Conseil d’Etat, 30 juin 2003, n° 242493, Caisse nationale des barreaux français et autres

Il résulte des dispositions précitées de l’article L. 134-1 du code de la sécurité sociale que le mécanisme de compensation qu’elles instituent est calculé pour chacun des régimes concernés par exercice comptable. Au regard de l’objet de ces dispositions, la situation de chaque caisse doit être considérée comme juridiquement constituée à la date de clôture de ses comptes et que, par suite, le versement auquel sont soumis les régimes en cause doit être déterminé compte tenu des règles en vigueur à cette date.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N°s 242493,243582

CAISSE NATIONALE DES BARREAUX FRANCAIS
CAISSE AUTONOME DE RETRAITE DES MEDECINS DE FRANCE

M. Boulouis
Rapporteur

Mlle Fombeur
Commissaire du gouvernement

Séance du 4 juin 2003
Lecture du 30 juin 2003

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 1ère et 2ème sous-section réunies)

Sur le rapport de la 1ère sous-section de la Section du contentieux

Vu 1°), sous le n° 242493, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 30 janvier et 29 mai 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la CAISSE NATIONALE DES BARREAUX FRANCAIS, dont le siège est 11, boulevard de Sébastopol à Paris (75001), représentée par son président en exercice et la CAISSE AUTONOME DE RETRAITE DES MEDECINS DE FRANCE, dont le siège est 46, rue Saint-Ferdinand à Paris cedex 17 (75841), représentée par son président en exercice ; la CAISSE NATIONALE DES BARREAUX FRANCAIS et la CAISSE AUTONOME DE RETRAITE DES MEDECINS DE FRANCE demandent au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler le décret n° 2001-1124 du 23 novembre 2001 modifiant l’article D. 134-3 du code de la sécurité sociale ;

2°) de condamner l’Etat à leur verser la somme de 4 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu 2°), sous le n° 243582, la requête, enregistrée le 27 février 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée pour la CAISSE AUTONOME DE RETRAITE DES MEDECINS DE FRANCE dont le siège est 46, rue Saint-Ferdinand à Paris cedex 17 (75841), représentée par son directeur en exercice ; la CAISSE AUTONOME DE RETRAITE DES MEDECINS DE FRANCE demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler pour excès de pouvoir l’arrêté interministériel du 21 décembre 2001 en tant qu’il a fixé pour l’année 2000 le montant des transferts définitifs de la compensation généralisée vieillesse et l’arrêté interministériel du 24 décembre 2001 qui a réparti entre les sections professionnelles les charges incombant pour l’année 2000 à la Caisse nationale d’assurance vieillesse des professions libérales au titre de la compensation ;

2°) de condamner l’Etat à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu le code de la sécurité sociale ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Boulouis, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Vier, Barthélemy, avocat de la CAISSE NATIONALE DES BARREAUX FRANCAIS, de la CAISSE AUTONOME DE RETRAITE DES MEDECINS DE France et de l’Association nationale des avocats honoraires et de Me Foussard, avocat de la CAISSE AUTONOME DE RETRAITE DES MEDECINS DE FRANCE,
- les conclusions de Mlle Fombeur, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que les requêtes n° 242493 de la CAISSE NATIONALE DES BARREAUX FRANÇAIS et de la CAISSE AUTONOME DE RETRAITE DES MEDECINS DE FRANCE et n° 243582 de la CAISSE AUTONOME DE RETRAITE DES MEDECINS DE FRANCE présentent à juger les mêmes questions ; qu’il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

Sur l’intérêt à agir de la CAISSE NATIONALE DES BARREAUX FRANCAIS et de la CAISSE AUTONOME DE RETRAITE DES MEDECINS DE FRANCE :

Considérant que les requêtes sont dirigées contre le décret du 23 novembre 2001 modifiant l’article D. 134-3 du code de la sécurité sociale relatif au calcul de la compensation généralisée ainsi que contre les arrêtés interministériels des 21 et 24 décembre 2001 en tant qu’ils fixent pour 2000 le montant des transferts définitifs de la compensation généralisée vieillesse mis à la charge de la CAISSE NATIONALE DES BARREAUX FRANCAIS, de la Caisse nationale d’assurance vieillesse des professions libérales et au sein de celle-ci à la charge de ses différentes sections, et notamment de la CAISSE AUTONOME DE RETRAITE DES MEDECINS DE FRANCE ; que, par suite, la CAISSE NATIONALE DES BARREAUX FRANCAIS et la CAISSE AUTONOME DE RETRAITE DES MEDECINS DE FRANCE ont intérêt à agir contre ces décisions ;

Sur l’intervention de l’Association nationale des avocats honoraires :

