Conseil d’Etat, 23 juillet 2003, n° 254837, Société Atlantique Terrains

Dès lors que les propriétaires des parcelles, faisant usage du droit que leur confèrent les dispositions de l’article R. 213-10 du code de l’urbanisme, ont renoncé, implicitement ou explicitement, à l’aliénation de ces parcelles, empêchant ainsi la communauté urbaine de les acquérir, l’urgence ne peut plus être regardée comme remplie au profit de l’acquéreur évincé que si celui-ci fait état de circonstances caractérisant la nécessité pour lui de réaliser immédiatement le projet envisagé sur ces parcelles.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N°s 254837,256162

SOCIETE ATLANTIQUE TERRAINS

Mme de Salins
Rapporteur

Mlle Fombeur
Commissaire du gouvernement

Séance du 9 juillet 2003
Lecture du 23 juillet 2003

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 1ère et 2ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 1ère sous-section de la Section du contentieux

Vu 1°), sous le n° 254837, la requête, enregistrée le 7 mars 2003 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée pour la SOCIETE ATLANTIQUE TERRAINS, dont le siège est 10, rue de la Rinçais à Treillières (44119) ; la SOCIETE ATLANTIQUE TERRAINS demande au Conseil d’Etat

1°) d’annuler l’ordonnance en date du 19 février 2003 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à la suspension de l’exécution des décisions des 8 août et 21 novembre 2002 par lesquelles la communauté urbaine de Nantes a décidé d’exercer son droit de préemption à l’égard des parcelles respectivement cadastrées en section ZB n°s 60, 61, 62 et 63, situées sur la commune de Saint-Léger-les-Vignes au lieudit « les Galochets » ;

2°) statuant au fond, de faire droit à la demande de suspension de l’exécution de ces quatre décisions ;

3°) de condamner la communauté urbaine de Nantes au versement de la somme de 3 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu 2°), sous le n° 256162, la requête, enregistrée le 18 avril 2003 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée pour la SOCIETE ATLANTIQUE TERRAINS, dont le siège est 10, rue de la Rinçais à Treillières (44119) ; la SOCIETE ATLANTIQUE TERRAINS demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler l’ordonnance en date du 27 mars 2003 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à la suspension de l’exécution des décisions des 8 août et 21 novembre 2002 par lesquelles la communauté urbaine de Nantes a décidé d’exercer son droit de préemption à l’égard des parcelles respectivement cadastrées en section ZB n°s 60, 61, 62 et 63, situées sur la commune de Saint-Léger-les-Vignes au lieudit « les Galochets » ;

2°) statuant au fond, de faire droit à la demande de suspension de l’exécution de ces quatre décisions ;

3°) de condamner la communauté urbaine de Nantes au versement de la somme de 3 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu le code de l’urbanisme ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique
- le rapport de Mme de Salins, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Nicolay, de Lanouvelle, avocat de la SOCIETE ATLANTIQUE TERRAINS et de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de la communauté urbaine de Nantes,
- les conclusions de Mlle Fombeur, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que, par ordonnance en date du 19 février 2003, le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de la SOCIETE ATLANTIQUE TERRAINS tendant à la suspension de l’exécution des quatre décisions en date des 8 août et 21 novembre 2002 par lesquelles la communauté urbaine de Nantes a décidé, à des fins de réserve foncière, d’exercer son droit de préemption à l’égard de quatre parcelles respectivement cadastrées en section ZB n°s 60, 61, 62 et 63 et situées sur le territoire de la commune de Saint-Léger-les-Vignes au lieudit « les Galochets » ; que, par une seconde ordonnance en date du 27 mars 2003, le même juge a rejeté une nouvelle demande de suspension identique dans son objet de la société requérante ; que les requêtes de la SOCIETE ATLANTIQUE TERRAINS tendent à l’annulation de ces deux ordonnances ; qu’il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

En ce qui concerne la requête n° 256162 diriaée contre l’ordonnance du 27 mars 2003 :

Sur la recevabilité de la requête

Considérant qu’aux termes de l’article R.523-1 du code de justice administrative : « Le pourvoi en cassation contre les ordonnances rendues par le juge des référés en application de l’article L. 521-1, L. 521-3, L. 521-4 et L. 522-3 est présenté dans les quinze jours de la notification qui en est faite » ; qu’il ressort des pièces du dossier que l’ordonnance du 27 mars 2003 a été notifiée à la SOCIETE ATLANTIQUE TERRAINS le 2 avril 2003 ; que la requête de la société a été enregistrée au secrétariat du Conseil d’Etat le 18 avril, soit dans le délai de quinze jours prévu par les dispositions précitées de l’article R 523-1 du code de justice administrative ; qu’ainsi, le pourvoi n’est pas tardif ;

Sur les conclusions de la requête

Considérant qu’aux termes de l’article L.521-1 du code de justice administrative : « Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision (...) » ;

