L’administration, en procédant à l’attribution des aides aux partis et groupements politiques, ne peut prendre en compte que les seules conditions posées par les dispositions législatives précitées ; que dès lors le moyen par lequel, pour contester la légalité du décret attaqué, le requérant entend critiquer les thèses et le programme d’un parti ou groupement politique, est inopérant.
Vu la requête présentée par M. Raymond Avrillier, demandant que le Conseil d’Etat annule le décret n° 98-253 du 3 avril 1998 pris pour l’application de l’article 9 de la loi du n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique, en ce qu’il attribue une aide publique de 41 137 430,12 F au parti Front national ;
Vu les autres pièces du dossier ; la déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 ; la Constitution du 27 octobre 1946 ainsi que son préambule ; la Constitution du 4 octobre 1958 ainsi que son préambule ; la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; le code du travail ; le code de la sécurité sociale ; la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association ; la loi du 10 juillet 1936 relative aux groupes de combat et aux milices privées ; l’ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Considérant que les intervenants, qui invoquent leur qualité d’électeur ou de contribuable, ont intérêt à l’annulation du décret attaqué ; que par suite leurs interventions doivent être admises ;
Sur la légalité du décret attaqué :
Considérant qu’aux termes du 1er alinéa de l’article 9 de la loi du 11 mars 1988 susvisée : "La première fraction des aides prévues à l’article 8 est attribuée aux partis et groupements politiques qui ont présenté des candidats dans au moins cinquante circonscriptions lors du plus récent renouvellement de l’Assemblée nationale... La répartition est effectuée proportionnellement au nombre de suffrages obtenu au premier tour de ces élections par chacun des partis et groupements en cause. Il n’est pas tenu compte des suffrages obtenus par les candidats déclarés inéligibles au titre de l’article L.O. 128 du code électoral." ;
Considérant qu’aux termes de l’article L.O. 128 du code électoral : "Est inéligible pendant un an celui qui n’a pas déposé l’une des déclarations prévues à l’article L.O. 135-1. Est également inéligible pendant un an à compter de l’élection celui qui n’a pas déposé son compte de campagne dans les conditions et le délai prescrits par l’article L. 52-12 et celui dont le compte de campagne a été rejeté à bon droit. Peut également être déclaré inéligible, pour la même durée, celui qui a dépassé le plafond des dépenses électorales tel qu’il résulte de l’article L. 52-11" ;
Considérant que l’administration, en procédant à l’attribution des aides aux partis et groupements politiques, ne peut prendre en compte que les seules conditions posées par les dispositions législatives précitées ; que dès lors le moyen par lequel, pour contester la légalité du décret attaqué, le requérant entend critiquer les thèses et le programme d’un parti ou groupement politique, est inopérant ;
Considérant que M. Avrillier invoque la décision rendue par le Conseil constitutionnel le 6 février 1998 et déclarant M. Le Chevalier inéligible pour soutenir que l’ensemble des conditions de financement de la campagne des élections législatives des 25 mai et 1er juin 1997 aurait méconnu les dispositions qui régissent le financement des campagnes électorales et entache d’illégalité le décret attaqué ; que, dans le calcul de répartition de l’aide publique aux partis et groupements politiques, seuls peuvent être écartés les suffrages obtenus par les candidats autres que M. Le Chevalier, dont les voix n’ont pas été comptées, déclarés inéligibles par le Conseil constitutionnel sur le fondement de l’article L.O. 128 du code électoral ; que, par suite, le requérant ne saurait utilement soutenir que des suffrages obtenus par des candidats autres que M. Le Chevalier, dont les voix n’ont pas été comptées, qui n’ont pas été ainsi déclarés inéligibles devraient être écartés en raison de la méconnaissance des règles de financement des campagnes électorales ;
Considérant qu’aux termes de l’article 11-7 de la loi du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique : "Les partis ou groupements bénéficiaires de tout ou partie des dispositions des articles 8 à 11-4 ont l’obligation de tenir une comptabilité. Cette comptabilité doit retracer tant les comptes du parti ou groupement politique que ceux de tous les organismes, sociétés ou entreprises dans lesquels le parti ou groupement détient la moitié du capital social ou des sièges de l’organe d’administration ou exerce un pouvoir prépondérant de décision ou de gestion. Les comptes de ces partis ou groupements sont arrêtés chaque année. Ils sont certifiés par deux commissaires aux comptes et déposés dans le premier semestre de l’année suivant celle de l’exercice à la commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques instituée à l’article L. 52-14 du code électoral, qui assure leur publication sommaire au Journal officiel de la République française. Si la commission constate un manquement aux obligations prévues au présent article, le parti ou groupement politique perd le droit, pour l’année suivante, au bénéfice des dispositions des articles 8 à 10 de la présente loi." ;
Considérant que si M. Avrillier invoque les réserves émises par les commissaires aux comptes du Front national sur les comptes de ce parti pour l’année 1997, publiés au Journal officiel de la République française du 18 novembre 1998, pour contester la légalité du décret attaqué, la commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques n’ayant pas constaté de manquement sur le fondement des dispositions précitées, M. Avrillier ne saurait utilement invoquer ces réserves pour contester la légalité du décret attaqué ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que M. Avrillier n’est pas fondé à demander l’annulation du décret du 3 avril 1998 pris pour l’application de l’article 9 de la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique ;
Décide :
Article 1er : Les interventions de M. Duquesne, de Mme Jonot, de M. Cantèle, de M. Thinès, de Mme Meunier, de M. Meriaux, de M. Durand, de M. Affre, de M. Rambaud et de Mme Rannou sont admises.
Article 2 : La requête de M. Avrillier est rejetée.
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Note Rapide :
On sait que tous les partis politiques bénéficient d’un financement public. Le Front National devait-il être exclu de ce financement à raison de ses thèses et de son programme ?
Le juge refuse d’entrer dans la discussion (le moyen est "inopérant") comme il avait interdit à l’Assemblée nationale d’empêcher la formation d’un groupe parlementaire ou refusé de se prononcer sur "la sincérité de l’adhésion des candidats aux idées dont ils se réclament" …
Bruno Kornprobst
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