Conseil d’Etat, 30 juillet 2003, n° 241999, M. David K.

Le préfet, saisi de demandes concurrentes d’autorisation d’exploiter portant sur les mêmes terres, doit, pour statuer sur ces demandes, observer l’ordre des priorités établi par le schéma directeur départemental des structures agricoles. Il peut être conduit à délivrer plusieurs autorisations lorsque plusieurs candidats à la reprise relèvent du même rang de priorité et qu’aucun autre candidat ne relève d’un rang supérieur. Dans cette hypothèse, la législation sur le contrôle des structures des exploitations agricoles est sans influence sur la liberté du propriétaire des terres de choisir la personne avec laquelle il conclura un bail.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 241999

M. K.

M. Campeaux
Rapporteur

M. Chauvaux
Commissaire du gouvernement

Séance du 30 juin 2003
Lecture du 30 juillet 2003

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 5ème et 7ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 5ème sous-section de la Section du contentieux

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 16 janvier 2002 et 15 mai 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil dEtat, présentés pour M. David K ; M. K. demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler le jugement du 6 novembre 2001 par lequel le tribunal administratif de Nancy, saisi par M. Nicolas B. en exécution d’un jugement du tribunal paritaire des baux ruraux de Saint-Mihiel en date du 21 juin 2001, a déclaré que l’arrêté du 25 novembre 1999 du préfet de la Meuse autorisant M. K. à exploiter la parcelle ZB 38 à Corniéville (Meuse) était entaché d’illégalité, et que l’arrêté du préfet de la Meuse en date du 22 février 2000 autorisant M. B. à exploiter la même parcelle était légal ;

2°) de déclarer légal l’arrêté du préfet de la Meuse en date du 25 novembre 1999 ;

3°) de déclarer illégal l’arrêté du préfet de la Meuse en date du 22 février 2000 ;

4°) de condamner M. B. à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code rural modifié notamment par la loi n° 99-574 du 9 juillet 1999 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique
- le rapport de M. Campeaux, Auditeur,
- les observations de la SCP Masse-Dessen, Thouvenin, avocat de M. K. et de la SCP Vincent, Ohl, avocat de M. B.,
- les conclusions de M. Chauvaux, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que, par un jugement du 21 juin 2001, le tribunal paritaire des baux ruraux de Saint-Mihiel, saisi d’un litige opposant M. B. et M. K., a sursis à statuer jusqu’à ce que la juridiction administrative se soit prononcée sur la légalité de l’arrêté en date du 25 novembre 1999 par lequel le préfet de la Meuse a autorisé M. K. à exploiter la parcelle ZB 38 à Corniéville et de l’arrêté en date du 22 février 2000 par lequel le préfet de la Meuse a accordé la même autorisation à M. B. ; que M. K. relève appel du jugement du 6 novembre 2001 par lequel le tribunal administratif de Nancy, saisi en exécution du jugement du tribunal paritaire des baux ruraux, a déclaré que l’arrêté du préfet de la Meuse du 25 novembre 1999 était illégal et a rejeté la demande tendant à ce que l’arrêté du préfet de la Meuse du 22 février 2000 soit déclaré illégal ;

Sur la régularité du jugement attaqué

Considérant qu’en se prononçant sur la légalité des arrêtés du préfet de la Meuse des 25 novembre 1999 et 22 février 2000, le tribunal administratif de Nancy a, contrairement à ce que soutient le requérant, répondu à l’ensemble des questions dont il était saisi ;

Sur la légalité de l’arrêté du préfet de la Meuse en date du 25 novembre 1999 autorisant M. K. à exploiter la parcelle ZB 38

Considérant qu’aux termes de l’article L. 331-3 du code rural, dans sa rédaction issue de la loi du 9 juillet 1999 applicable à la date d’intervention des arrêtés du préfet de la Meuse des 25 novembre 1999 et 22 février 2000 : « L’autorité administrative, après avis de la commission départementale d’orientation de l’agriculture, se prononce sur la demânde d’autorisation en se conformant aux orientations défuiies par le schéma directeur départemental des structures agricoles applicable dans le département dans lequel se situe le fonds faisant l’objet de la demande. Elle doit notamment : 1° Observer l’ordre des priorités établi par le schéma départemental entre l’installation des jeunes agriculteurs et l’agrandissement des exploitations agricoles, en tenant compte de l’intérêt économique et social du maintien de l’autonomie de l’exploitation faisant l’objet de la demande (...) » ; que l’article III du schéma directeur départemental des structures agricoles du département de la Meuse, dans sa rédaction issue de l’arrêté du préfet de la Meuse en date du 16 janvier 1998 applicable à la date des arrêtés litigieux, dispose : « Les candidatures soumises à autorisation pour la reprise de terres agricoles libres dans le département de la Meuse seront satisfaites, sauf cas particulier dûment motivé par la commission départementale d’orientation de l’agriculture (CDOA), selon l’ordre des priorités décroissantes suivant : 1/ Candidats âgés de moins de 35 ans, remplissant les conditions d’attribution des aides à l’installation et notamment de la dotation jeune agriculteur, avec les priorités de second ordre suivantes : 1.1 - Candidats âgés de moins de 35 ans en voie de première installation effective, disposant d’un projet d’installation agréé par la CDOA 11.2 - Candidats installés depuis 2 ans au plus, nécessitant d’être confortés dans leur projet initial » ;