Considérant, d’une part, que la circonstance qu’un accord amiable soit intervenu entre la communauté urbaine de Nantes et Mme Deniaud sur le prix auquel la communauté urbaine préempterait la parcelle cadastrée ZB n° 62 appartenant à Mme Deniaud n’est pas de nature, à elle seule, à épuiser les effets de la décision de préemption ; que, par suite, en jugeant que la conclusion de l’accord amiable sur le prix de la parcelle rendait sans objet la demande de suspension de la SOCIETE ATLANTIQUE TERRAINS en tant qu’elle concerne la parcelle ZB n° 62, le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a commis une erreur de droit ;

Considérant, d’autre part, que, lorsque le juge des référés prend, sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, une mesure de suspension de l’exécution d’une décision de préemption, cette mesure a pour conséquence, selon les cas, non seulement de faire obstacle à la prise de possession au transfert de propriété du bien préempté au bénéfice de la collectivité publique titulaire du droit de préemption mais également de permettre aux signataires de la promesse de vente de mener la vente à son terme, sauf si le juge, faisant usage du pouvoir que lui dorment les dispositions précitées de ne suspendre-que certains des effets de l’acte de préemption, décide de limiter la suspension à la première des deux catégories d’effets susmentionnées ; que, si la circonstance que les propriétaires des parcelles cadastrées ZB n°s 60, 61 et 63 ont, à la suite de la réception des décisions de préemption de ces parcelles à un prix inférieur à celui figurant dans les déclarations d’intention d’aliéner, renoncé implicitement ou explicitement à l’aliénation de ces parcelles dans les conditions prévues à l’article R.213-10 du code de l’urbanisme empêche la communauté urbaine de poursuivre l’acquisition de ces parcelles, les décisions de préemption, dans la mesure où elles continuent de faire obstacle à la signature des actes de vente en exécution des promesses de vente signées entre les propriétaires desdites parcelles et la SOCIETE ATLANTIQUE TERRAINS, n’ont pas épuisé tous leurs effets ; que, dès lors, en rejetant comme irrecevables les conclusions de la société requérante tendant à la suspension des décisions de préemption de ces parcelles au motif que les décisions en cause avaient épuisé tous leurs effets, le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a commis une erreur de droit ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que l’ordonnance du 27 mars 2003 doit être annulée ; Considérant que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu pour le Conseil d’État, en application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, de statuer sur la demande de référé ;

Sur les fins de non-recevoir opppsées par la communauté urbaine de Nantes à la demande de la SOCIETE ATLANTIQUE TERRAINS

Considérant, en premier lieu, que si chacun des actes de promesses ou compromis de vente signés entre les propriétaires des quatre parcelles en cause et la SOCIETE ATLANTIQUE TERRAINS prévoit une date limite, qui est aujourd1iui dépassée, avant laquelle l’acte authentique devait être signé, il ressort de ces actes que ce délai pouvait être prorogé sauf dénonciation par le promettant qui n’est pas intervenue ; que les « conditions suspensives » figurant dans ces promesses et compromis et tenant notamment à l’obtention par le bénéficiaire d’une autorisation de lotir pour un minimum de huit lots sur ces quatre parcelles, laquelle condition n’est pas remplie, ainsi que, pour trois d’entre elles, à l’absence d’exercice du droit de préemption par une collectivité publique sur lesdites parcelles, dont il est précisé qu’elles sont stipulées dans l’intérêt exclusif du « bénéficiaire », n’ont eu ni pour objet ni pour effet de rendre caduques ces promesses ou compromis du seul fait que certains des événements de nature à permettre leur suspension étaient survenus ; qu’ainsi, contrairement à ce que la communauté urbaine de Nantes soutient, la SOCIETE ATLANTIQUE TERRAINS justifie, du seul fait qu’elle est le bénéficiaire des promesses ou compromis de vente relatifs à ces quatre parcelles, d’un intérêt à agir contre les décisions de les préempter ;

Considérant, en deuxième lieu, qu’ainsi qu’il a été dit ci-dessus, la circonstance qu’avant l’introduction de la demande de la société requérante, les propriétaires des parcelles cadastrées ZB n°s 60, 61 et 63 aient renoncé à leur aliénation n’est pas de nature à rendre sans objet les demandes de suspension des décisions de préemption de ces parcelles ;

Considérant, enfin, que contrairement à ce que soutient la communauté urbaine de Nantes, la circonstance qu’un accord amiable soit intervenu sur le prix de la parcelle cadastrée ZB n° 62 entre sa propriétaire et la communauté urbaine de Nantes ne permet pas de regarder la vente comme se poursuivant dans le cadre d’une procédure amiable distincte de la procédure de préemption, laquelle a continué de suivre son cours ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les fins de non-recevoir opposées par la communauté urbaine de Nantes à la demande de suspension de la SOCIETE ATLANTIQUE TERRAINS et tirées de ce que, pour chacune des parcelles concernées, elle était dépourvue d’objet à la date d’introduction de la demande doivent être écartées ;

Sur la demande de suspension de l’exécution de la décision de préemption relative à la parcelle cadastrée ZB n° 62

