôt sur le revenu au titre des années 1986 à 1989 ; que les requérants demandent l’annulation de l’arrêt qui, d’une part, confirmant sur ce point le jugement de première instance, rejette leurs conclusions en décharge des suppléments d’impôt auxquels ils sont assujettis et, d’autre part, sur appel du ministre, rétablit celles des impositions dont ils avaient obtenu la décharge ;
Sur la régularité de la procédure en appel :
Considérant que si la formation de la cour administrative d’appel qui a rendu l’arrêt attaqué comprenait un magistrat qui avait participé au jugement, en première instance, le 10 mars 1994 d’un litige relatif à un supplément d’impôt sur le revenu mis à la charge des mêmes contribuables au titre de l’année 1985, le litige ainsi jugé n’était pas relatif à la même affaire, dès lors qu’il portait sur une année d’imposition différente de celles en cause dans la présente instance ; qu’ainsi, alors même que la cour s’est référée expressément à des faits constatés dans ce jugement du 10 mars 1994 devenu définitif, le moyen tiré d’une composition irrégulière de la formation qui a délibéré en appel doit être écarté ;
Considérant que les deux mémoires produits par le ministre le 23 janvier 2002 devant la cour ne comportaient pas d’éléments nouveaux sur lesquels les juges se seraient fondés pour statuer, sans que les requérants aient été en mesure d’en discuter ; que, dans ces conditions, la circonstance que ces mémoires n’ont été communiqués aux requérants que le 25 janvier 2002, alors que la clôture de l’instruction était fixée le même jour à minuit et que l’audience s’est tenue le 29 janvier 2002, n’est pas de nature à entacher d’irrégularité la procédure devant la cour ;
Sur le bien-fondé de l’arrêt attaqué :
Considérant qu’aux termes du premier alinéa de l’article 44 quater du code général des impôts : "Les entreprises créées du 1er janvier 1983 au 31 décembre 1986, soumises de plein droit ou sur option à un régime réel d’imposition de leurs résultats et répondant aux conditions prévues aux 2° et 3° du II et au III de l’article 44 bis, sont exonérées d’impôt sur le revenu ou d’impôt sur les sociétés à raison des bénéfices industriels et commerciaux qu’elles réalisent à compter de la date de leur création jusqu’au terme du trente-cinquième mois suivant celui au cours duquel cette création est intervenue. Les bénéfices réalisés au cours des vingt-quatre mois suivant la période d’exonération précitée ne sont retenus dans les bases de l’impôt sur le revenu et de l’impôt sur les sociétés que pour la moitié de leur montant." ; que le deuxième alinéa du même article dispose que : "Toute cessation, cession ou mise en location-gérance d’entreprise ou tout autre acte juridique, ayant pour principal objet de bénéficier des dispositions mentionnées ci-dessus, est assimilé aux actes visés par le b) de l’article L. 64 du livre des procédures fiscales", c’est-à-dire à ceux qui "dissimulent la portée véritable d’un contrat ou d’une convention à l’aide de clauses . qui déguisent soit une réalisation soit un transfert de bénéfices ou de revenus" ; qu’aux termes du III de l’article 44 bis du même code : "Les entreprises créées dans le cadre d’une concentration ou d’une restructuration d’activités préexistantes, ou pour la reprise de telles activités, ne peuvent bénéficier de l’abattement ci-dessus." ;
Considérant, qu’en estimant que l’administration, pour remettre en cause l’exonération dont avaient bénéficié les sociétés vérifiées, s’était bornée à considérer que ces entreprises nouvelles ne répondaient pas à la condition prévue au III de l’article 44 bis précité et que, par suite, elle ne s’était pas placée, même implicitement, sur le terrain de l’abus de droit, la cour n’a ni dénaturé les pièces du dossier ni commis d’erreur de droit au regard tant de l’article 44 quater précité que de l’article L. 64 du livre des procédures fiscales ;
Sur le redressement relatif à la SNC Cofradim :
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. L. avait créé le 15 octobre 1983 une société en participation en vue de construire et vendre un immeuble de bureaux situé Quai Le Gallo à Boulogne-Billancourt puis le 24 juillet 1984 une autre entreprise de promotion immobilière, la société en nom collectif Priam, dont il était l’associé à hauteur de 40 % des parts sociales et le cogérant jusqu’à sa démission le 7 octobre 1985 ; que la cour a relevé que la nouvelle société de promotion immobilière, créée le 2 décembre 1985 sous la dénomination SNC Cofradim, avait effectué des opérations de construction-vente d’immeubles de bureaux à destination de la même clientèle d’investisseurs institutionnels dans le même secteur géographique et avec, au surplus, des financements de même origine que ceux auxquels avait recouru les sociétés mentionnées ci-dessus ; qu’en se fondant ainsi sur ce que cette société exerçait la même activité de promotion immobilière sur le même marché que les sociétés de personnes dont M. L. avait été précédemment l’associé, pour juger que la SNC Cofradim avait été créée pour la reprise d’une activité préexistante, alors même que M. L. avait signé, au moment de son départ de la société Priam, un engagement de non-concurrence, la cour n’a pas commis d’erreur de droit et a exactement qualifié les faits de l’espèce ; qu’il suit de là que les requérants ne sont pas fondés à demander sur ce point l’annulation de l’arrêt attaqué ;
