Cour administrative d’appel de Bordeaux, 27 avril 2004, n° 03BX00370, Association Eglise Saint-Eloi

La ville de Bordeaux ne pouvait mettre l’église Saint Eloi à la disposition de l’association requérante sans avoir fait procéder à la désaffectation de cet édifice cultuel par arrêté préfectoral, avec le consentement écrit du représentant du culte affectataire. Cette désaffectation ne saurait résulter d’une situation de fait.

COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL DE BORDEAUX

N° 03BX00370

ASSOCIATION EGLISE SAINT ELOI

M. Chavrier
Président

M. Dudezert
Rapporteur

M. Rey
Commissaire du gouvernement

Arrêt du 27 avril 2004

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL DE BORDEAUX

Vu la requête, enregistrée le 17 février 2003 sous le n° 03BX00370 au greffe de la cour, présentée pour l’ASSOCIATION EGLISE SAINT ELOI, dont le siège est 8 rue Marcellin à Bordeaux (33000), représentée par son président en exercice, par Me Turot ;

L’association demande à la cour :

1° d’annuler le jugement du 20 décembre 2002 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a annulé, à la demande de M. S. et de Mgr R., la délibération en date du 28 janvier 2002 autorisant le maire à signer une convention de mise à disposition de l’église Saint Eloi et la décision du maire de Bordeaux de signer ladite convention ;

2° de rejeter les demandes présentées par M. S. et Mgr R. ;

3° de condamner M. S. et Mgr R. à lui verser la somme de 1524,49 euros, au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu, enregistrée le 8 avril 2004, la note en délibéré présentée pour l’ASSOCIATION EGLISE SAINT ELOI ;

Vu la loi du 9 décembre 1905 ;

Vu la loi du 2 janvier 1907 ;

Vu le décret n° 70-220 du 17 mars 1970 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 30 mars 2004 :
- le rapport de M. Dudezert, président-rapporteur ;
- les observations de Me Laveissière pour la ville de Bordeaux ;
- les observations de Me Dacharry pour Mgr R. ;
- les observations de Me Beneix pour M. Gilles S. ;
- et les conclusions de M. Rey, commissaire du gouvernement ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

Considérant que si, dans le cadre d’une demande en référé présentée par l’ASSOCIATION EGLISE SAINT ELOI et jointe par la suite à l’examen des demandes de M. S. et de Mgr R., le greffe du tribunal administratif de Bordeaux, en violation de l’article R. 431-1 du code de justice administrative, a communiqué un mémoire et des pièces au président de ladite association et non à son avocat, il ressort des pièces du dossier que ces documents ont été régulièrement communiqués lors de l’instruction de la demande de Mgr R. ; qu’au surplus l’avocat de l’association requérante qui, par une lettre en date du 2 novembre 2002, a reconnu avoir personnellement reçu ces documents alors que l’audience publique était fixée le 10 décembre 2002, a disposé du temps nécessaire à la préparation de cette audience ; qu’ainsi l’ASSOCIATION EGLISE SAINT ELOI n’est pas fondée à soutenir que le principe de l’instruction contradictoire a été meconnu ;

Considérant qu’en annulant la délibération du conseil municipal de Bordeaux autorisant le maire à signer la convention de mise à disposition de l’église Saint Eloi à l’association requérante et, par voie de conséquence, la décision du maire de signer cette convention, le tribunal n’a pas méconnu l’étendue des conclusions présentées par M. S. et Mgr R. ;

Considérant que le second mémoire en défense produit par l’association le 6 décembre par télécopie, a été enregistré au greffe du tribunal le 9 décembre 2002 ; que ce mémoire a été visé par le tribunal dans son jugement et, par suite, doit être regardé comme ayant été examiné par la juridiction ; que le tribunal a par ailleurs nécessairement répondu au moyen tiré de la désaffectation du bâtiment en l’écartant ;

Considérant qu’en constatant l’absence de consentement du représentant du culte affectataire, le tribunal a répondu à l’argument tiré de ce que l’accord de l’archevêché aurait été exprimé par une lettre en date du 16 août 1993 et n’a donc pas entaché son jugement d’une insuffisance de motivation sur ce point ; qu’eu égard à l’argumentation développée par les parties et qui a conduit le tribunal à constater l’absence totale de respect de la procédure exigée par la loi du 9 décembre 1905 pour la désaffectation d’un édifice cultuel, le tribunal a suffisamment motivé son jugement ;

Sur la recevabilité des demandes devant les premiers juges :

