Lorsqu’un Etat membre prévoit, à l’occasion du recrutement du personnel, de prendre en compte des activités professionnelles antérieures exercées par les candidats au sein d’une administration publique, il ne peut, à l’égard des ressortissants communautaires, opérer de distinction selon que ces activités ont été exercées dans le service public de ce même Etat membre ou dans celui d’un autre Etat membre.
CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N° 239085
M. D.
Mme Leroy
Rapporteur
Mme Roul
Commissaire du gouvernement
Séance du 16 juin 2003
Lecture du 9 juillet 2003
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 4ème et 6ème sous-section réunies)
Sur le rapport de la 4ème sous-section de la Section du contentieux
Vu l’ordonnance, en date du 8 octobre 2001, enregistrée au secrétariat du contentieux le 17 octobre 2001, par laquelle le président du tribunal administratif de Strasbourg a transmis au Conseil d’Etat, en application de l’article R. 351-2 du code de justice administrative, la demande présentée à ce tribunal par M. D. ;
Vu la requête, enregistrée le 1er octobre 2001 au greffe du tribunal administratif de Strasbourg, présentée par M. Matthias D. ; M. D. demande au tribunal d’annuler la décision du 18 avril 2001 par laquelle le ministre de l’éducation nationale a rejeté sa demande de reclassement dans le corps des professeurs d’université et de condamner l’Etat à lui payer la somme de 5 000 F au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le Traité instituant la Communauté européenne, notamment son article 39 ;
Vu le code de l’éducation ;
Vu le décret n° 84-431 du 6 juin 1984 fixant les dispositions statutaires communes applicables aux enseignants chercheurs et portant statut particulier du corps des professeurs des universités et du corps des maîtres de conférences ;
Vu le décret n° 85-465 du 26 avril 1985 relatif aux règles de classement des personnes nommées dans les corps d’enseignants chercheurs des établissements d’enseignement supérieur et de la recherche relevant du ministère de l’éducation nationale ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de Mme Leroy, Conseiller d’Etat,
les conclusions de Mme Roul, Commissaire du gouvernement ;
Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête :
Considérant qu’aux termes de l’article 2 du décret susvisé du 26 avril 1985 les personnes nommées dans un corps d’enseignants chercheurs "sont classées au 1er échelon du corps ou éventuellement de la classe du corps au titre duquel un recrutement a été ouvert sous réserve des articles suivants" ; qu’aux termes de l’article 4, les personnes nommées dans un corps d’enseignant chercheur "qui, avant leur nomination, avaient la qualité d’agent non titulaire de l’Etat, de collectivités locales ou de leurs établissements publics sont classées à un échelon de ce corps ou de la classe de ce corps déterminé en prenant en compte (...) une fraction de leur ancienneté de service, dans les conditions prévues aux a, b et c ci-après : a) les services accomplis dans un emploi du niveau de la catégorie A sont retenus à raison de la moitié de leur durée jusqu’à douze ans et à raison des trois quarts au-delà de cette durée de douze ans (...) Les services pris en compte doivent avoir été accomplis de façon continue en qualité d’agent non titulaire..." ; qu’aux termes de l’article 6 : "Par dérogation aux dispositions des articles 2, 3 et 4, lorsqu’un chercheur d’un établissement public administratif de recherche ou d’un établissement public à caractère scientifique et technologique est nommé dans un des corps mentionnés à l’article 1er du présent décret, il est classé à un échelon déterminé en tenant compte du temps qu’il a passé dans une fonction correspondant au moins à celle exercée par les membres de ce corps. Ce temps est compté pour les deux tiers de sa durée effective" ; qu’enfin aux termes du 1er alinéa de l’article 7-1 du même décret : "Les classements sont effectués en application des articles 3, 4, 4-1, 5, 6 ou 7 ci-dessus, selon la situation des personnes constatée soit à la date de cessation de leurs dernières fonctions, soit à la date de leur nomination en qualité de stagiaire ou, le cas échéant, de titulaire dans l’un des corps mentionnés à l’article 1er ci-dessus" ;
