La liberté reconnue aux collectivités territoriales d’accorder certaines aides indirectes à des entreprises en vue de permettre la création ou l’extension d’activités économiques ne pouvant légalement s’exercer que dans le respect des principes constitutionnels, notamment de ceux selon lequels une collectivité publique ne peut pas céder un élément de son patrimoine à un prix inférieur à sa valeur à une personne poursuivant des fins d’intérêt privé ou acquérir d’une telle personne un bien immobilier à un prix supérieur à sa valeur, les avantages consentis doivent, pour ne pas contrevenir à ces principes, être justifiés par des motifs d’intérêt général et comporter des contreparties suffisantes.
COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL DE BORDEAUX
N° 99BX02295
COMMUNE DE BELVES
M. Chavrier
Président Rapporteur
M. Rey
Commissaire du Gouvernement
Arrêt du 12 novembre 2003
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL DE BORDEAUX
(2ème chambre)
Vu, enregistrée le 24 septembre 1999 au greffe de la cour, la requête présentée pour la COMMUNE DE BELVES par la SCP Moneger-Assier, avocats à Bergerac ;
La COMMUNE DE BELVES demande à la cour :
1°) d’annuler le jugement du 24 juin 1999 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a, sur demande de M. René Barde, annulé la délibération du conseil municipal en date du 10 novembre 1993 autorisant le maire à conclure un protocole d’accord mettant fin au litige opposant la commune à la société Imberty ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. Barde ;
3°) de condamner ce dernier à lui verser la somme de 10 000 F au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution ;
Vu la loi n° 82-6 du 7 janvier 1982 ;
Vu la loi n° 82-213 du 2 mars 1982 ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;
Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 14 octobre 2003 :
le rapport de M. Chavrier, président de chambre ;
les observations de Me Assier, de la S.C.P. Moneger et Assier ;
les observations de Me Dirou pour M.Barde ;
et les conclusions de M. Rey, commissaire du gouvernement ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier de première instance qu’après avoir saisi le tribunal administratif, par requête enregistrée le 25 novembre 1993, de conclusions mettant en cause la délibération litigieuse du conseil municipal en date du 10 novembre 1993, M. Barde a, dans son mémoire enregistré le 12 janvier 1994, clairement indiqué qu’il entendait, par sa réclamation, former opposition à ladite délibération ; qu’ainsi, le moyen tiré par la COMMUNE DE BELVES de ce que les premiers juges auraient, en annulant ladite délibération, statué au-delà des conclusions de la demande doit être écarté ;
Sur la recevabilité de la demande devant le tribunal administratif :
Considérant que les membres d’un conseil municipal justifient en cette seule qualité d’un intérêt à attaquer les délibérations de ce conseil, même sans se prévaloir d’une atteinte portée à leurs prérogatives ; que la demande présentée en cette qualité devant le tribunal administratif par M. Barde était donc recevable ;
Sur la légalité de la délibération litigieuse :
Considérant qu’en vertu de l’article 5 de la loi susvisée du 2 mars 1982, alors applicable, les communes peuvent, lorsque leur intervention a pour objet de favoriser le développement économique, accorder des aides directes et indirectes dans les conditions prévues par la loi approuvant le plan ; qu’aux termes de l’article 4 de la loi susvisée du 7 janvier 1982 approuvant le plan intérimaire 1982-1983, toujours en vigueur à la date de la délibération litigieuse : " Les collectivités territoriales ... peuvent, lorsque leur intervention a pour objet la création ou l’extension d’activités économiques, accorder des aides directes ou indirectes aux entreprises dans les conditions ci-après : - Les aides directes revêtent la forme de primes régionales à la création d’entreprises, de primes régionales à l’emploi, de bonifications d’intérêt ou de prêts et avances à des conditions plus favorables que celles du taux moyen des obligations. Les aides directes sont attribuées par la région dans des conditions fixées par décret en Conseil d’Etat ... - - Ces différentes formes d’aides directes peuvent être complétées par le département, les communes ou leurs groupements, lorsque l’intervention de la région n’atteint pas le plafond fixé par le décret mentionné à l’alinéa précédent. - Les aides indirectes peuvent être attribuées