Considérant que l’article R. 421-1 du code de justice administrative prévoit seulement que la juridiction ne peut être saisie que par voie de recours contre une décision ; que M. S. et Mgr R. ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux l’annulation des décisions résultant d’une part, de la délibération du 28 janvier 2002 du conseil municipal de Bordeaux autorisant son maire à signer une convention de mise à disposition de l’église Saint Eloi à l’ASSOCIATION EGLISE SAINT ELOI et d’autre part, de la décision du maire de Bordeaux de signer cette convention ; qu’ainsi, ladite association n’est pas fondée à soutenir que leurs demandes n’étaient pas recevables comme n’ayant pas été précédées d’un recours préalable ;

Considérant que M. S., en sa qualité de conseiller municipal avait intérêt à attaquer la délibération et la décision litigieuses ;

Sur la légalité des décisions attaquées :

Considérant qu’aux termes de l’article 13 de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat : " Les édifices servant à l’exercice public du culte, ainsi que les objets mobiliers les garnissant, seront laissés gratuitement à la disposition des établissements publics, puis des associations appelées à les remplacer auxquelles les biens de ces établissements auront été attribués par application des dispositions du titre 1. La cessation de cette jouissance et, s’il y a lieu, son transfert seront prononcés par décret, sauf recours en Conseil d’Etat statuant au contentieux...2° Si, en dehors des cas de force majeure, le culte cesse d’être célébré pendant plus de 6 mois consécutifs. " ; que, selon l’article 5 de la loi du 2 janvier 1907 concernant l’exercice des cultes : " A défaut d’associations cultuelles, les édifices affectés à l’exercice du culte ... continueront, sauf désaffectation dans les cas prévus par la loi du 9 décembre 1905, à être laissés à la disposition des fidèles pour la pratique de leur religion " ; que l’article 1er du décret n°70-220 du 17 mars 1970 dispose que : " Dans les cas prévus au deuxième alinéa de l’article 13 de la loi du 9 décembre 1905, la désaffectation des édifices cultuels communaux ... est prononcée par arrêté préfectoral à la demande du conseil municipal, lorsque la personne physique ou morale ayant qualité pour représenter le culte affectataire aura donné par écrit son consentement à la désaffectation " ;

Considérant qu’il résulte de ces dispositions combinées que la ville de Bordeaux ne pouvait mettre l’église Saint Eloi à la disposition de l’association requérante sans avoir fait procéder à la désaffectation de cet édifice cultuel par arrêté préfectoral, avec le consentement écrit du représentant du culte affectataire ; que cette désaffectation ne saurait résulter d’une situation de fait ;

Considérant qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que la désaffectation de l’église Saint Eloi ait été prononcée dans les conditions ainsi définies avant sa mise à la disposition de l’ASSOCIATION EGLISE SAINT ELOI ; que si cette association soutient que la ville aurait prononcé la désaffectation dans une correspondance du 30 juin 1993, et que l’archevêché de Bordeaux aurait exprimé son consentement par une lettre du 16 août 1993, il résulte de l’examen de ces pièces qu’elles ne visaient nullement à prononcer la désaffectation de l’édifice, laquelle ne pouvait au demeurant, ainsi qu’il a été dit ci dessus, être prononcée que par un arrêté préfectoral ;

Considérant qu’en décidant ainsi de mettre l’église Saint Eloi à la disposition de l’ASSOCIATION EGLISE SAINT ELOI, en l’absence de décision expresse de désaffectation et de tout accord du représentant du culte affectataire, le conseil municipal de Bordeaux a pris une décision entachée d’excès de pouvoir ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que l’ASSOCIATION EGLISE SAINT ELOI et la ville de Bordeaux ne sont pas fondées à soutenir que c’est à tort, que par le jugement attaqué, le tribunal a annulé la délibération du conseil municipal de Bordeaux autorisant le maire à signer une convention de mise à disposition de ces locaux et la décision du maire de signer cette convention ;

Sur l’application de l’article L.761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, font obstacle à ce que M. S. et Mgr R., qui ne sont pas dans la présente instance les parties perdantes, soient condamnés à verser à l’ASSOCIATION EGLISE SAINT ELOI les sommes qu’elle demande au titre des frais exposées par elle et non compris dans les dépens ; qu’il y a lieu dans les circonstances de l’espèce de condamner l’association à verser la somme de 1300 euros à M. S. et la ville de Bordeaux la somme de 1300 euros à Mgr R. ;

DECIDE :

Article 1er : La requête de l’ASSOCIATION EGLISE SAINT ELOI est rejetée.

Article 2 : L’ASSOCIATION EGLISE SAINT ELOI versera la somme de 1300 euros à M. S. et la ville de Bordeaux la somme de1300 euros à Mgr R..

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