Considérant qu’il résulte des dispositions précitées du code rural que le préfet, saisi de demandes concurrentes d’autorisation d’exploiter portant sur les mêmes terres, doit, pour statuer sur ces demandes, observer l’ordre des priorités établi par le schéma directeur départemental des structures agricoles ; qu’il peut être conduit à délivrer plusieurs autorisations lorsque plusieurs candidats à la reprise relèvent du même rang de priorité et qu’aucun autre candidat ne relève d’un rang supérieur ; que, dans cette hypothèse, la législation sur le contrôle des structures des exploitations agricoles est sans influence sur la liberté du propriétaire des terres de choisir la personne avec laquelle il conclura un bail ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que M. B. a déposé en octobre 1999 deux demandes d’autorisation d’exploiter portant respectivement sur une surface de 76 hectares 61 ares et sur une surface de 6 hectares 98 ares comprenant les 5 hectares 39 ares de la parcelle ZB 38 en litige ; que M. K. a également déposé en octobre 1999 deux demandes portant respectivement sur la même surface de 76 hectares 61 ares et sur une surface de 60 hectares 69 ares comprenant les 5 hectares 39 ares de la parcelle ZB 38 ; que la demande de M. B., agriculteur de moins de 35 ans en voie de première installation effective, au sens des dispositions précitées du schéma directeur départemental des structures agricoles de la Meuse, était prioritaire au regard de ces dispositions par rapport à celle de M. K., jeune agriculteur exploitant une surface de 48 hectares à la date du dépôt de sa demande et nécessitant d’être conforté dans son projet initial ; qu’il ressort des pièces du dossier que le préfet a accordé à M. B. le bénéfice de cette priorité en lui délivrant, par un premier arrêté en date du 25 novembre 1999, l’autorisation d’exploiter la surface de 76 ha 61 a, et en refusant cette autorisation à M. K. par un second arrêté intervenu le même jour ; que, par l’effet de ces décisions, M. B. était mis en mesure d’exploiter une surface suffisant à son installation ; que le préfet pouvait dès lors légalement autoriser M. K. à exploiter la parcelle ZB 38, la demande concurrente relative à cette parcelle présentée par M. B. ne présentant plus un caractère prioritaire ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que M. K. est fondé à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif de Nancy a déclaré illégal l’arrêté du préfet de la Meuse en date du 25 novembre 1999 ;

Sur la légalité de l’arrêté du préfet de la Meuse en date du 22 février 2000 autorisant M. B. à exploiter la parcelle ZB 38

Sans qu’il soit besoin d’examiner les moyens de la requête

Considérant qu’aux termes de l’article L. 331-2 du code rural, dans sa rédaction issue de la loi d’orientation agricole du 9 juillet 1999 applicable à la date de la demande de M. B. : « Sont soumises à autorisation préalable les opérations suivantes :1 ° Les installations, les agrandissements ou les réunions d’exploitations agricoles au bénéfice d’une exploitation agricole mise en valeur par une ou plusieurs personnes physiques ou morales, lorsque la surface totale qu’il est envisagé de mettre en valeur excède le seuil fixé par le schéma directeur départemental des structures (...) » ; qu’en application des articles VI et VII du schéma directeur départemental des structures agricoles de la Meuse, dans sa rédaction issue de l’arrêté du préfet de la Meuse du 16 janvier 1998 précité, ce seuil est établi à trois fois la surface minimum d’installation, elle-même fixée à 30 hectares pour la polyculture et l’élevage ; qu’il résulte de ces dispositions combinées que M. B. n’était pas tenu de solliciter l’autorisation d’exploiter la parcelle ZB 38 dont la reprise n’aurait pas eu pour effet de porter la surface totale qu’il entendait mettre en valeur au-delà de ce seuil ; qu’il s’ensuit que l’autorisation résultant de l’arrêté du préfet de la Meuse en date du 22 février 2000 présente un caractère superfétatoire ; qu’en délivrant cette autorisation à la demande de l’intéressé, et en reconnaissant ainsi expressément que la législation sur le contrôle des structures des exploitations agricoles ne faisait pas obstacle à la réalisation de l’opération qu’il envisageait, le préfet n’a pas pu commettre une illégalité ; qu’il suit de là que M. K. n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a rejeté ses conclusions tendant à ce que l’arrêté du 22 février 2000 fut déclaré illégal ;

Sur les conclusions tendant à l’ap-plication de l’article L. 761-1 du code de justice administrative

Considérant que les dispositions de l’article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que M. K. qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamné à payer à M. B. la somme que demande celui-ci au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ; qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application de ces dispositions et de condamner M. B. à payer à M. K. la somme que demande celui-ci au même titre ;

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nancy en date du 6 novembre 2001 est annulé en tant qu’il a déclaré illégal l’arrêté du 25 novembre 1999 du préfet de la Meuse autorisant M. K. à exploiter la parcelle ZB 38.

Article 2 : Les conclusions présentées par M. B. devant le tribunal administratif de Nancy, tendant à ce que l’arrêté du 25 novembre 1999 du préfet de la Meuse autorisant M. K. à exploiter la parcelle ZB 38 soit déclaré illégal, sont rejetées.

Article 3 : Le surplus des conclusions de M. B. et de M. K. est rejeté.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. David K., à M. Nicolas B. et au ministre de l’agriculture, de l’alimentation, de la pêche et des affaires rurales.

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