Conseil d’Etat, Section, 17 octobre 2003, n° 249183, M. Mahmoud B.

Revirement : Un étranger remplissant l’une des conditions énumérées aux 1° à 11° de l’article 12 bis de l’ordonnance du 2 novembre 1945 a droit à la délivrance d’une carte de séjour temporaire, sous la seule réserve que sa présence ne constitue pas une menace pour l’ordre public. Lorsque l’administration lui oppose ce motif pour refuser de faire droit à sa demande, il appartient au juge de l’excès de pouvoir, saisi d’un moyen en ce sens, de rechercher si les faits qu’elle invoque à cet égard sont de nature à justifier légalement sa décision

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 249183

M. B.

M. Wauquiez-Motte
Rapporteur

M. Goulard
Commissaire du gouvernement

Séance du 3 octobre 2003
Lecture du 17 octobre 2003

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux)

Sur le rapport de la 9ème sous-section de la Section du contentieux

Vu la requête, enregistrée le 30 juillet 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée par M. Mahmoud B. ; M. B. demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler le jugement du 11 juin 2002 par lequel le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l’annulation de l’arrêté du 4 février 2002 du préfet de police décidant sa reconduite à la frontière ;

2°) d’annuler pour excès de pouvoir cet arrêté ;

3°) d’enjoindre au préfet de police de lui délivrer une carte de séjour temporaire ;

4°) de condamner l’Etat à lui verser la somme de 1 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Vu l’ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Wauquiez-Motte, Auditeur,
- les conclusions de M. Goulard, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu’aux termes du I de l’article 22 de l’ordonnance du 2 novembre 1945 : "Le représentant de l’Etat dans le département et, à Paris, le préfet de police peuvent, par arrêté motivé, décider qu’un étranger sera reconduit à la frontière dans les cas suivants : (...)/ 3° Si l’étranger, auquel la délivrance ou le renouvellement d’un titre de séjour a été refusé ou dont le titre de séjour a été retiré, s’est maintenu sur le territoire au-delà du délai d’un mois à compter de la date de notification du refus ou du retrait (...)" ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que M. B., de nationalité marocaine, s’est maintenu sur le territoire français plus d’un mois à compter de la notification, le 15 septembre 1999, de la décision du même jour par laquelle le préfet de police lui a refusé la délivrance d’un titre de séjour et l’a invité à quitter le territoire ; qu’il se trouvait ainsi dans le cas où, en application du 3° du I de l’article 22 de l’ordonnance du 2 novembre 1945, le préfet peut décider la reconduite d’un étranger à la frontière ;

Sans qu’il soit besoin de statuer sur la recevabilité de l’exception tirée de ce que la décision refusant à M. B. la délivrance d’un titre de séjour serait illégale :

Considérant, en premier lieu, qu’aux termes de l’article 12 bis de l’ordonnance du 2 novembre 1945 : "Sauf si sa présence constitue une menace pour l’ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit : (...)/ 3° A l’étranger, ne vivant pas en état de polygamie, qui justifie par tout moyen résider en France habituellement depuis plus de dix ans ou plus de quinze ans si, au cours de cette période, il a séjourné en qualité d’étudiant" ;

Considérant que pour refuser de délivrer à M. B. la carte de séjour temporaire que celui-ci demandait en faisant valoir qu’il satisfaisait à la condition énoncée par les dispositions précitées du 3° de l’article 12 bis de l’ordonnance du 2 novembre 1945, le préfet de police s’est fondé sur le motif que la présence de l’intéressé constituait une menace pour l’ordre public ;

Considérant qu’un étranger remplissant l’une des conditions énumérées aux 1° à 11° de l’article 12 bis de l’ordonnance du 2 novembre 1945 a droit à la délivrance d’une carte de séjour temporaire, sous la seule réserve que sa présence ne constitue pas une menace pour l’ordre public ; que, lorsque l’administration lui oppose ce motif pour refuser de faire droit à sa demande, il appartient au juge de l’excès de pouvoir, saisi d’un moyen en ce sens, de rechercher si les faits qu’elle invoque à cet égard sont de nature à justifier légalement sa décision ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que l’intéressé s’est rendu coupable à deux reprises, en 1991 et 1994, de trafic de stupéfiants et, en 1996, d’usurpation d’identité ; qu’eu égard à la nature et au caractère répété de ces infractions, le préfet de police n’a pas fait une inexacte appréciation des circonstances de l’espèce en estimant que le séjour en France de M. B. constituait une menace pour l’ordre public ;

Considérant, en second lieu, qu’aux termes de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : "1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui" ; qu’il ressort des pièces du dossier que M. B., qui est entré en France le 22 décembre 1988 à l’âge de 24 ans, est célibataire et sans enfant ; que, s’il invoque la durée de son séjour en France, il ne justifie pas que la décision de refus de titre de séjour prise à son encontre ait pu porter atteinte à une vie privée et familiale lui permettant de se prévaloir des stipulations de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que M. B. n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l’annulation de l’arrêté du 4 février 2002 par lequel le préfet de police a ordonné sa reconduite à la frontière ;

Sur les conclusions à fins de régularisation de la situation administrative de M. B. :

Considérant que la présente décision, qui rejette la requête de M. B., n’appelle aucune mesure d’exécution au sens des dispositions de l’article L. 911-1 du code de justice administrative ; que, dès lors, les conclusions à fins d’injonction présentées par M. B. ne peuvent qu’être rejetées ;

Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l’Etat, qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamné à payer à M. B. la somme qu’il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. B. est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. Mahmoud B., au préfet de police et au ministre de l’intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.

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