Considérant que M. D., de nationalité allemande, a été nommé professeur associé à temps plein à compter du 1er septembre 1999 et affecté à l’université Louis Pasteur de Strasbourg ; qu’il avait auparavant et depuis 1993 exercé des fonctions de chercheur à l’institut de recherches sur l’histoire de la science et de la technique de Munich et au centre national de la recherche scientifique et, avant son recrutement par l’université de Strasbourg, à l’institut Max-Planck de Berlin ; qu’à la suite de sa nomination dans le corps de professeur des universités à compter du 1er septembre 2000 il a été classé au 1er échelon de la 2ème classe de ce corps ; que ce classement résultait de ce que son ancienneté en qualité de professeur associé avait seule été prise en compte en application de l’article 4 du décret du 26 avril 1985 ;
Considérant que les dispositions précitées de l’article 7-1 du décret du 26 avril 1985 faisaient obstacle à ce que le reclassement de M. D. fût effectué en application de l’article 6, dès lors qu’il est constant que ses fonctions de chercheur avaient cessé à la date de sa nomination dans le corps des professeurs d’université ;
Considérant que, toutefois, M. D. soutient que le refus du ministre de l’éducation nationale de prendre en compte ses activités de chercheur exercées antérieurement en Allemagne repose sur une interprétation des dispositions du décret du 26 avril 1985 contraire aux stipulations du traité instituant la Communauté européenne relatives à la libre circulation des personnes ;
Considérant qu’aux termes de l’article 39 du traité instituant la Communauté européenne : "1. La libre circulation des travailleurs est assurée à l’intérieur de la Communauté. 2. Elle implique l’abolition de toute discrimination fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des Etats membres, en ce qui concerne l’emploi, la rémunération et les autres conditions de travail..." ;
Considérant qu’il résulte de ces stipulations, telles qu’elles ont été interprétées par la Cour de justice des Communautés européennes notamment dans son arrêt du 23 février 1994 rendu dans l’affaire C-419/92, que, lorsqu’un Etat membre prévoit, à l’occasion du recrutement du personnel, de prendre en compte des activités professionnelles antérieures exercées par les candidats au sein d’une administration publique, il ne peut, à l’égard des ressortissants communautaires, opérer de distinction selon que ces activités ont été exercées dans le service public de ce même Etat membre ou dans celui d’un autre Etat membre ;
Considérant qu’il suit de là que les dispositions précitées de l’article 4 du décret du 26 avril 1985 qui prennent en compte, pour le classement des personnes recrutées dans l’enseignement supérieur, les services accomplis antérieurement en qualité d’agent non titulaire de l’Etat, des collectivités locales ou de leurs établissements, doivent être interprétées en ce sens que sont pris en compte les services de même nature accomplis dans un autre Etat membre de l’Union européenne ; que, dès lors, en ne recherchant pas si les services accomplis par M. D. en qualité de chercheur en Allemagne pouvaient être assimilés à ceux d’un agent non titulaire d’un établissement public de l’Etat ou des collectivités locales, visés à l’article 4 du décret du 26 avril 1985, et, par voie de conséquence, si ses services accomplis en qualité d’agent non titulaire au centre national de la recherche scientifique, antérieurement à sa nomination en qualité de professeur associé, pouvaient également être pris en compte, le ministre de l’éducation nationale a entaché sa décision d’une erreur de droit ; que M. D. est fondé à en demander l’annulation ;
Sur l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu’il y a lieu de faire application de ces dispositions et de condamner l’Etat à payer à M. D. la somme de 750 euros au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : La décision du 18 avril 2001 du ministre de l’éducation nationale est annulée.
Article 2 : L’Etat paiera à M. D. la somme de 750 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. Matthias D. et au ministre de la jeunesse, de l ’éducation nationale et de la recherche.
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