Les subventions conditionnelles ainsi accordées par l’ANAH ne créent de droits au profit de leurs bénéficiaires que pour autant que ceux-ci justifient, après l’achèvement des travaux, que les conditions imposées lors de l’attribution de l’aide se trouvent effectivement réalisées. Si les bénéficiaires de ces subventions sont placés vis-à-vis de cet établissement public dans une situation réglementaire et non contractuelle, cette situation ne fait pas obstacle à ce que ces usagers puissent, le cas échéant, invoquer un cas de force majeure ayant rendu impossible l’exécution des engagements auxquels était subordonné le versement de l’aide financière de l’agence. Ainsi, en jugeant que le cas de force majeure ne pouvait être utilement invoqué par les requérants auxquels l’ANAH réclame le reversement de cette aide, la cour a commis une erreur de droit.
CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N° 232250
M. et Mme S.
M. Quinqueton
Rapporteur
M. Bachelier
Commissaire du gouvernement
Séance du 8 octobre 2003
Lecture du 29 octobre 2003
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 8ème et 3ème sous-section réunies)
Sur le rapport de la 8ème sous-section de la Section du contentieux
Vu la requête sommaire et le mémoire, enregistrés le 6 avril 2001 et le 15 novembre 2001 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour M. et Mme Daniel S. ; M. et Mme S. demandent au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’arrêt du 29 décembre 2000 par lequel la cour administrative d’appel de Nantes, à la demande de l’Agence nationale pour l’amélioration de l’habitat (ANAH), a annulé le jugement du 16 mars 1999 du tribunal administratif de Caen et rejeté leurs conclusions tendant à l’annulation de la décision du 4 février 1998 par laquelle l’ANAH du Calvados leur a réclamé le reversement de la somme de 67 692 F en remboursement de la subvention qui leur avait été accordée pour la rénovation d’un logement leur appartenant, et de la décision du 7 juillet 1998 du comité restreint de l’ANAH rejetant leur recours contre ladite décision ;
2°) réglant l’affaire au fond, de rejeter la requête présentée par l’ANAH devant la cour administrative d’appel de Nantes ;
3°) de condamner l’ANAH à leur payer la somme de 10 000 F (1 524, 49 euros) au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la construction et de l’habitation ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de M. Quinqueton, Maître des Requêtes,
les observations de Me Foussard, avocat de M. et Mme S. et de Me Choucroy, avocat de l’Agence nationale pour l’amélioration de l’habitat,
les conclusions de M. Bachelier, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu’aux termes de l’article R. 321-4 du code de la construction et de l’habitation, dans sa rédaction applicable à la date des faits, l’Agence nationale pour l’amélioration de l’habitat "passe en tant que de besoin avec les bénéficiaires toutes conventions nécessaires en vue, notamment de déterminer les conditions auxquelles l’attribution de l’aide est subordonnée" ; que les subventions conditionnelles ainsi accordées par l’ANAH ne créent de droits au profit de leurs bénéficiaires que pour autant que ceux-ci justifient, après l’achèvement des travaux, que les conditions imposées lors de l’attribution de l’aide se trouvent effectivement réalisées ; que si les bénéficiaires de ces subventions sont placés vis-à-vis de cet établissement public dans une situation réglementaire et non contractuelle, cette situation ne fait pas obstacle à ce que ces usagers puissent, le cas échéant, invoquer un cas de force majeure ayant rendu impossible l’exécution des engagements auxquels était subordonné le versement de l’aide financière de l’agence ; qu’ainsi, en jugeant que le cas de force majeure ne pouvait être utilement invoqué par les requérants auxquels l’ANAH réclame le reversement de cette aide, la cour a commis une erreur de droit ; que, par suite, les requérants sont fondés, pour ce seul motif, à demander l’annulation de l’arrêt attaqué ;
Considérant qu’aux termes de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, le Conseil d’Etat, s’il prononce l’annulation d’une décision d’une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut "régler l’affaire au fond si l’intérêt d’une bonne administration de la justice le justifie" ; que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de régler l’affaire au fond ;
Considérant que, le 9 octobre 1994, la commission d’amélioration de l’habitat du Calvados a donné son accord à l’attribution à M. et Mme S. d’une subvention pour la réalisation de travaux de rénovation d’un logement situé dans un immeuble en copropriété, 5, rue Bicoquer à Caen ; que l’octroi de cette subvention était notamment subordonné, aux termes de l’engagement souscrit par le bénéficiaire, à la location des locaux pendant une durée minimale de dix ans à compter de la date de la déclaration d’achèvement des travaux ; qu’il est constant que cet engagement n’a pas été respecté ; que si le requérant invoque un cas de force majeure ayant rendu impossible l’exécution du contrat de location, à la suite de l’initiative d’une copropriétaire voisine de couper l’alimentation en eau potable du logement, les requérants n’établissent ni que cet évènement était imprévisible au moment où la demande de subvention a été effectuée et a fortiori où l’aide a été versée, ni qu’ils aient été dans l’impossibilité de prendre les dispositions matérielles nécessaires à l’exécution des conditions d’octroi de la subvention ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que c’est à tort que le tribunal administratif s’est fondé sur ce motif pour annuler les décisions de l’ANAH en date des 4 février et 7 juillet 1998 ;
Considérant toutefois qu’il appartient au Conseil d’Etat, saisi de l’ensemble du litige par l’effet dévolutif de l’appel, d’examiner l’autre moyen soulevé par M. et Mme S. devant le tribunal administratif de Caen ;
Considérant que si les requérants critiquent l’erreur de droit qu’aurait commis le comité restreint de l’ANAH en regardant comme une fausse déclaration la production d’un bail, il résulte de l’instruction que l’ANAH aurait pris la même décision en se fondant sur le seul motif, qui n’est pas entaché d’illégalité, tiré du non respect de l’engagement de location pendant dix ans ;
Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que l’Agence nationale pour l’amélioration de l’habitat est fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a annulé la décision du 4 février 1998 du délégué départemental de l’Agence nationale pour l’amélioration de l’habitat du Calvados demandant à M. et Mme S. de reverser la subvention que leur avait accordée l’agence et la décision du 7 juillet 1998 du comité restreint de l’Agence nationale pour l’amélioration de l’habitat rejetant leur recours contre cette décision ;
Sur les conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de l’article L. 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel :
Considérant que les dispositions susmentionnées font obstacle à ce que l’Agence nationale pour l’amélioration de l’habitat, qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamnée à payer à M. et Mme S. la somme que ceux-ci demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ; qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des mêmes dispositions et de condamner M. et Mme S. à payer à l’Agence nationale pour l’amélioration de l’habitat la somme que celle-ci demande au même titre ;
D E C I D E :
Article 1er : L’arrêt de la cour administrative de Nantes en date du 29 décembre 2000 est annulé.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Caen en date du 16 mars 1999 est annulé.
Article 3 : La demande présentée par M. et Mme S. devant le tribunal administratif de Caen est rejetée.
Article 4 : Le surplus des conclusions présentées par M. et Mme S. devant le Conseil d’Etat et la cour administrative d’appel de Nantes est rejeté.
Article 5 : Les conclusions de l’ANAH au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme Daniel S., à l’Agence nationale pour l’amélioration de l’habitat et au ministre de l’équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer.
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