Conseil d’Etat, 11 février 2004, n° 249175, Société Medya TV

Il résulte des dispositions précitées de l’article 33-1 de la loi du 30 septembre 1986 que les services de télévision qui souhaitent être diffusés par satellite ou distribués sur les réseaux câblés doivent conclure avec le Conseil supérieur de l’audiovisuel une convention. Contrairement à ce que soutient la requête, ces dispositions donnent au Conseil compétence pour refuser de conclure une telle convention. Pour prendre sa décision le Conseil peut se fonder sur la sauvegarde de l’ordre public qui, en vertu de l’article 1er de la loi, peut limiter, dans la mesure requise, l’exercice de la liberté de la communication audiovisuelle. Il lui incombe alors, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, de concilier l’exercice de ses pouvoirs avec le respect de cette liberté.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 249175

SOCIETE MEDYA TV

M. Gounin
Rapporteur

M. Chauvaux
Commissaire du gouvernement

Séance du 16 janvier 2004
Lecture du 11 février 2004

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 5ème et 4ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 5ème sous-section de la Section du contentieux

Vu la requête, enregistrée le 30 juillet 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée par la SOCIETE MEDYA TV, dont le siège est 132 avenue du Président Wilson à La Plaine-Saint-Denis (93213), représentée par son président-directeur général ; la SOCIETE MEDYA TV demande au Conseil d’Etat d’annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle le Conseil supérieur de l’audiovisuel a rejeté sa demande de conventionnement du service de télévision dénommé MEDYA TV ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Vu la directive n° 89/552 du Conseil des communautés européennes du 3 octobre 1989 visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres relatives à l’exercice d’activités de radiodiffusion télévisuelle, modifiée par la directive n° 97/36 du 30 juin 1997 ;

Vu la loi du 10 janvier 1936 ;

Vu la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 modifiée ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Gounin, Maître des Requêtes,
- les conclusions de M. Chauvaux, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu’aux termes de l’article premier de la loi du 30 septembre 1986 : "La communication audiovisuelle est libre. L’exercice de cette liberté ne peut être limité que dans la mesure requise, d’une part, par le respect de la dignité de la personne humaine, de la liberté et de la propriété d’autrui, du caractère pluraliste de l’expression des courants de pensée et d’opinion et, d’autre part, par la sauvegarde de l’ordre public, par les besoins de la défense nationale, par les exigences de service public, par les contraintes techniques inhérentes aux moyens de communication, ainsi que par la nécessité de développer une industrie nationale de production audiovisuelle. Le Conseil supérieur de l’audiovisuel, autorité indépendante, garantit l’exercice de cette liberté dans les conditions définies par la présente loi." ; qu’aux termes de l’article 33-1 de cette même loi : "Les services de radiodiffusion sonore et de télévision qui ne consistent pas en la reprise intégrale et simultanée soit d’un service fourni par une société mentionnée à l’article 44 pour l’exercice des missions visées à l’article 43-11, par la chaîne visée à l’article 45-2 ou par la chaîne culturelle européenne issue du traité signé le 2 octobre 1990 et diffusé par voie hertzienne terrestre, soit d’un service bénéficiaire d’une autorisation en application des articles 29, 30 et 30-1, soit d’un service soumis au régime de la concession de service public ne peuvent être diffusés par satellite ou distribués sur les réseaux câblés établis en application du présent chapitre qu’après qu’a été conclue avec le Conseil supérieur de l’audiovisuel une convention définissant les obligations particulières à ces services . Cette convention, qui ne peut être conclue qu’avec une personne morale, définit, dans le respect des règles générales fixées en application de la présente loi et notamment de son article 33, les obligations particulières au service considéré ainsi que les prérogatives et les pénalités contractuelles dont dispose le Conseil supérieur de l’audiovisuel pour assurer le respect des obligations conventionnelles." ;