Sur le redressement relatif à la SNC PML Conseils :
Considérant que, si l’activité d’agent immobilier et celle de promoteur immobilier relèvent d’un même secteur économique, elles sont de nature différente ; que, par suite, en jugeant que la création de la SNC PML Conseils, qui exerce une activité d’agent immobilier, devait être regardée comme constituant une opération de restructuration de l’activité de la promotion immobilière de la SNC Cofradim, la cour a commis une erreur de droit ; que, dans cette mesure, son arrêt doit être annulé ;
Sur le redressement relatif à l’EURL Socrate :
Considérant que, pour estimer que l’EURL Socrate avait été créée pour la reprise d’une activité préexistante de marchand de biens exercée par M. L., la cour s’est fondée sur le seul fait qu’avant la création de cette société M. L. était devenu le 7 octobre 1985 titulaire d’une promesse de vente concernant un immeuble que l’EURL Socrate a acquis le 12 décembre 1985 pour le revendre six jours plus tard ; que l’acquisition par M. L. puis la cession d’une promesse de vente relative à un seul immeuble, en l’absence de toute démarche en vue de céder l’immeuble par lots, ne suffit pas à établir que l’intéressé avait exercé une activité de marchands de biens avant la création de l’EURL Socrate ; que, par suite, les requérants sont fondés à soutenir que la cour n’a pas légalement justifié sa décision et à demander, dans cette mesure aussi, l’annulation de l’arrêt attaqué ;
Considérant que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu pour le Conseil d’Etat de régler immédiatement l’affaire dans les limites indiquées ci-dessus ;
Considérant, d’une part, qu’ainsi qu’il a été dit, la création de la SNC PML Conseils, dont l’activité est celle d’un agent immobilier, ne peut être regardée comme constituant une opération de restructuration de l’activité de promotion immobilière de la SNC Cofradim ; que, dès lors, c’est à tort que l’administration a cru pouvoir invoquer une opération de restructuration d’activités préexistantes pour refuser à la SNC PML Conseils le bénéfice du régime d’exonération prévu par l’article 44 quater ;
Considérant, d’autre part, qu’il ne résulte pas de l’instruction que M. L. ait exercé l’activité professionnelle de marchands de biens de façon habituelle avant la création de l’EURL Socrate ; que, dès lors, c’est à tort que, pour remettre en cause le bénéfice du régime de faveur de l’article 44 quater, l’administration a estimé que l’EURL Socrate avait été créée pour la reprise d’une activité préexistante de marchand de biens ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que M. et Mme L. sont fondés à soutenir que c’est à tort que, par les jugements attaqués, le tribunal administratif de Paris a rejeté leurs conclusions en décharge des suppléments d’impôt sur le revenu et des pénalités y afférentes auxquels ils ont été assujettis au titre des années 1986 à 1989 à raison des redressements dont l’EURL Socrate et la SNC PML Conseils ont fait l’objet ;
Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu, en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l’Etat une somme de 3 000 euros qui sera versée aux époux L. au titre des dépenses exposées par eux et non comprises dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : L’arrêt de la cour administrative de Paris du 14 février 2002 est annulé en tant qu’il statue sur les conclusions de M. et Mme L. en décharge des suppléments d’impôt sur le revenu établi à raison des redressements dont ont fait l’objet l’EURL Socrate et la SNC PML Conseils.
Article 2 : M. et Mme L. sont déchargés des suppléments d’impôt sur le revenu et des pénalités y afférentes auxquels ils ont été assujettis au titre des années 1986 à 1989 à raison des redressements dont l’EURL Socrate et la SNC PML Conseils ont fait l’objet.
Article 3 : Les jugements n° 96-8912 et n° 94-9219 du tribunal administratif de Paris du 9 décembre 1998 sont réformés en ce qu’ils ont de contraire à la présente décision.
Article 4 : L’Etat versera aux époux L. une somme de 3 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête des époux L. est rejeté.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme Pierre-Marie L. et au ministre d’Etat, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.
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