Conseil d’Etat, 3 octobre 2003, n° 240270, M. Jean-Marc B.

Les dispositions de la loi du 6 janvier 1978 et du décret du 14 octobre 1991 organisant le droit d’accès aux informations nominatives contenues dans un traitement, et plus particulièrement dans un fichier géré par les services des renseignements généraux, n’excluent pas expressément la possibilité de se faire représenter ou assister par un avocat.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 240270

M. B.

Mlle Burguburu
Rapporteur

M. Vallée
Commissaire du gouvernement

Séance du 8 septembre 2003
Lecture du 3 octobre 2003

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 9ème et 10ème sous-section réunies)

Sur le rapport de la 9ème sous-section de la Section du contentieux

Vu la requête, enregistrée le 20 novembre 2001 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée par M. Jean-Marc B. ; M. B. demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet résultant du silence gardé pendant plus de deux mois par le ministre de l’intérieur sur sa demande, présentée le 17 septembre 2001 tendant à l’abrogation de la circulaire du 2 juin 1993 relative à l’application des règles de consultation de la documentation et de communication des informations collectées, traitées et détenues par les renseignements généraux dans le cadre, d’une part, du décret n° 91-1051 du 14 octobre 1991, et, d’autre part, du principe hiérarchique ;

2°) de condamner l’Etat à lui verser la somme de 150 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative,

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 ;

Vu la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 ;

Vu le décret n° 79-1160 du 28 décembre 1979 ;

Vu le décret n° 82-525 du 16 juin 1982 ;

Vu le décret n° 91-1051 du 14 octobre 1991 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mlle Burguburu, Auditeur,
- les conclusions de M. Vallée, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu’aux termes du premier alinéa de l’article 31 de la loi du 6 janvier 1978 : "Il est interdit de mettre ou conserver en mémoire informatisée, sauf accord exprès de l’intéressé, des données nominatives qui, directement ou indirectement, font apparaître les origines raciales ou les opinions politiques, philosophiques ou religieuses ou les appartenances syndicales ou les mœurs des personnes" ; que, toutefois, selon le troisième alinéa du même article, pour des motifs d’intérêt public, il peut être fait exception à l’interdiction ci-dessus sur proposition ou avis conforme de la commission nationale de l’informatique et des libertés par décret en Conseil d’Etat ; que, sur le fondement de ces dernières dispositions, est intervenu notamment le décret n° 91-1051 du 14 octobre 1991 applicable aux fichiers gérés par les services des renseignements généraux ;

Considérant que les articles 34 et 35 de ladite loi prévoient que toute personne justifiant de son identité a le droit d’interroger les services ou organismes qui détiennent les fichiers visés par ces articles en vue de savoir s’ils contiennent des informations nominatives la concernant, d’en obtenir, le cas échéant, communication et d’en demander une copie contre perception d’une redevance forfaitaire ; que, lorsqu’un traitement intéresse la sûreté de l’Etat, la défense ou la sécurité publique, il peut comprendre, d’une part, des informations dont la communication à l’intéressé serait susceptible de mettre en cause les fins assignées à ce traitement et, d’autre part, des informations dont la communication ne mettrait pas en cause ces mêmes fins ; que, pour les premières, il incombe à la Commission nationale de l’informatique et des libertés, saisie sur le fondement de l’article 39 de la loi par la personne visée par ces informations, de l’informer qu’il a été procédé aux vérifications nécessaires ; que, pour les autres, il appartient au gestionnaire du traitement ou à la Commission nationale de l’informatique et des libertés, saisis par cette personne, de lui en donner communication, avec, pour la Commission, l’accord du gestionnaire du traitement ; que, dans ce dernier cas, la communication doit s’effectuer dans les conditions de droit commun prévues notamment par les articles 34 et 35 susmentionnés de la loi du 6 janvier 1978 ;

Considérant que l’article 7 du décret du 14 octobre 1991 organise, dans son troisième alinéa, le droit qu’ont les personnes concernées d’accéder directement aux informations, contenues dans les fichiers gérés par les services des renseignements généraux, ne mettant pas en cause les fins assignées au traitement ;