Considérant que la SOCIETE MEDYA TV demande l’annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite par laquelle le Conseil supérieur de l’audiovisuel a rejeté sa demande tendant à la conclusion de la convention prévue par les dispositions de l’article 33-1 de la loi du 30 septembre 1986 pour la diffusion de ses programmes télévisés par satellite et sur les réseaux câblés ; que cette décision est née du silence gardé par le Conseil sur la demande de la société, complétée en dernier lieu par les éléments qu’elle a adressés à celui-ci le 11 avril 2002 et dont il a accusé réception le 15 mai 2002 ;

Considérant qu’il résulte des dispositions précitées de l’article 33-1 de la loi du 30 septembre 1986 que les services de télévision qui souhaitent être diffusés par satellite ou distribués sur les réseaux câblés doivent conclure avec le Conseil supérieur de l’audiovisuel une convention ; que, contrairement à ce que soutient la requête, ces dispositions donnent au Conseil compétence pour refuser de conclure une telle convention ; que pour prendre sa décision le Conseil peut se fonder sur la sauvegarde de l’ordre public qui, en vertu de l’article 1er de la loi, peut limiter, dans la mesure requise, l’exercice de la liberté de la communication audiovisuelle ; qu’il lui incombe alors, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, de concilier l’exercice de ses pouvoirs avec le respect de cette liberté ;

Considérant qu’il ressort des éléments précis versés au dossier par le Conseil supérieur de l’audiovisuel, dont la réalité n’est pas démentie par les précisions et les informations fournies par la SOCIETE MEDYA TV, qu’il existe un faisceau concordant d’indices de l’existence de liens étroits entre cette société et le parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), organisation politique dont l’émanation intitulée "Comité du Kurdistan" a été dissoute en France par un décret du 2 décembre 1993, pris en application de la loi du 10 janvier 1936, et qui a été inscrite, le 2 mai 2002, sur la liste des organisations terroristes établie par l’Union européenne ; qu’il ressort également des pièces du dossier que la demande de conventionnement adressée au Conseil supérieur de l’audiovisuel par la SOCIETE MEDYA TV a été présentée quelques mois après que la licence de la chaîne Med TV, diffusée au Royaume Uni, et également liée au PKK, eut été retirée par l’organe de régulation britannique à la suite de nombreuses infractions à la législation britannique et notamment d’encouragements à la violence et d’incitations au crime ; que s’il est vrai que le PKK s’est volontairement dissout en 2002 et a été remplacé par un autre parti politique qui ne prône plus le recours à la lutte armée, le Conseil supérieur de l’audiovisuel ne s’est pas livré, en l’état des éléments dont il disposait, à une appréciation erronée des circonstances de l’espèce en estimant que les risques pour l’ordre public susceptibles d’être créés, tant en France que dans plusieurs pays européens, par la diffusion du programme de télévision proposé par la SOCIETE MEDYA TV, étaient d’une gravité suffisante pour justifier le rejet de la demande de conventionnement présentée par la société ; que, par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de la loi du 30 septembre 1986 et, pour les mêmes raisons, du principe de liberté d’expression consacré par l’article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales doit être écarté ;

Considérant que la double circonstance que le Conseil supérieur de l’audiovisuel ait conclu une convention avec un autre service de télévision étranger et qu’une centaine de chaînes satellitaires seraient actuellement diffusées par le satellite Eutelsat sans avoir conclu de convention avec le Conseil supérieur de l’audiovisuel est sans incidence sur la légalité de la décision attaquée ;

Considérant que le moyen tiré de la violation des dispositions de la directive "Télévision sans frontières" susvisée n’est pas assortie des précisions suffisantes permettant d’en apprécier la portée ;

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la SOCIETE MEDYA TV n’est pas fondée à demander l’annulation de la décision par laquelle le Conseil supérieur de l’audiovisuel a rejeté sa demande de conventionnement du service de télévision dénommé Medya TV ;

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la SOCIETE MEDYA TV est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE MEDYA TV, au Conseil supérieur de l’audiovisuel, au Premier ministre et au ministre de la culture et de la communication.

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