Conseil d’Etat, 30 juillet 2003, n° 248954, Mme Danièle C.-T.

S’il appartient au juge d’appel de s’assurer, alors même que cette question n’est pas discutée devant lui, que la juridiction dont la décision est contestée a siégé dans une composition conforme aux dispositions législatives ou réglementaires qui déterminent cette composition ainsi qu’aux principes qui gouvernent la mise en oeuvre de ces dispositions et si, par conséquent, l’auteur d’un pourvoi en cassation peut faire valoir que le juge d’appel aurait commis une erreur de droit en ne soulevant pas d’office, au vu des pièces du dossier, le moyen tiré de ce que la juridiction de première instance aurait siégé en méconnaissance des dispositions fixant sa composition, en revanche la conformité de celles-ci aux normes supérieures et en particulier, s’agissant de dispositions législatives, aux traités ou accords internationaux, ne constitue pas une question d’ordre public.

CONSEIL D’ETAT

statuant au contentieux

N° 248954

Mme C.-T.

M. Aladjidi
Rapporteur

M. Chauvaux
Commissaire du gouvernement

Séance du 30 juin 2003
Lecture du 30 juillet 2003

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil dEtat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 5ème et 7ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 5ème sous-section de la Section du contentieux

Vu la requête, enregistrée le 24 juillet 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée pour Mme Danièle C.-T. ; Mme C.-T. demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler la décision du 13 mai 2002 par laquelle le Conseil national de l’Ordre des pharmaciens a rejeté son appel dirigé contre la décision du 30 mars 2000 de la chambre de discipline du conseil régional de l’Ordre des pharmaciens de Rhône-Alpes prononçant à son encontre la peine d’interdiction d’exercer la pharmacie pendant une période de trois ans ;

2°) de condamner l’Etat à lui payer la somme de 4 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu l’ordonnance n° 2000-548 du 15 juin 2000 ;

Vu le décret n° 97-157 du 20 février 1997 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique
- le rapport de M. Aladjidi, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Nicolay, de Lanouvelle, avocat de Mme C.-T. et de la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat du conseil national de l’Ordre des pharmaciens,
- les conclusions de M. Chauvaux, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que s’il appartient au juge d’appel de s’assurer, alors même que cette question n’est pas discutée devant lui, que la juridiction dont la décision est contestée a siégé dans une composition conforme aux dispositions législatives ou réglementaires qui déterminent cette composition ainsi qu’aux principes qui gouvernent la mise en oeuvre de ces dispositions et si, par conséquent, l’auteur d’un pourvoi en cassation peut faire valoir que le juge d’appel aurait commis une erreur de droit en ne soulevant pas d’office, au vu des pièces du dossier, le moyen tiré de ce que la juridiction de première instance aurait siégé en méconnaissance des dispositions fixant sa composition, en revanche la conformité de celles-ci aux normes supérieures et en particulier, s’agissant de dispositions législatives, aux traités ou accords internationaux, ne constitue pas une question d’ordre public ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond, d’une part, qu’une plainte a été introduite contre Mme C.-T. devant l’Ordre des pharmaciens par le directeur régional des affaires sanitaires et sociales de la région Rhône-Alpes, et d’autre part, que le conseil régional de l’Ordre des pharmaciens de la région Rhône-Alpes siégeant en matière disciplinaire lors de sa séance du 30 mars 2002 pour examiner cette plainte comprenait notamment M. S., pharmacien-inspecteur régional ; que la présence de ce dernier, qui représentait, avec voix consultative en application de l’article L. 523 devenu L. 4232-6 du code de la santé publique, le directeur régional des affaires sanitaires et sociales de la région Rhône-Alpes, auteur de la plainte, a porté atteinte à l’équité du procès et au principe d’impartialité, rappelés par les stipulations de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; que la loi devait être interprétée, conformément à ces principes, comme n’imposant pas la présence du pharmacien-inspecteur régional dans le cas particulier où la plainte émane du directeur régional des affaires sanitaires et sociales ; que le conseil national de l’Ordre des pharmaciens a, dès lors, commis une erreur de droit en ne relevant pas d’office l’irrégularité qui entachait, au regard des principes susmentionnés, la composition de la juridiction ayant rendu la décision attaquée devant lui, et qui n’impliquait pas d’appréciation de la conformité de la loi avec une norme supérieure ; que Mme C.-T. est, par suite, fondée à demander l’annulation de la décision du conseil national de l’Ordre des pharmaciens en date du 13 mai 2002 ;

Sur les conclusions présentées par Mme C.-T. au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative

Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l’Etat qui n’est pas partie au présent litige, soit condamné à verser à Mme C.-T. la somme qu’elle demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : La décision du conseil national de l’Ordre des pharmaciens en date du 13 mai 2002 est annulée.

Article 2 : L’affaire est renvoyée devant le conseil national de l’Ordre des pharmaciens.

Article 3 : Les conclusions présentées par Mme C.-T. au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme Danielle C.-T., au conseil national de l’Ordre des pharmaciens et au ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées.

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Adresse originale : http://www.rajf.org/spip.php?article1938