Considérant que, pour l’application de ces dispositions, le ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire a précisé par une circulaire du 2 juin 1993, d’une part, que "la communication étant strictement personnelle et la procédure n’étant pas contentieuse, l’intéressé devra se présenter seul, sans pouvoir se faire représenter ou assister, même par un avocat", d’autre part, que "lors de la communication des pièces communicables de son dossier, le demandeur en prend connaissance et peut prendre des notes" ;

Considérant que l’interprétation que l’autorité administrative donne par voie de circulaires des lois et règlements qu’elle a pour mission de mettre en œuvre n’est pas susceptible d’être déférée au juge de l’excès de pouvoir lorsque, étant dénuée de caractère impératif, elle ne saurait, quel qu’en soit le bien-fondé, faire grief ; qu’en revanche, les dispositions impératives à caractère général d’une circulaire doivent être regardées comme faisant grief, tout comme le refus de les abroger ; que le recours formé à leur encontre doit être accueilli si ces dispositions fixent, dans le silence des textes, une règle nouvelle entachée d’incompétence ou si, alors même qu’elles ont été compétemment prises, il est soutenu à bon droit qu’elles sont illégales pour d’autres motifs ; qu’il en va de même s’il est soutenu à bon droit que l’interprétation qu’elles prescrivent d’adopter, soit méconnaît le sens et la portée des dispositions législatives ou réglementaires qu’elle entendait expliciter, soit réitère une règle contraire à une norme juridique supérieure ;

Considérant, en premier lieu, que les dispositions contestées de la circulaire ayant pour objet de refuser au demandeur la possibilité de se faire représenter ou assister, même par un avocat, présentent le caractère de dispositions impératives à caractère général et doivent dès lors être regardées comme faisant grief, de même que le refus de les abroger ; qu’aux termes de l’article 6 de la loi du 31 décembre 1971 : "Les avocats peuvent assister et représenter autrui devant les administrations publiques, sous réserve des dispositions législatives et réglementaires" ; que les dispositions précitées de la loi du 6 janvier 1978 et du décret du 14 octobre 1991 organisant le droit d’accès aux informations nominatives contenues dans un traitement, et plus particulièrement dans un fichier géré par les services des renseignements généraux, n’excluent pas expressément la possibilité de se faire représenter ou assister par un avocat ; que s’il appartient au pouvoir réglementaire de concilier l’exercice de ce droit avec l’obligation pour la personne concernée de justifier, en application de l’article 34 de la loi du 6 janvier 1978, de son identité, le ministre de l’intérieur n’était pas compétent, dans le silence des textes, pour interdire purement et simplement cette faculté ; que, dans ces conditions, M. B. est fondé à demander l’annulation de la décision implicite du ministre de l’intérieur refusant d’abroger les dispositions du huitième alinéa de la division III de la circulaire du 2 juin 1993 précisant que l’intéressé devra se présenter seul, sans pouvoir se faire représenter ou assister, même par un avocat ;

Considérant, en second lieu, que si M. B. soutient que la commission nationale de l’informatique et des libertés, interprétant strictement les dispositions de la circulaire précisant que le demandeur "peut prendre des notes" lors de la communication des pièces communicables de son dossier, exclut la possibilité pour ce dernier d’obtenir des photocopies, il résulte des termes mêmes de la circulaire qu’ils n’écartent pas de manière impérative une telle possibilité ; que les dispositions en cause, et donc le refus de les abroger, ne sont, par suite, pas susceptibles de faire grief ; que la requête est, dans cette mesure, irrecevable ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que M. B. est seulement fondé à demander l’annulation de la décision implicite par laquelle le ministre de l’intérieur a refusé d’abroger les dispositions du huitième alinéa de la division III de la circulaire du 2 juin 1993 précisant que l’intéressé devra se présenter seul, sans pouvoir se faire représenter ou assister, même par un avocat ;

Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions précitées et de condamner l’Etat à verser à M. B. la somme qu’il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : La décision implicite par laquelle le ministre de l’intérieur a refusé d’abroger les dispositions du huitième alinéa de la division III de la circulaire du 2 juin 1993 selon lesquelles "l’intéressé devra se présenter seul sans pouvoir se faire représenter ou assister, même par son avocat" est annulée.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B. est rejeté.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. Jean-Marc B. et au ministre de l’intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.

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