Conseil d’Etat, Section, 17 octobre 2003, n° 237290, M. Xavier D.

Le deuxième alinéa de l’article L. 111-1 du code des juridictions financières prévoit que la Cour des comptes " statue sur les appels formés contre les jugements prononcés à titre définitif par les chambres régionales et territoriales des comptes ". Il en résulte qu’elle ne peut s’abstenir de statuer sur un appel formé devant elle et priver ainsi les justiciables du droit qui leur est donné par la loi de faire appel des jugements des chambres régionales des comptes. Dans le cas où elle estime ne pas pouvoir se prononcer régulièrement sur un appel parce que les faits en cause ont été évoqués dans son rapport public, il lui appartient de transmettre l’affaire au Conseil d’Etat afin que celui-ci, dans le cadre de ses pouvoirs généraux de régulation de l’ordre juridictionnel administratif, donne à cette transmission les suites qui conviennent et, le cas échéant, se prononce lui-même sur les conclusions d’appel qui avaient été présentées à la Cour.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N°s 237290-237291-237292

M. D.

Mlle Vialettes
Rapporteur

M. Guyomar
Commissaire du gouvernement

Séance du 3 octobre 2003
Lecture du 17 octobre 2003

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux)

Sur le rapport de la 6ème sous-section de la Section du contentieux

Vu 1°), sous le n° 237290, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 14 août et 14 décembre 2001 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour M. Xavier D. demandant au Conseil d’Etat d’annuler, sans renvoi, l’arrêt n° 28838 des 29 juin 2000 et 26 avril 2001 par lequel la Cour des comptes s’est déclarée incompétente pour connaître des appels formés contre le jugement n° 99-0832 J du 5 juillet 1999 et le jugement n° 99-0832 J du 15 novembre 1999 par lesquels la chambre régionale des comptes d’Ile-de-France, statuant à titre définitif, l’a déclaré comptable de fait des deniers du département de l’Essonne, conjointement et solidairement avec Mme Jacqueline B., M. Franck M. et Mme Janique M. ;

Vu, 2°), sous le n° 237291, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 14 août et 14 décembre 2001 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour M. Xavier D. demandant au Conseil d’Etat d’annuler, sans renvoi, l’arrêt n° 28836 des 29 juin 2000 et 26 avril 2001 par lequel la Cour des comptes s’est déclarée incompétente pour connaître des appels formés contre le jugement n° 99-0831J du 5 juillet 1999 par lequel la chambre régionale des comptes d’Ile-de-France, statuant à titre définitif, l’a déclaré comptable de fait des deniers du département de l’Essonne, conjointement et solidairement avec Mme Xavière T. ;

Vu, 3°) sous le n° 237292, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 14 août et 14 décembre 2001 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour M. Xavier D. demandant au Conseil d’Etat d’annuler l’arrêt n° 28834 des 29 juin 2000 et 26 avril 2001 par lequel la Cour des comptes s’est déclarée incompétente pour connaître de l’appel qu’il avait formé contre le jugement n° 99-0860 J du 5 juillet 1999 par lequel la chambre régionale des comptes d’Ile-de-France, statuant à titre définitif, l’a déclaré comptable de fait des deniers du département de l’Essonne, conjointement et solidairement avec Mme Marie-Aline H., son épouse ;

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu l’article 60-XI de la loi n° 63-156 du 23 février 1963 modifiée ;

Vu le code des juridictions financières ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mlle Vialettes, Auditeur,
- les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de M. D. et de la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat du département de l’Essonne,
- les conclusions de M. Guyomar, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que les requêtes susvisées présentent à juger des questions semblables ; qu’il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

Sans qu’il soit besoin d’examiner l’autre moyen des requêtes ;

Considérant que saisie d’appels contre quatre jugements par lesquels la chambre régionale des comptes d’Ile-de-France a déclaré M. D., solidairement avec d’autres personnes, comptable de fait des deniers du département de l’Essonne, la Cour des comptes, par trois arrêts des 29 juin 2000 et 26 avril 2001, s’est déclarée incompétente pour statuer sur ces requêtes, au motif que les faits en cause avaient fait l’objet d’une insertion dans son rapport public pour 1998 adopté le 7 janvier 1999 et que, dès lors, elle ne pouvait plus régulièrement en connaître ;

Considérant que le deuxième alinéa de l’article L. 111-1 du code des juridictions financières prévoit que la Cour des comptes " statue sur les appels formés contre les jugements prononcés à titre définitif par les chambres régionales et territoriales des comptes " ; qu’il en résulte qu’elle ne peut s’abstenir de statuer sur un appel formé devant elle et priver ainsi les justiciables du droit qui leur est donné par la loi de faire appel des jugements des chambres régionales des comptes ; que dans le cas où elle estime ne pas pouvoir se prononcer régulièrement sur un appel parce que les faits en cause ont été évoqués dans son rapport public, il lui appartient de transmettre l’affaire au Conseil d’Etat afin que celui-ci, dans le cadre de ses pouvoirs généraux de régulation de l’ordre juridictionnel administratif, donne à cette transmission les suites qui conviennent et, le cas échéant, se prononce lui-même sur les conclusions d’appel qui avaient été présentées à la Cour ;

