Conseil d’Etat, 23 juin 2004, n° 257797, Société Laboratoires Genevrier

Pour déterminer ou modifier le taux de remboursement d’un médicament comportant plusieurs indications thérapeutiques, l’administration doit, dans un premier temps, examiner si ce médicament est principalement destiné à traiter des troubles ou affections sans caractère habituel de gravité, auquel cas sa prise en charge par l’assurance maladie est limitée à un taux de 35 %. Si tel n’est pas le cas, il lui appartient, dans un second temps, d’évaluer le service médical rendu des indications de ce médicament. Dans cette seconde hypothèse, le médicament est remboursé au taux de 65 % dès lors que, pour l’une au moins de ses indications représentant une part suffisamment importante du volume de ses prescriptions, le service médical rendu par ce médicament est majeur ou important. Dans le cas où ce service, sans être jugé insuffisant, ne peut être qualifié de majeur ou important, le médicament est remboursé au taux de 35 %.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 257797

SOCIETE "LABORATOIRES GENEVRIER"

Mlle Courrèges
Rapporteur

M. Devys
Commissaire du gouvernement

Séance du 19 mai 2004
Lecture du 23 juin 2004

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 1ère et 6ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 1ère sous-section de la Section du contentieux

Vu la requête, enregistrée le 18 juin 2003 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée pour la SOCIETE " LABORATOIRES GENEVRIER ", dont le siège est 280, rue de Goa, zone industrielle " les Trois Moulins ", Parc de Sophia Antipolis à Antibes (06600), représentée par son président-directeur général en exercice ; la SOCIETE " LABORATOIRES GENEVRIER " demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler pour excès de pouvoir l’arrêté du ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées en date du 18 avril 2003 modifiant la liste des spécialités pharmaceutiques remboursables aux assurés sociaux en tant qu’il fixe le taux de participation de l’assuré à celui prévu au 5° du deuxième alinéa de l’article R. 322-1 du code de la sécurité sociale pour la spécialité " Chondrosulf 400 mg " ;

2°) de mettre à la charge de l’Etat le paiement de la somme 8 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la note en délibéré présentée le 19 mai 2004 pour la SOCIETE " LABORATOIRES GENEVRIER " ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code de la sécurité sociale ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu la loi n° 2003-1199 du 18 décembre 2003, notamment son article 20 ;

Vu les décrets n°s 2002-976 et 2002-986 du 12 juillet 2002 relatifs respectivement aux attributions du ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité et à celles du ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mlle Courrèges, Auditeur,
- les observations de la SCP Monod, Colin, avocat de la SOCIETE " LABORATOIRES GENEVRIER ",
- les conclusions de M. Devys, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu’après avoir informé la SOCIETE " LABORATOIRES GENEVRIER " de son intention de modifier le taux de remboursement du " Chondrosulf 400 mg " par lettre du 23 décembre 2002, le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées, au vu d’un avis de la commission de la transparence du 2 avril 2003, a modifié l’inscription de cette spécialité sur la liste des spécialités remboursables en élevant à son égard le taux de participation de l’assuré social de 35 % à 65 % par un arrêté du 18 avril 2003, dont la SOCIETE " LABORATOIRES GENEVRIER " sollicite l’annulation pour excès de pouvoir en tant qu’il concerne cette spécialité qu’elle exploite ;

Sur la compétence des signataires de l’arrêté :

Considérant, d’une part, que l’arrêté attaqué est signé par le directeur de la sécurité sociale et par le directeur général de la santé ; qu’ainsi, le moyen tiré de ce qu’il aurait été signé par le seul ministre chargé de la santé et n’aurait pas été revêtu, comme le prévoit l’article R.163-2 du code de la sécurité sociale, de la signature du ministre chargé de la sécurité sociale manque en fait ; qu’en tout état de cause, il résulte des dispositions de l’article 1er du décret du 12 juillet 2002 que le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées, qui " prépare et met en oeuvre la politique du gouvernement dans le domaine de la protection de la santé, de l’assurance maladie-maternité " et, à ce titre, " élabore et met en œuvre (.) les règles relatives à la politique de protection de la santé contre les divers risques susceptibles de l’affecter " et " est responsable de l’organisation de la prévention et des soins ", est à la fois chargé de la santé et de la sécurité sociale pour la branche assurance maladie ;

