Commentaire rapide sous Conseil d’Etat, Assemblée, 9 Avril 1999, Mme Chevrol-Benkeddach

Par Benoit Tabaka

Dans la présente décision, sont rappelées les règles habituelles applicables aux décisions prises par les ordres. Ainsi, tout d’abord, l’ordre a une obligation de statuer dans les deux mois qui suit la requête. De plus, il est dans l’obligation de motiver sa décision.

Concernant la motivation, il faut savoir que cela est une exception au principe de non-motivation des décisions de l’administration. Cette exception a commencé à naître en matière d’organisme professionnel d’abord en 1970 par une décisions Agence Maritime Marseille-Fret. Ensuite, la loi du 11 juillet 1979 a prévu dans certains cas une obligation de motivation, notamment pour toutes les décisions individuelles défavorables. On entend par motivation l’énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision. Dans la présente décision, le Conseil de l’Ordre après avoir énoncé les règles de droit applicables, a énoncé les circonstances de fait justifiant le refus d’inscription. Ainsi, les règles de motivations étaient respectées. Mais, cette décision a surtout eu pour effet de rappeler les règles applicables en matières de normes internationales.

I- Le contrôle de l’effectivité de la réciprocité en matière d’engagement internationaux.

L’article 55 de la Constitution de 1958 dispose que les engagements internationaux régulièrement rattifiés ou approuvés ont dès leur publication une autorité supérieure à celle des lois et cela sous réserve de réciprocité, c’est à dire sous réserve de son application par l’autre partie. Le contrôle de la condition de réciprocité est différent selon les juridictions.

Depuis la décision IVG du 15 Janvier 1975, le Conseil Constitutionnel se borne au contrôle d’une réciprocité formelle c’est à dire qu’il ne recherche pas à savoir si les autres Etats respectent ou non le Traité mais se contente du fait que les autres Etats ont signé et rattifié le Traité. A partir du moment où le traité a été signé ou rattifié par les Etats parties, il y a une présomption irréfragable de réciprocité.

Affirmé dans une décision du 6 Mars 1984, dans une affaire Kryla, la Cour de Cassation admet également une présomption irréfragable de réciprocité en considérant que tant que le gouvernement n’a pas pris l’initiative de dénoncer une convention internationale ou de susprendre son application, la condition de réciprocité est remplie.

Enfin, concernant le Conseil d’Etat, depuis l’arrêt Rekhou du 9 Mai 1951, a une position plus souple que les deux autres juridictions. En effet, il ne se retranche pas derrière une présomption irréfragable. Le Conseil d’Etat refuse d’examiner d’office la réciprocité des traités, mais, si les parties lui posent la question, et lui demande de vérifier cette réciprocité, il renvoit la question préjudicielle au Ministre des Affaires Etrangères qui devra indiqué si la condition de réciprocité est respectée. C’est cette solution qu’a suivi le Conseil d’Etat dans la présente décision. Cela peut paraître un peu contraire à la volonté d’indépendance du Conseil d’Etat puisque de la décision d’un ministre dépend la solution du litige. En 1990, le Conseil d’Etat avait définitivement pris ses distances du ministre des affaires étrangères en refusant de lui reconnaître la possibilité d’interpréter les traités internationaux. Ainsi, le Conseil d’Etat n’est pas véritablement indépendant du pouvoir politique. Mais cela est fortement à nuancer notamment en raison du fait que la question de la réciprocité des traités est très rarement posée.

A noter, qu’en matière de traités portant sur les droits de l’homme, la condition de réciprocité n’est pas nécessaire.

II - L’invocabilité directe des directives communautaires.

A l’appui de sa requête, la requérante se fonde sur les dispositions d’une directive du 21 décembre 1988. Le Conseil d’Etat rejette cette demande au motif que la directive ne crée pas d’obligations aux Etats membres dont la requérante pourrait se prévaloir. La Cour de Justice des Communautés Européennes avait décidé en 1975 dans une décision Ratti que les directives pouvaient être invoquées directement par les requérants à l’appui de leur recours : « l’Etat membre qui n’a pas pris dans les délais les mesures d’exécution imposées par la directive,ne peut opposer aux particuliers le non-accomplissement par lui-même des obligations qu’elle comporte. » Ainsi, pour être invoquée directement, il faudrait tout d’abord que le délai de transposition soit écoulé mais également, elle devait être suffisament précise et inconditionnée pour être invoquée directement par le requérant.

Mais, ce n’est pas cette solution qu’admet le Conseil d’Etat depuis un arrêt du 22 décembre 1978, l’arrêt Cohn Bendit qui a indiqué : « qu’ainsi , quelles que soient d’ailleurs les précisions qu’elles contiennent à l’intention des Etats membres, les directives ne sauraient être invoquées par les ressortissants de ces Etats à l’appui d’un recours dirigé contre un acte administratif individuel ».

Ainsi, le Conseil d’Etat reconnaît une possibilité d’invoquer directement une directive à l’appui d’un recours contre un acte administratif réglementaire mais l’écarte pour les actes administratifs individuels. Depuis, cette solution a été rappelée à plusieurs reprises. Mais cet arrêt semble annoncer un changement futur. En effet, il indique que la directive ne crée pas d’obligations aux Etats dont la personne pourrait se prévaloir. Cela rappelle etrangement les formules utilisées en matière d’invocabilité directe des traités internationaux. Le Conseil d’Etat exige que le traité contienne des dispositions visant directement les personnes pour que ces dispositions puissent être invoquées par ces personnes. Ainsi, l’arrêt annoncerait une future possibilité pour les requérants de se prévaloir des dispositions d’une directive lorsque celle-ci n’est pas transposée, à condition que les dispositions de celle-ci soient suffisament claires et précises pour être invoquées directement. Cela rejoindrait la position de la Cour de Justice des Communautés Européennes, mais également, les positions de la Cour Constitutionnelle de la République fédérale allemande et règlerait les carences du pouvoir réglementaire et législatif.

___________
Citation : Benoit Tabaka, Commentaire rapide sous Conseil d’Etat, Assemblée, 9 Avril 1999, Mme Chevrol-Benkeddach , 9 avril 1999, http://www.rajf.org/spip.php?article221

© - Tous droits réservés - Benoit Tabaka