Considérant que l’Association nationale des avocats honoraires a intérêt à l’annulation du décret attaqué ; que son intervention est, par suite, recevable ;

Sur les conclusions tendant à l’annulation du décret du 23 novembre 2001 :

Considérant qu’aux termes de l’article L. 134-1 du code de la sécurité sociale : " Il est institué une compensation entre les régimes obligatoires de sécurité sociale comportant un effectif minimum, autres que les régimes complémentaires (...). Cette compensation porte sur les charges de l’assurance maladie et maternité au titre des prestations en nature et de l’assurance vieillesse au titre des droits propres./ La compensation entre les régimes spéciaux d’assurance vieillesse de salariés porte sur l’ensemble des charges de l’assurance vieillesse et est calculée sur la base de la moyenne des prestations servies par les régimes concernés./ Toutefois, les sommes effectivement versées par les régimes en application du deuxième alinéa et au-delà des versements effectués en application du premier alinéa ne peuvent être supérieures, pour chacun d’entre eux et chaque exercice comptable, à 25 p. 100 du total des prestations qu’ils servent./ La compensation tend à remédier aux inégalités provenant des déséquilibres démographiques et des disparités de capacités contributives entre les différents régimes. Toutefois, tant que les capacités contributives de l’ensemble des non-salariés ne pourront être définies dans les mêmes conditions que celles des salariés, la compensation entre l’ensemble des régimes de salariés et les régimes de non-salariés aura uniquement pour objet de remédier aux déséquilibres démographiques./ La compensation prévue au présent article est calculée sur la base d’une prestation de référence et d’une cotisation moyenne ; elle est opérée après application des compensations existantes./ Les soldes qui en résultent entre les divers régimes sont fixés par arrêtés interministériels, après consultation d’une commission présidée par un magistrat désigné par le premier président de la Cour des comptes et comprenant notamment des représentants des régimes de sécurité sociale " ; qu’aux termes de l’article L. 134-2 du même code : " Des décrets fixent les conditions d’application de l’article L. 134-1 et déterminent notamment : 1°) l’effectif minimum nécessaire pour qu’un régime de sécurité sociale puisse participer à la compensation instituée par cet article ; 2°) les modalités de détermination des bases de calcul des transferts opérés au titre de la compensation prévue à cet article " ;

En ce qui concerne les moyens dirigés contre le décret pris dans son ensemble :

Considérant, en premier lieu, qu’aucun texte législatif ou réglementaire ne prévoit la consultation de la CAISSE AUTONOME DE RETRAITE DES MEDECINS DE FRANCE sur les décrets pris pour l’application de l’article L. 134-1 précité ; qu’il n’appartient pas au Conseil d’Etat statuant au contentieux d’apprécier la conformité à la Constitution de l’article L. 200-3 du code de la sécurité sociale, sur le fondement duquel d’autres caisses de sécurité sociale, et notamment la caisse nationale de l’assurance vieillesse des travailleurs salariés, ont été consultées sur le décret attaqué ;

Considérant, en deuxième lieu, que la circonstance que la commission " législation et simplification " de l’agence centrale des organismes de sécurité sociale, qui s’est prononcée le 9 novembre 2001 sur le projet de décret, se soit réunie en l’absence des représentants du Mouvement des entreprises de France et de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises est sans incidence sur la régularité de la consultation, dès lors qu’il n’est pas établi que cette absence ait fait obstacle à ce que le quorum requis soit atteint ;

En ce qui concerne l’article 1er :

Considérant, en premier lieu, qu’il ne ressort pas des pièces du dossier qu’en excluant, pour le choix de la prestation de référence entre les différents régimes, les régimes de non-salariés dont l’effectif des retraités titulaires de droits propres âgés de soixante-cinq ans ou plus est inférieur ou égal à 100 000 personnes au 1er juillet de l’année considérée, l’auteur du décret ait commis une erreur manifeste dans l’appréciation des modalités de détermination des bases de calcul des transferts opérés au titre de la compensation ;

Considérant, en deuxième lieu, qu’il ressort des termes mêmes de l’article L. 134-1 que, tant que les capacités contributives de l’ensemble des non-salariés ne pourront être définies dans les mêmes conditions que celles des salariés, la compensation entre l’ensemble des régimes de salariés et les régimes de non-salariés aura uniquement pour objet de remédier aux déséquilibres démographiques ; qu’ainsi, alors même que la CAISSE AUTONOME DE RETRAITE DES MEDECINS DE FRANCE ne peut verser à ses ressortissants les avantages, non contributifs, financés par le Fonds de solidarité vieillesse, l’auteur du décret n’était pas tenu d’écarter ces prestations pour la détermination des bases de calcul des transferts opérés au titre de la compensation ; que le moyen tiré de ce qu’en n’excluant pas ces prestations des bases de calcul le décret aurait méconnu le principe d’égalité doit être écarté ;