Considérant, d’une part, qu’eu égard à l’objet d’une décision de préemption et à ses effets vis-à-vis de l’acquéreur évincé, la condition d’urgence doit en principe être regardée comme remplie lorsque celui-ci demande la suspension d’une telle décision ; qu’il peut toutefois en aller autrement au cas où le titulaire du droit de préemption justifie de circonstances particulières tenant par exemple à l’intérêt qui s’attache à la réalisation rapide du projet qui a donné lieu à l’exercice du droit de préemption ; qu’il appartient au juge des référés de procéder à une appréciation globale de l’ensemble des circonstances de l’espèce qui lui est soumise ; qu’en l’espèce, alors que la réalité du projet de la SOCIETE ATLANTIQUE TERRAINS de construire sur la parcelle cadastrée ZB n° 62 ressort des pièces du dossier, la communauté urbaine de Nantes ne fait état d’aucune circonstance particulière caractérisant la nécessité pour elle de réaliser immédiatement le projet qui a motivé l’exercice du droit de préemption ; que, dans ces conditions, la condition d’urgence énoncée à l’article L. 521-1 du code de justice administrative doit être regardée comme remplie ;

Considérant, d’autre part, que le moyen tiré de l’absence de projet en cours ou projeté par la commune de Saint-Léger-les-Vignes ou la communauté urbaine de Nantes dans le cadre de laquelle cette décision s’inscrirait, paraît, en l’état de l’instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision du président de la communauté urbaine de Nantes en date du 8 août 2002 de préempter la parcelle cadastrée ZB n° 62 ; qu’en revanche, aucun des autres moyens soulevés n’est propre, en l’état de l’instruction, à créer un tel doute ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la SOCIETE ATLANTIQUE TERRAINS est fondée à demander la suspension de l’exécution de la décision du président de la communauté urbaine de Nantes en date du 8 août 2002 faisant usage du droit de préemption de la communauté urbaine sur la parcelle ZB n° 62 propriété de Mme Deniaud ;

Sur la demande de suspension de l’exécution des décisions de préemption relatives aux autres parcelles

Considérant que, dès lors que les propriétaires des parcelles cadastrées ZB nos 60, 61 et 63, faisant usage du droit que leur confèrent les dispositions de l’article R. 213-10 du code de l’urbanisme, ont renoncé, implicitement ou explicitement, à l’aliénation de ces parcelles, empêchant ainsi la communauté urbaine de les acquérir, l’urgence ne peut plus être regardée comme remplie au profit de l’acquéreur évincé que si celui-ci fait état de circonstances caractérisant la nécessité pour lui de réaliser immédiatement le projet envisagé sur ces parcelles ; qu’en l’espèce, il ne ressort pas des pièces du dossier que la réalisation de son projet de lotissement par la SOCIETE ATLANTIQUE TERRAINS revêtirait un caractère d’urgence justifiant la suspension des décisions du président de la communauté urbaine de Nantes des 8 août et 21 novembre 2002 relatives à ces trois parcelles ; que, par suite, et sans qu’il soit besoin de se prononcer sur l’existence d’un moyen propre à créer un doute sérieux sur la légalité de ces décisions, la demande de la SOCIETE ATLANTIQUE TERRAINS tendant à la suspension de ces trois décisions doit être rejetées ;

En ce qui concerne la requête n° 254837 dirigée contre l’ordonnance du 19 février 2003

Considérant que, dès lors que par la présente décision il est fait droit aux conclusions de la requête de la SOCIETE ATLANTIQUE TERRAINS tendant à l’annulation de l’ordonnance du 27 mars 2003 par laquelle le juge des référés a rejeté sa demande de suspension des quatre décisions de préemption en cause, les conclusions de la même société tendant à l’annulation de l’ordonnance du 19 février 2003 ayant rejeté une précédente demande identique sont devenues sans objet ;

En ce gui concerne les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de iustice administrative

Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’article L.761-1 du code de justice administrative et de condamner la communauté urbaine de Nantes à payer à la SOCIETE ATLANTIQUE TERRAINS une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

D É C I D E :

Article 1er : L’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Nantes en date du 27 mars 2003 est annulée.

Article 2 : L’exécution de la décision en date du 8 août 2002 par laquelle le président de la communauté urbaine de Nantes a fait usage du droit de préemption de la communauté urbaine sur la parcelle cadastrée ZB n° 62 est suspendue.

Article 3 : Il n’y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 254837 tendant à l’annulation de l’ordonnance en date du 19 février 2003.

Article 4 : Le surplus de la demande présentée par la SOCIETE ATLANTIQUE TERRAINS au juge des référés du tribunal administratif de Nantes est rejeté.

Article 5 : La communauté urbaine de Nantes versera à la SOCIETE ATLANTIQUE TERRAINS la somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE ATLANTIQUE TERRAINS, à la communauté urbaine de Nantes et au ministre de l’équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer.

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Adresse originale : http://www.rajf.org/spip.php?article1917