Considérant, d’autre part, qu’aux termes de l’article 3 de l’arrêté en date du 9 décembre 2002 publié au Journal officiel du 11 décembre 2002 : " En cas d’absence ou d’empêchement simultané de M. Abenhaïm et de M. Penaud, délégation est donnée à : (.) Mme Hélène Sainte-Marie, sous-directrice de la politique des produits de santé (.) à l’effet de signer, dans la limite de ses attributions et au nom du ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées, tous (.) arrêtés (.) " ; qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que MM. Abenhaïm et Penaud n’auraient pas été simultanément absents ou empêchés lorsque l’arrêté attaqué a été cosigné par Mme Sainte-Marie ; que, par suite, la société requérante n’est pas fondée à soutenir que l’arrêté attaqué aurait été pris par une autorité incompétente ;

Sur les moyens tirés de l’irrégularité de la procédure devant la commission de la transparence et de l’insuffisante motivation de son avis :

Considérant qu’aux termes de l’article 20 de la loi du 18 décembre 2003 relative au financement de la sécurité sociale pour 2004 : " Sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, sont validés les actes pris en application des articles L. 162-17 et L. 162-16-4 du code de la sécurité sociale avant le 1er juillet 2003, en tant que leur légalité serait contestée pour un motif tiré de l’irrégularité des avis rendus par la commission de la transparence " ; qu’il résulte des termes mêmes de ces dispositions qu’elles concernent l’ensemble des irrégularités susceptibles d’entacher les avis de la commission de la transparence, et non les seuls vices affectant la motivation de ces avis ;

Considérant qu’aux termes du 1 de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial qui décidera soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle " ; que le présent litige, qui a pour objet le taux de prise en charge par l’assurance maladie du coût d’un médicament inscrit sur la liste des spécialités remboursables et, par voie de conséquence, la part de ce médicament restant à la charge du patient, porte sur des droits et obligations à caractère civil au sens de ces stipulations qui lui sont, dès lors, applicables ;

Considérant, en premier lieu, que les dispositions précitées de l’article 20 de la loi du 18 décembre 2003 ont seulement pour objet d’éviter que des décisions abaissant le taux de prise en charge de médicaments puissent être mises en cause en raison d’irrégularités affectant l’avis donné à leur sujet, dans le cadre de la procédure complexe de modification des conditions d’inscription d’une spécialité sur la liste des spécialités remboursables, par la commission de la transparence ; qu’elles ne font, en revanche, pas obstacle à la contestation de ces décisions pour d’autres motifs, notamment de légalité interne ;

Considérant, en deuxième lieu, qu’une éventuelle annulation des décisions en question pourrait être de nature à entraîner de graves difficultés pratiques, résultant, en particulier de l’éventualité d’un réexamen des droits de nombreux assurés sociaux ;

Considérant, en troisième lieu, qu’il appartient aux autorités de l’Etat, afin de rétablir l’équilibre des comptes de la sécurité sociale, de prendre des mesures qui font varier le taux de remboursement des médicaments en fonction, notamment, de leur efficacité et de leur intérêt relatifs pour la santé publique ; qu’il ressort des indications données par le ministre de la santé, et qui ne sont pas contestées par la société requérante, que la validation qui résulte de la loi du 18 décembre 2003, est susceptible d’avoir sur les finances de la sécurité sociale une incidence de l’ordre de 500 millions d’euros ;

Considérant ainsi qu’eu égard à la nature des vices qui font l’objet de la validation législative, aux inconvénients d’ordre pratique qu’elle permet d’éviter et à son incidence substantielle sur l’équilibre des comptes de la sécurité sociale, les dispositions de l’article 20 de la loi du 18 décembre 2003, qui réservent expressément, comme elles devaient le faire, le cas des décisions passées en force de chose jugée, sont justifiées par d’impérieux motifs d’intérêt général ; que, dès lors, elles ne sont pas incompatibles avec les stipulations de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les moyens tirés de ce que la procédure contradictoire organisée par les dispositions du III de l’article R. 163-16 du code de la sécurité sociale n’aurait pas été respectée, de la composition irrégulière de la commission de la transparence lors de ses séances des 12 et 19 mars 2003 au cours desquelles elle a examiné les conditions d’inscription du " Chondrosulf 400 mg " sur la liste des spécialités remboursables et de l’insuffisante motivation de son avis du 2 avril 2003 relatif au " Chondrosulf 400 mg " ou de la contradiction entre ses motifs ne peuvent plus être utilement invoqués devant le juge de l’excès de pouvoir ;

Sur la légalité interne de l’arrêté attaqué :