En ce qui concerne l’article 2 :

Considérant qu’il résulte des dispositions précitées de l’article L. 134-1 du code de la sécurité sociale que le mécanisme de compensation qu’elles instituent est calculé pour chacun des régimes concernés par exercice comptable ; qu’au regard de l’objet de ces dispositions, la situation de chaque caisse doit être considérée comme juridiquement constituée à la date de clôture de ses comptes et que, par suite, le versement auquel sont soumis les régimes en cause doit être déterminé compte tenu des règles en vigueur à cette date ; que l’article 2 du décret attaqué, aux termes duquel les nouvelles règles de détermination de la prestation de référence pour le calcul de la compensation " s’appliquent aux calculs de compensations pour les exercices qui n’ont pas fait l’objet d’un transfert définitif à sa date de publication ", a pour effet de rendre ces règles applicables aux exercices pour lesquels l’arrêté interministériel mentionné à l’article L. 134-1 n’est pas encore intervenu, alors même que ces exercices seraient clos ; qu’en l’absence de disposition législative l’y autorisant, l’auteur du décret attaqué ne pouvait donner à cette modification des règles de la compensation un tel effet rétroactif ; que, par suite, la CAISSE AUTONOME DE RETRAITE DES MEDECINS DE FRANCE et la CAISSE NATIONALE DES BARREAUX FRANCAIS sont fondées à demander l’annulation de l’article 2 du décret attaqué ;

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la CAISSE AUTONOME DE RETRAITE DES MEDECINS DE FRANCE et la CAISSE NATIONALE DES BARREAUX FRANCAIS sont seulement fondées à demander l’annulation de l’article 2 du décret du 23 novembre 2001 ;

Sur les conclusions tendant à l’annulation des arrêtés interministériels des 21 décembre 2001 et 24 décembre 2001 :

En ce qui concerne l’arrêté du 21 décembre 2001 :

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que l’arrêté du 21 décembre 2001 dont l’annexe III fixe pour l’année 2000 le montant des transferts définitifs de la compensation généralisée vieillesse fait application, pour la détermination de la prestation de référence mentionnée à l’article L. 134-1 du code de la sécurité sociale précité, des dispositions de l’article D. 134-3 du même code telles que modifiées par le décret du 23 novembre 2001 ; qu’il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que ces nouvelles dispositions ne pouvaient être légalement appliquées à la détermination des transferts opérés au titre des exercices clos avant leur publication ; que, par suite, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête, la CAISSE AUTONOME DE RETRAITE DES MEDECINS DE FRANCE est fondée à demander l’annulation de l’annexe III de l’arrêté du 21 décembre 2001 ;

En ce qui concerne l’arrêté du 24 décembre 2001 :

Considérant que cet arrêté a pour objet de répartir entre les sections professionnelles de la Caisse nationale d’assurance vieillesse des professions libérales les charges de la compensation généralisée vieillesse incombant pour l’année 2000 à cette caisse en application de l’annexe III de l’arrêté du 21 décembre 2001 ; que la présente décision annule cette annexe de l’arrêté du 21 décembre 2001 ; que la CAISSE AUTONOME DE RETRAITE DES MEDECINS DE FRANCE est ainsi fondée à demander l’annulation de l’arrêté du 24 décembre 2001 par voie de conséquence de l’annulation des dispositions de l’annexe III de celui du 21 décembre 2001 ;

Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application de ces dispositions en condamnant l’Etat à payer 2 000 euros à la CAISSE NATIONALE DES BARREAUX FRANCAIS et 3 000 euros à la CAISSE AUTONOME DE RETRAITE DES MEDECINS DE FRANCE au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : L’ intervention de l’Association nationale des avocats honoraires est admise.

Article 2 : L’article 2 du décret du 23 novembre 2001 est annulé.

Article 3 : L’annexe III de l’arrêté interministériel du 21 décembre 2001 et l’arrêté interministériel du 24 décembre 2001 sont annulés.

Article 4 : L’Etat versera les sommes de 2 000 euros à la CAISSE NATIONALE DES BARREAUX FRANCAIS et 3 000 euros à la CAISSE AUTONOME DE RETRAITE DES MEDECINS DE FRANCE au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions des requêtes est rejeté.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à la CAISSE NATIONALE DES BARREAUX FRANCAIS, à la CAISSE AUTONOME DE RETRAITE DES MEDECINS DE FRANCE, à l’Association nationale des avocats honoraires, au Premier ministre, au ministre de l’économie, des finances et de l’industrie et au ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité.

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