Commentaire rapide sous Conseil d’Etat, Assemblée, 9 Avril 1999, Mme Ba

Par Benoit Tabaka

Qui est compétent pour juger de la légalité de l’usage par le Président de la République d’une de ses prérogatives constitutionnelles ?

Aux termes de l’article 56 de la Constitution de 1958, le Président de la République a la possibilité de nommer trois membres du Conseil Constitutionnel. Le 21 Février 1998, le Président a fait usage de cette prérogative en nommant comme membre parmi les neufs sages, l’ancien Président de la Commission des Lois à savoir, M. Pierre Mazeaud. Une personne, en l’occurence, Mme Ba, non contente de cette décision, l’a attaqué devant la juridiction suprêm administrative. Le Conseil d’Etat a rejetté laconiquement le recours en invoquant tout simplement son incompétence pour connaître de cette décision du Président de la République. Deux interrogations se posent alors : pourquoi le Conseil d’Etat était incompétent pour connaître de cette décision du Président [I], et, si le Conseil d’Etat n’est pas compétent, quelle peut donc être la juridiction compétente pour contrôler la légalité d’un tel acte [II].

I - Le Conseil d’Etat, une juridiction incompétente pour connaître de la légalité de la décision du Président de la République de nommination d’un membre du Conseil Constitutionnel.

Cette décision d’assemblée du Conseil d’Etat s’incrit complètement dans une ligne jurisprudentielle établie depuis la décision Prince Napoléon du 19 février 1875. Dans cette décision, le Conseil d’Etat a considéré qu’il était incompétent pour connaître des questions relevant de la légalité des actes de gouvernement. Ces actes de gouvernement, sont classés en deux grandes catégories : tout d’abord, la catégorie des « actes de l’exécutif dans ses rapports avec le Parlement » et les « actes de l’exécutif en matière de relations avec des puissances ou organismes internationaux. ». Le juge cherche ainsi à respecter une certaine autonomie du gouvernement et à ne pas s’impliquer dans des conflits sortant de la sphère du droit administratif.

En l’espèce, était-ce une décision relevant des rapports avec le Parlement ?

A première vue, cela semble ne pas être le cas. Comment peut-on dire que la nomination d’une personne au Conseil Constitutionnel pourrait avoir des effets dans les rapports avec le Parlement. Mais, il faut prendre en compte une approche moins directe comme cela a été le cas par exemple pour une décision du Président d’instituer d’un comité chargé de formuler des propositions de révision de la Constitution [CE, 3 décembre 1993, Syndicat des justiciables, Bidalou et Meyet, Recueil Lebon p.339].

En effet, les nomminations des membres du Conseil Constitutionnel peuvent influer sur l’équilibre politique institué au sein de cette haute juridiction. Mais, surtout, ces membres ont le pouvoir de bloquer en cas d’inconstitutionnalité les lois. Ainsi, une nommination au Conseil Constitutionnel a une influence dans les rapports entre l’exécutif et le Parlement, puisque c’est un moyen pour l’exécutif de bloquer les décisions du Parlement. Mais, il est vrai que cet arrêt est à la limite de cette catégorie et serait susceptible de donner lieu à une révision de ces catégories. Donc, d’une façon totalement conforme à la jurisprudence existante, le Conseil d’Etat s’est déclaré incompétent pour connaître des recours dirigés contre les décisions de nommination au Conseil Constitutionnel, actes pouvant être considéré comme des actes de gouvernement.

II- Quel juge est compétent ?

Si le Conseil d’Etat n’est pas la juridiction compétente pour juger de cette nommination, quelle autre juridiction pourrait être compétente. Il est possible d’écarter dès maintenant une intervention du Tribunal des Conflits ou de la juridiction judiciaire par l’intermédiaire de la Cour de Cassation. Il ne reste plus que le Conseil Constitutionnel.

Ainsi, après que le Conseil d’Etat eut estimé en 1981 [ 3 juin 1981, Delmas, Recueil Lebon p.244] ne pas devoir statuer sur la légalité d’un décret de convocation du corps électoral pour l’élection des députés, le Conseil Constitutionnel s’est reconnu compétent pour contrôler la régularité de cet acte [11 juin 1981, Delmas, Recueil p.97] . De plus, le Conseil Constitutionnel s’est reconnu compétent en 1985 pour contrôler la légalité d’un décret présidentiel demandant une nouvelle délibération sur une loi.

Mais, en outre, il s’est déclaré incompétent pour contrôler la régularité du décret de dissolution de l’Assemblée Nationale [4 juin 1988, Minvieille, Recueil p.79], de soumission d’un projet de loi au référendum [25 octobre 1988, Diémert et Bannel, Recueil p.183].

Le Conseil Constitutionnel pourrait donc être l’ultime rempart à la nommination d’un membre du Conseil Constitutionnel, mais, il semblerait que cela ne soit plus dans ses attributions et qu’ainsi la nommination, qui est à l’heure actuelle, totalement discrétionnaire mais fortement guidée par les qualités des personnes, ne soit soumise à aucun contrôle.

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Citation : Benoit Tabaka, Commentaire rapide sous Conseil d’Etat, Assemblée, 9 Avril 1999, Mme Ba, 9 avril 1999, http://www.rajf.org/spip.php?article219

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