Considérant que selon les dispositions du 5° de l’article R. 322-1 du code de la sécurité sociale, la participation de l’assuré prévue à l’article L. 322-2 est fixée à 65 %, soit une prise en charge par l’assurance maladie au taux de 35 %, " pour les médicaments principalement destinés au traitement des troubles ou affections sans caractère habituel de gravité ", figurant sur une liste établie par arrêté du ministre chargé de la santé et du ministre chargé de la sécurité sociale, après avis de la commission de la transparence mentionnée à l’article R. 163-15 ; qu’en vertu des dispositions ajoutées à ce même alinéa par l’article 6 du décret n° 99-915 du 27 octobre 1999, il en va de même pour les médicaments dont le service médical rendu " n’a pas été classé comme majeur ou important " ; qu’il résulte du 6° de l’article R. 322-1 que, pour les médicaments qui ne relèvent pas du 5°, la participation de l’assuré est fixée au taux de droit commun de 35 %, soit une prise en charge au taux de 65 % par l’assurance maladie ; que, pour déterminer ou modifier le taux de remboursement d’un médicament comportant plusieurs indications thérapeutiques, l’administration doit, dans un premier temps, examiner si ce médicament est principalement destiné à traiter des troubles ou affections sans caractère habituel de gravité, auquel cas sa prise en charge par l’assurance maladie est limitée à un taux de 35 % ; que, si tel n’est pas le cas, il lui appartient, dans un second temps, d’évaluer le service médical rendu des indications de ce médicament ; que, dans cette seconde hypothèse, le médicament est remboursé au taux de 65 % dès lors que, pour l’une au moins de ses indications représentant une part suffisamment importante du volume de ses prescriptions, le service médical rendu par ce médicament est majeur ou important ; que, dans le cas où ce service, sans être jugé insuffisant, ne peut être qualifié de majeur ou important, le médicament est remboursé au taux de 35 % ; qu’enfin, en vertu du I de l’article R. 163-3 du code de la sécurité sociale, l’appréciation du service médical rendu apporté pour chacune de ses indications par une spécialité prend en compte, outre la gravité de l’affection à laquelle il est destiné, l’efficacité et les effets indésirables du médicament, sa place dans la stratégie thérapeutique, notamment au regard des autres thérapies disponibles, le caractère préventif, curatif ou symptomatique du traitement médicamenteux et son intérêt pour la santé publique ;

Considérant, en premier lieu, qu’il n’est pas contesté que l’arthrose, seule indication prise en compte pour l’appréciation du service médical rendu par le " Chondrosulf 400 mg ", présente un caractère habituel de gravité au sens de ces dispositions ;

Considérant, en second lieu, que la commission de la transparence et le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées, qui étaient en droit de se fonder sur les éléments disponibles les plus récents, alors même qu’ils conduisaient à remettre en cause l’appréciation initialement portée sur le service médical rendu par cette spécialité et à émettre des critiques sur la fiabilité d’études prises en compte pour la délivrance et le renouvellement de l’autorisation de mise sur le marché, se sont appuyés sur une étude publiée en 2000 qui fait la synthèse de précédentes études sur la question et de laquelle il ressort que l’efficacité de cette spécialité dans le traitement symptomatique à action retardée des manifestations fonctionnelles de l’arthrose, évaluée de " modérée à importante ", devait être confirmée par de nouvelles études " bien menées " en raison des nombreuses faiblesses méthodologiques des études existantes, y compris en ce qui concerne la baisse de consommation d’antalgiques et des anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) après trois mois de traitement par " Chondrosulf 400 mg ", ce alors qu’il existe des alternatives médicamenteuses et non médicamenteuses à ce traitement ; qu’ainsi et alors qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que les faits retenus seraient erronés, la commission de la transparence et le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées n’ont pas entaché d’une erreur manifeste l’appréciation qu’ils ont portée sur le service médical rendu par cette spécialité dans le traitement symptomatique de l’arthrose en estimant que ce service était modéré ; que la circonstance alléguée qu’une spécialité concurrente traitant la même indication continue de bénéficier d’un taux de prise en charge supérieur n’est, en tout état de cause, pas de nature à établir l’existence d’une rupture d’égalité entre la société requérante et l’entreprise qui exploite cette spécialité concurrente alors, au surplus, qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que les deux spécialités auraient un service médical rendu comparable ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la SOCIETE " LABORATOIRES GENEVRIER " n’est pas fondée à demander l’annulation de l’arrêté en date du 18 avril 2003 en tant que, par cet arrêté, le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées a modifié le taux de remboursement du " Chondrosulf 400 mg " ; que doivent être également rejetées ses conclusions tendant à ce qu’en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, le paiement d’une somme soit mis à la charge de l’Etat, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance ; D E C I D E :

Article 1er : La requête de la SOCIETE " LABORATOIRES GENEVRIER " est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE " LABORATOIRES GENEVRIER " et au ministre de la santé et de la protection sociale.

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