Conseil d’État, 10 Mai 1995, RASSEMBLEMENT DES OPPOSANTS A LA CHASSE et Mme ABRIA

Vu, 1°) sous le n° 120075 la requête enregistrée le 26 septembre 1990 au secrétariat du Contentieux du Conseil d’État, présentée par le RASSEMBLEMENT DES OPPOSANTS A LA CHASSE représenté par son président en exercice ; le RASSEMBLEMENT DES OPPOSANTS A LA CHASSE demande que le Conseil d’État annule un jugement en date du 28 juin 1990 par lequel le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande et celle de Mme Michèle ABRIA tendant à l’annulation de la décision implicite par laquelle le préfet de la Haute-Vienne a refusé de procéder au retrait de sa propriété du périmètre de l’association communale de chasse agréée de Saint-Yrieix-la-Perche.

Vu, 2°) sous le n° 120572 la requête enregistrée le 20 octobre 1990 au secrétariat du Contentieux du Conseil d’État, présentée par Mme Michèle ABRIA, demandant que le Conseil d’État annule un jugement en date du 28 juin 1990 par lequel le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande tendant à l’annulation de la décision implicite par laquelle le préfet de la Haute-Vienne a refusé de procéder au retrait de sa propriété du périmètre de l’association communale de chasse agréée de Saint-Yrieix-la-Perche ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Vu le Pacte international de New-York ;

Vu la loi du 10 juillet 1964 ;

Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel ;

Vu l’ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;

Sans qu’il soit besoin d’examiner la recevabilité de la requête n° 120 075 :

Sur les conclusions aux fins de jonction :

Considérant que les requêtes de Mme Michèle ABRIA enregistrée sous le n° 120 572 et du RASSEMBLEMENT DES OPPOSANTS A LA CHASSE enregistrée sous le n° 12 0075 présentent à juger la même question ; qu’il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

Considérant qu’en attaquant la décision implicite par laquelle le préfet de la Haute-Vienne a refusé de procéder au retrait de la propriété de Mme ABRIA du périmètre de l’association communale de chasse agréée de la commune de Saint-Yriex-la-Perche, les requérants ont entendu contester la compatibilité de la loi du 10 juillet 1964, relative à l’organisation des associations communales de chasse agréées (A.C.C.A.) avec les dispositions, d’une part, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, d’autre part, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ;

Sur le moyen tiré de la violation de la liberté de conscience et de mode de vie :

Considérant que l’article 9 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ratifiée en vertu de la loi du 31 décembre 1973 et publiée par décret du 3 mai 1974, dispose que : "Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience (...) ; ce droit implique la liberté de changer (...) de conviction, ainsi que la liberté de manifester (...) sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites. La liberté de manifester (...) ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles, qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publique, ou à la protection des droits et libertés d’autrui" ; que l’article 18 du pacte international relatif aux droits civils et politiques auquel la France a adhéré en vertu de la loi du 25 juin 1980 et dont le texte a été annexé au décret du 29 janvier 1981, publié le 1er février 1981, stipule que "nul ne subira de contrainte pouvant porter atteinte à sa liberté d’avoir ou d’adopter une religion ou une conviction de son choix" ;

Considérant qu’aucune disposition de la loi du 10 juillet 1964 ne fait obligation au non-chasseur de pratiquer ou d’approuver la chasse ; que, dès lors et en tout état de cause, la requérante n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Limoges a jugé que les dispositions de la loi du 10 juillet 1964 n’étaient pas contraires aux dispositions de l’article 9 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et de l’article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ;

Sur le moyen tiré de la violation de la liberté d’association :

Considérant que si les requérants invoquent l’article 20 de la déclaration universelle des droits de l’homme, la seule publication faite au Journal officiel du 9 février 1949 du texte de ladite déclaration ne permet pas de ranger celle-ci au nombre des traités ou accords internationaux qui, ayant été ratifiés et publiés ont, aux termes de l’article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958 "une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie ;

Considérant que l’article 11 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales dispose que : "Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, y compris le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts... L’exercice de ces droits ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. Le présent article n’interdit pas que des restrictions légitimes soient imposées à l’exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de l’administration de l’État" ; que l’article 22 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques est rédigé dans des termes semblables ;

Considérant que la loi du 10 juillet 1964 a institué des associations communales de chasse agréées par le préfet dans le but d’assurer une meilleure organisation technique de la chasse en France ; qu’en vue de mettre ces organismes à même d’exécuter la mission de service public qui leur est confiée, diverses prérogatives de puissance publique leur ont été conférées ; que, dès lors, en tout état de cause, les dispositions précitées ne sauraient être utilement invoquées pour contester la légalité de la décision attaquée du préfet de la Creuse ;

Sur le moyen tiré de la violation du droit de propriété :

Considérant que l’article 1er du protocole additionnel de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales dispose que "Toute personne physique et morale a droit au respect des ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur des lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général...." ;

Considérant que la circonstance que des terres appartenant à la requérante ont été incluses dans le périmètre d’une association communale de chasse agréée et que les titulaires du droit de chasse peuvent venir y pratiquer cette activité n’a pas privé la requérante de sa propriété, mais a seulement apporté des limitations à son droit d’usage de celle-ci conformément aux règles édictées par la loi, lesquelles ne sont pas disproportionnées par rapport à l’objectif d’intérêt général poursuivi ; que le moyen susanalysé ne saurait dès lors être accueilli ;

Sur le moyen tiré de la violation du principe de l’égalité devant la loi :

Considérant que l’article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales dispose que "La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation" ; que l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques dispose pour sa part que "Toutes les personnes sont égales devant la loi et ont droit sans discrimination à une égale protection de la loi. A cet égard la loi doit interdire toute discrimination et garantir à toutes les personnes une protection égale et efficace contre toute discrimination, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique et de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation" ;

Considérant que la définition par la loi du 10 juillet 1964 de règles différentes selon que les propriétés concernées par ladite loi sont d’une superficie inférieure ou supérieure à 20 hectares correspond à une différence de situation eu égard aux objectifs poursuivis par cette loi et en particulier à la gestion du patrimoine cynégétique ; que ces règles n’instituent aucune des discriminations de la nature de celles qui sont visées tant par l’article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme que par l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que Mme ABRIA et le RASSEMBLEMENT DES OPPOSANTS A LA CHASSE ne sont pas fondés à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Limoges a rejeté leur demande ;

D E C I D E :

Article premier : Les requêtes de Mme ABRIA et du RASSEMBLEMENT DES OPPOSANTS A LA CHASSE sont rejetées.

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Adresse originale : http://www.rajf.org/spip.php?article259