L’autorité administrative, lorsqu’elle prononce ou maintient l’hospitalisation d’office d’un aliéné, doit indiquer dans sa décision les considérations de droit et les circonstances de fait qui justifient cette mesure. Si elle peut satisfaire à cette exigence de motivation en se référant au certificat médical circonstancié qui doit être nécessairement être établi avant la décision préfectorale, c’est à la condition de s’en approprier le contenu et de joindre ce certificat à la décision.
COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL DE NANCY
N° 98NC01616
M. R.
M. GILTARD
Président
M. JOB
Rapporteur
Mme SEGURA-JEAN
Commissaire du Gouvernement
Arrêt du 24 novembre 2003
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL DE NANCY
(Première chambre, deuxième formation de jugement)
Vu la requête et les mémoires complémentaires enregistrés au greffe de la Cour les 29 juillet 1998, 30 avril et 13 octobre 1999, 17 février 2000 présentés par M. Philippe R. ;
Il demande à la Cour :
1°/ d’annuler le jugement avant-dire droit en date du 29 août 1997 par lequel le Tribunal administratif de Strasbourg a invité M. R. à communiquer par l’intermédiaire d’un médecin désigné et autorisé dans le délai d’un mois à compter de la signification du jugement, le certificat médical auquel l’arrêté du maire de Colmar du 19 octobre 1992 et l’arrêté du préfet du Haut-Rhin du 20 octobre 1992 font référence, et le jugement en date du 25 juin 1998 en tant que, par son article 3, il a rejeté ses conclusions tendant à l’annulation de l’arrêté préfectoral du 20 octobre 1992 ;
2°/ d’annuler ledit arrêté ;
3°/ subsidiairement, de mettre en cause l’ordre national des médecins et les organisations syndicales représentatives du corps médical en vue de dire si l’injonction donnée par le tribunal à l’autorité préfectorale de produire au médecin que désignera l’appelant, le certificat médical qui fonde l’arrêté, est compatible avec les nécessités du rapport de confiance que le médecin doit rechercher avec son patient, et celles de la confraternité ;
4°/ de condamner l’Etat à lui verser la somme de 8 000 F au titre de l’article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel ;
Il soutient :
En ce qui concerne le jugement avant-dire droit du 29 août 1997 :
En lui demandant de produire le certificat médical qui n’était pas joint à l’arrêté dont ce dernier ne reprenait pas les termes, le tribunal a commis une erreur de droit, une erreur d’appréciation des faits et le jugement a tranché une question de fond en jugeant légale et régulière la motivation par référence à un document couvert par le secret médical non directement accessible par l’intéressé ; le tribunal ne peut qu’enjoindre à l’administration qui se prévaut du certificat, à le produire au médecin que le requérant désignera, à charge pour lui de le remettre au tribunal ;
En ce qui concerne l’article 3 du jugement du 25 juin 1998 :
le jugement n’est pas motivé au regard du rejet du moyen relatif à l’application de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et le moyen n’était pas inopérant ;
l’arrêté préfectoral est entaché d’incompétence de son auteur et de détournement de pouvoir ;
il est illégal, dès lors qu’il ne prévoit pas l’information de la personne et ne précise pas les délais de cette information ;
l’arrêté préfectoral est illégal par voie de conséquence de l’illégalité de l’arrêté du maire de Colmar ; l’arrêté n’est pas motivé dès lors qu’il ne précise pas les circonstances de fait et de droit à l’origine de la mesure, et qu’il fait référence à un certificat médical illégal, rédigé par un médecin non habilité, certificat dont les énonciations sont insuffisantes pour justifier la mesure, n’ont pas été reprises par l’autorité, et qui n’est pas joint :
l’établissement médical n’est pas habilité juridiquement et pratiquement à le recevoir ;
Vu le jugement et l’arrêté attaqués ;
Vu, enregistrées le 8 octobre 1998, les observations présentées pour la commune de Colmar, représentée par son maire, par Me Dieudonné, avocat, faisant connaître à la Cour, qu’elle n’est pas concernée par les conclusions de l’appelant ;
Vu, enregistrés les 14 octobre 1998, 30 novembre 1999 et 8 mars 2000, les mémoires en défense présentés par le ministre de l’emploi et de la solidarité tendant au rejet de la requête qui est infondée ;
Vu l’ordonnance fixant la clôture de l’instruction le 12 juin 2001 à 16 heures ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code de justice administrative
Les parties ayant été dûment averties du jour de l’audience ;
Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 24 novembre 2003 :
le rapport de M. JOB, Président,
et les conclusions de Mme SEGURA-JEAN, Commissaire du Gouvernement ;
Sans qu’il soit besoin de statuer sur le moyen tiré de l’irrégularité du jugement en date du 25 juin 1998 :
Considérant, d’une part, qu’aux termes de l’article L.343 du code de la santé publique, dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision : "(...) dans les départements, les préfets ordonneront d’office le placement, dans un établissement d’aliénés, de toute personne (...), dont l’état d’aliénation compromettrait l’ordre public ou la sûreté des personnes. - Les ordres des préfets seront motivés et devront énoncer les circonstances qui les auront rendus nécessaires (...)" ; qu’aux termes de l’article L.344 du même code : "En cas de danger imminent, attesté par le certificat d’un médecin ou par la notoriété publique, les commissaires de police à Paris, et les maires dans les autres communes, ordonneront, à l’égard des personnes atteintes d’aliénation mentale, toutes les mesures provisoires nécessaires, à la charge d’en référer dans les vingt-quatre heures au préfet, qui statuera sans délai" ;
Considérant qu’il résulte de ces dispositions que l’autorité administrative, lorsqu’elle prononce ou maintient l’hospitalisation d’office d’un aliéné, doit indiquer dans sa décision les considérations de droit et les circonstances de fait qui justifient cette mesure ; que si elle peut satisfaire à cette exigence de motivation en se référant au certificat médical circonstancié qui doit être nécessairement être établi avant la décision préfectorale, c’est à la condition de s’en approprier le contenu et de joindre ce certificat à la décision ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que si l’arrêté du 20 octobre 1992 du préfet du Haut-Rhin ordonnant le placement d’office en service spécialisé de M. R. vise le certificat médical du 18 octobre 1992 dressé par le docteur Gouni constatant que l’intéressé présente un état de santé qui nécessite une hospitalisation en milieu hospitalier, ledit certificat n’est pas joint à la décision du préfet ; qu’ainsi, l’arrêt attaqué n’est pas suffisamment motivé au regard des dispositions précitées ; que par suite, M. R. est fondé à soutenir que c’est à tort, d’une part, que par son jugement avant-dire droit en date du 29 août 1997, le tribunal lui a demandé de produire le certificat médical du docteur Gouni dès lors que l’absence même de ce certificat équivalait à une motivation insuffisante dont le tribunal devait tirer toutes les conséquences de droit, et que la production du certificat, qui n’était pas nécessaire à la solution du litige, revêtait un caractère frustratoire pour l’intéressé, d’autre part, que par son jugement du 25 juin 1998 le tribunal a rejeté sa demande tendant à l’annulation de l’arrêté attaqué, sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête ;
Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que M. R. est fondé à soutenir que c’est à tort que par son jugement avant dire droit attaqué le Tribunal administratif de Strasbourg a invité M. R. à communiquer par l’intermédiaire d’un médecin désigné et autorisé dans le délai d’un mois à compter de la signification du jugement, le certificat médical auquel l’arrêté du maire de Colmar du 19 octobre 1992 et l’arrêté du préfet du Haut-Rhin du 20 octobre 1992 font référence, et par le jugement en date du 25 juin 1998 qui doit également être annulé, il a, par l’ article 3, rejeté ses conclusions tendant à l’annulation de l’arrêté préfectoral du 20 octobre 1992 ;
Sur l’application de l’article L.761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce de condamner l’Etat, qui succombe dans la présente instance, à verser à M. R., la somme de 100 euros au titre des dispositions de l’article L.761-1 du code de justice administrative qui se sont substituées à celles de l’article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel ;
D E C I D E :
ARTICLE 1er : Le jugement n° 962906 et 962919 en date du 29 août 1997 et l’article 3 du même jugement en date du 25 juin 1998 en tant qu’il concerne M. R. sont annulés.
ARTICLE 2 : L’arrêté du 20 octobre 1992 du préfet du Haut-Rhin est annulé.
ARTICLE 3 : L’Etat versera à M. R. la somme de cent euros au titre de l’article L.761-1 du code de justice administrative.
ARTICLE 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. R., au ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité et à la commune de Colmar.
_________________
Adresse originale : http://www.rajf.org/spip.php?article2268