par les collectivités territoriales ... - La revente ou la location de bâtiments par les collectivités locales ... doit se faire aux conditions du marché. Toutefois, il peut être consenti des rabais sur ces conditions, ainsi que des abattements sur les charges de rénovation des bâtiments industriels anciens, suivant les règles de plafond et de zones prévues par le décret mentionné au deuxième alinéa. - Les autres aides indirectes sont libres ... " ; que, la liberté ainsi reconnue aux collectivités territoriales d’accorder certaines aides indirectes à des entreprises en vue de permettre la création ou l’extension d’activités économiques ne pouvant légalement s’exercer que dans le respect des principes constitutionnels, notamment de ceux selon lequels une collectivité publique ne peut pas céder un élément de son patrimoine à un prix inférieur à sa valeur à une personne poursuivant des fins d’intérêt privé ou acquérir d’une telle personne un bien immobilier à un prix supérieur à sa valeur, les avantages consentis doivent, pour ne pas contrevenir à ces principes, être justifiés par des motifs d’intérêt général et comporter des contreparties suffisantes ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que, par délibération du 10 novembre 1993, le conseil municipal de la COMMUNE DE BELVES a autorisé son maire à conclure avec la société Imberty un protocole d’accord aux termes duquel la commune s’engageait à verser à cette société, d’une part, une somme de 300 000 F à titre d’indemnisation de désordres affectant un terrain qu’elle avait viabilisé et cédé à la société en vue de l’extension de son activité et, d’autre part, une somme de 500 000 F, augmentée des frais et intérêts, pour prix d’une partie des anciennes installations de cette entreprise ; que, de son côté, la société Imberty s’engageait, d’une part, à se désister de son appel formé contre le jugement du tribunal de grande instance de Bergerac ayant condamné la commune à lui verser une indemnité de 100 000 F en réparation des désordres susmentionnés ainsi que de son action engagée devant la même juridiction en vue de contraindre la commune à acquérir une partie de ses anciennes installations et, d’autre part, à verser une somme de 70 000 F pour l’acquisition du terrain cédé par la commune ;
Considérant qu’il est constant que les sommes que la COMMUNE DE BELVES s’engageait à verser en vertu de ce protocole d’accord sont sensiblement supérieures, d’une part, à l’évaluation de l’indemnité devant réparer les désordres affectant le terrain cédé à la société Imberty telle que fixée par le juge judiciaire et, d’autre part, à l’estimation faite par le service des domaines de la valeur des terrains et bâtiments cédés par celle-ci ; qu’il n’est pas contesté que la somme que la société s’engageait à verser en vertu du même protocole est considérablement inférieure à la valeur du terrain cédé par la commune et des aménagements qu’elle y a réalisés ; qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que l’entreprise bénéficiaire de tels avantages se serait obligée à d’autres contreparties que celles découlant des seuls engagements souscrits dans le cadre du protocole litigieux ; que, si la COMMUNE DE BELVES soutient que la société Imberty, qui constitue l’un des principaux employeurs de la localité, aurait menacé de transporter ailleurs son activité, cette circonstance ne suffit pas à justifier l’octroi d’aides indirectes dès lors que celles-ci, faute de comporter des contreparties suffisantes, sont contraires aux principes susmentionnés ;
Considérant qu’il résulte de qui précède que la COMMUNE DE BELVES n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé la délibération précitée du conseil municipal de cette commune en date du 10 novembre 1993 ;
Sur l’application de l’article L.761-1 du code de justice administrative :
Considérant que les dispositions de l’article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que M. Barde, qui n’est pas la partie perdante, soit condamné à verser la somme que la COMMUNE DE BELVES réclame au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de condamner cette dernière à verser à l’intéressé une somme de 1 000 euros au même titre ;
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la COMMUNE DE BELVES est rejetée.
Article 2 : La COMMUNE DE BELVES versera à M. Barde une somme de 1 000 euros en application de l’article L.761-1 du code de justice administrative.
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