Considérant, dès lors, qu’en estimant qu’elle devait décliner sa compétence pour juger les appels dont elle avait été saisie au motif que le principe d’impartialité faisait obstacle à ce qu’elle se prononçât sur des faits qu’elle avait auparavant évoqués et qualifiés dans son rapport public pour 1998, sans transmettre ces appels au Conseil d’Etat, la Cour des comptes a entaché son arrêt d’erreur de droit ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que M. D. est fondé à demander l’annulation des arrêts qu’il attaque ;

Considérant qu’aux termes de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, le Conseil d’Etat, s’il prononce l’annulation d’une décision d’une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut "régler l’affaire au fond si l’intérêt d’une bonne administration de la justice le justifie" ; qu’eu égard à la nécessité de ne pas priver les personnes déclarées comptables de fait d’une voie de recours, prévue par la loi, à l’encontre de jugements rendus en premier ressort, il y a lieu, dans les circonstances particulières de l’espèce, de régler les affaires au fond ;

Considérant que par trois jugements du 5 janvier 1999 et par un jugement "à suivre" du 15 novembre 1999, la chambre régionale des comptes d’Ile-de-France, statuant définitivement, a déclaré M. D. solidairement avec respectivement, en premier lieu, Mme B., M. et Mme M., en deuxième lieu, Mme T., et en dernier lieu, Mme H., comptable de fait des deniers du département de l’Essonne ; que M. D., M. M. et Mme T. ont fait appel de ces jugements ;

Considérant que le désistement de M. M. est pur et simple ; que rien ne s’oppose à ce qu’il soit donné acte du désistement de ses conclusions d’appel ;

Considérant que les appels de M. D. et de Mme T. présentent à juger des questions semblables ; qu’il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

Considérant qu’en vertu du XI de l’article 60 de la loi de finances du 23 février 1963, toute personne qui reçoit ou manie directement ou indirectement les fonds ou valeurs extraits irrégulièrement d’une caisse publique doit rendre compte au juge financier de l’emploi des fonds ou valeurs qu’elle a irrégulièrement détenus ou maniés ; que le caractère d’ordre public de cette obligation de rendre compte du maniement de deniers publics ainsi que les principes d’indivisibilité des opérations de gestion de fait et de solidarité des comptables de fait conduisent la Cour des comptes lorsqu’elle est saisie d’un appel formé par une seule des personnes déclarées comptables de fait à statuer sur la qualité de comptable de fait de l’ensemble des personnes qui avaient été mises en cause par le juge de première instance ; qu’il appartient, dans ces conditions, au Conseil d’Etat de se prononcer sur les jugements contestés, pris dans leur ensemble ;

Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens des requêtes ;

Considérant que le principe d’impartialité applicable à toutes les juridictions administratives fait obstacle à ce que le rapporteur d’une chambre régionale des comptes participe au jugement de comptes dont il a eu à connaître à l’occasion d’une vérification de gestion ; qu’il en résulte que la participation au délibéré de la formation de jugement chargée de se prononcer, à titre provisoire ou à titre définitif, sur une déclaration de gestion de fait, du membre de la chambre auquel avait été confiée la vérification de la gestion de l’organisme dont les deniers sont en cause entache d’irrégularité la composition de cette formation de jugement ;

Considérant qu’il ressort des pièces de la procédure suivie devant la chambre régionale des comptes d’Ile-de-France qu’un membre de la chambre a assuré la vérification des comptes et de la gestion du département de l’Essonne ; qu’à la suite de son rapport, des procédures juridictionnelles de déclaration de gestion de fait ont été engagées respectivement à l’encontre, en premier lieu, de M. D., Mme B., M. et Mme M., en deuxième lieu, de M. D. et Mme T., et en dernier lieu, de M. D. et Mme H., à raison de griefs tirés de l’extraction irrégulière de fonds départementaux par le moyen de contrats fictifs de collaborateurs de cabinet ; que le même membre de la chambre régionale des comptes d’Ile-de-France a ensuite, en tant que magistrat, occupé les fonctions de rapporteur devant la formation de jugement de cette chambre chargée de se prononcer, à titre provisoire, sur les opérations présumées constitutives de gestion de fait des deniers du département de l’Essonne ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la composition de cette formation de jugement était irrégulière et que cette circonstance entache d’irrégularité l’ensemble de la procédure suivie ;

Considérant que, par suite, les requérants sont fondés à demander l’annulation des trois jugements provisoires du 12 août 1997, des trois jugements définitifs du 15 juillet 1999 et du jugement "à suivre" du 15 novembre 1999 de la chambre régionale des comptes d’Ile-de-France ; qu’il appartiendra, le cas échéant, à la chambre régionale des comptes d’Ile-de-France de déterminer s’il y a lieu d’ouvrir de nouvelles procédures de gestion de fait des deniers du département de l’Essonne ;

Sur les conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que M. D. qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamné à verser au département de l’Essonne les sommes que celui-ci demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : Les trois arrêts des 29 juin 2000 et 26 avril 2001 de la Cour des comptes sont annulés.

Article 2 : Il est donné acte du désistement de l’appel de M. M..

Article 3 : Les trois jugements provisoires du 12 août 1997, les trois jugements définitifs du 15 juillet 1999 et le jugement " à suivre " du 15 novembre 1999 de la chambre régionale des comptes d’Ile-de-France sont annulés.

Article 4 : Les conclusions présentées par le département de l’Essonne tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. Xavier D., à Mme Jacqueline B., à M. Franck M., à Mme Janique M., à Mme Xavière T., à Mme Marie-Aline H., au département de l’Essonne et au ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.

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